Les ripailles dans les bouges
Il se pourlèche les doigts les uns après les autres
Bien calé sur sa chaise I
Il se pourlèche ses doigts les uns après les autres. Bien calé sur sa chaise le vieil homme alias vieil homme assis sur la tondeuse à gazon se souvient des beuveries lors de ses voyages au-delà des mers lointaines. Il règnait en maître. Devant sa table avec ses mets orientaux ses bières blondes et brunes des bières du monde entier. Il se souvient dans ses escales avec les matelots du port il allait calmer ses appétits de tous genres dans les bouges, il se souvient des beuveries mémoriales des marins pleins de fougue. L’homme cale un appétit qui a décuplé depuis plusieurs jours. Envoyant un rôt monumental il se lève et s’effondre dans son fauteuil.
Le vieil homme est habité par des sentiments contradictoires vis-à-vis de la dame de la twingo. Il veut l’effacer de ses yeux et s’y emploie avec autant d’acharnement qu’il met dans toutes choses. Ce désir lui déclenche un appétit d’ogre. Il glisse comme une ombre dans sa pièce apparenté à un fantôme, s’entretient avec lui-même, soliloque. va de la table garnie abondement de mets les plus succulents de vins les plus rares à la fenêtre. Il s’applique à compter ses pas. Le mercredi obsessionnel le frappe en plein cœur. La familière silhouette qu’il a aperçue ! Familier est son visage ! Depuis tant d’années ... Son sourire, ses signes affectueux ont bouleversé sa vie ses habitudes. Il voudrait l’émouvoir derrière sa vitre ! Désespéré devant sa gaucherie sa maladresse, et devant tous ses handicaps autres, pour faire face il mange
La dame de la twingo s’étonne de ce spectre qu’elle aperçoit derrière la vitre. De son coté elle se surprend à faire des contorsions dans tous les sens pour essayer de le voir. Depuis son apparition sur sa tondeuse à gazon elle est curieuse de cet homme. Cependant cette vision spectrale l’inquiète. Elle cherche dans toutes les possibilités qui sont à sa portée celle qui l’empêcherait de sortir. Hélas ! Il s’en trouve de tragiques ! De pathétiques ! De cruelles ! Si terribles qu’elle les élimine aussi vite qu’elles viennent.. Elle s’est fabriquée un nouveau genre de vie : devant la belle maison elle travaille dans sa twingo : elle lit elle écrit elle époussette. Aujourd’hui munie de chiffons et d’une bouteille d’eau elle projette de laver les vitres de sa twingo. Après avoir fait des signes au vieil homme avec énergie elle frotte ses vitres. Le vieil homme de la tondeuse à gazon devant la familière attitude de la dame sourit. Il piétine, tapote la vitre, sourit de nouveau, va vers la porte, la franchit enfin ! Il l’observe figé. La dame à tour de bras lave les vitres de sa voiture : elle n’a jamais mis autant de cœur à l’ouvrage. Elle tord son chiffon, remet en place la bouteille d’eau, s’approche de la murette pour faire un signe,un dernier signe au vieil homme.
Devant elle l’homme est dans son entier, grand, bien bâti, droit. Le géant de la mer se détache devant la porte de sa maison. Tout est flou dans les yeux de la dame elle doit s’accrocher aux barreaux de la grille, elle pense à une hallucination. L’homme tente un geste ! La dame recule vers sa voiture s’accroche à la portière pour se protéger d’un danger.
Enfin elle réussit à lui envoyer un timide signe…
Liliane Boyrie 28 11 2009