au fait : tu as vu quelqu'un ? Marie tourne les pages de son catalogue jette un rapide regard
- Non. : ça me semble habité... je pense qu’il y a quelqu’un... j’entends des voix par moment, J’ai cherché à lire le nom sur la porte : illisible : quelque fois il y a un léger bruit, toi ?
Indifférente elle feuillette en vitesse un autre catalogue.
- Je n’y fait pas attention, il me semble entendre la télévision... il ou elle... je ne sais pas... On n'aperçoit jamais les voisins dans ces endroits pendant des années... Ça t’ennuie ?
- Je me trouve isolée : j’aimerais bien une petite maison… après tout, tu as raison : c’est bien, là.
Lorsqu’ils se sont fréquentés ils étaient jeunes, insouciants, choyés. Entourés par leurs parents ils sont partis dans la vie assurés du quotidien, les questions matérielles ne les concernaient pas, ils étaient aidés, leur avenir était tracé : une vie sans prétention, des études pour gagner leur vie rapidement, avoir leur indépendance. Studieux ils étaient de bons élèves, leurs examens réussis ils sont partis dans la vie bagage en main : une vie sans éclats. Leurs études se passaient bien, leurs examens aussi. Papa travaillant à la Sécurité Sociale a encouragé Théo à entrer dans cette administration, une place se présentait, un poste vacant. Théo s’est installé dans ce job paisiblement : une seconde peau. Leurs salaires ne sont pas très élevés mais ils s’en contentent, Ils sont si peu exigeants si peu compliqués, tout leur convient.
Théo compte les années.
- Trois ans Marie que nous sommes ensemble : ce constat n’a pas l’air d’effrayer Marie.
- Pense à toutes les années que nos parents ont vécu : ensemble !
- Je les trouve bien. Toi ?
Silence. .
: Ils passent des vacances à Marseille chez les parents de Marie où Maman se met en quatre pour les recevoir toute à la joie de les avoir. La vie en somme est tranquille, paisible, coutumière.
Les parents de Théo habitent dans un village au nord de la France. Marie n’aime pas le climat du nord. Le crachin, les ciels plombés l’ennuie, la nostalgie... Les criques de Marseille lui manquent. Une demi heure de route pour aller à Lille, un problème de voiture, des encombrements, des soucis de parking, un ciel gris. Des contactes généreux avec les gens, chaleureux, des contactes sympathiques mais Marie malgré les efforts de Théo, de toute la famille, des amis a les os glacés par le climat du nord. Elle ne rêve qu'au soleil de Marseille.
Les parents de Marie habitent à l’opposé près de Marseille. C’est un régal lorsqu’ils vont à Marseille en vacances, mais Paris est la ville préférée de Marie pas question d’en partir, elle ne se plait que là. ; elle le lui rabâche sans cesse : il en a pris son parti !
Mal à l’aise Théo revient à la charge.
- Je ne te comprends pas Marie : (c’est leur point discordant) pourquoi veux tu toujours changer d’appartement ! : Nous sommes là, même pas depuis trois ans ! Changer ! Pourquoi ? Ca nous apportera rien de bon, pourquoi cet acharnement. Alors Théo doit expliquer une fois de plus tous les avantages d'être là. Réfléchis ! Nous faisons partis des privilégiés ! Nous avons tout ce qu’il faut autour, toutes les commodités, l‘environnement est parfait, de plus nous risquons d’aller dans un endroit bruyant. Marie tourne dans le pièce, replace un objet, nettoie pour la énième fois la petite pendule : un cadeau de Théo, la regarde longuement, soupire.
- Théo, peut être pourrions nous changer d’appartement !
La pluie douce, continue, cristalline caresse la vitre, son bruit léger endort les sens. Marie est habituée à son Théo qu’elle compare à une cathédrale. Elle s’amuse à lui dire : Quand tu t’étires Théo tu ressembles à une cathédrale ! Alors, il s’étire, s’étire... Théo lui donne cette impression en ce moment : elle le regarde avec gratitude.
La soirée est paisible. Malgré quelques petits accrochages il y a rarement de gros problèmes entre eux. A court d’arguments la conversation tombe, seul le tic-tac de la pendule accompagne le crissement de la pluie sur les vitres. Devant la télévision Marie n’arrive pas à garder les yeux ouverts ; elle a coupé le son. Le bruit de la pluie lancinant, monotone endort Marie ; malgré des efforts désespérés pour rester éveiller ses yeux s’entrouvrent se ferment : elle dort.
: Théo emploie son temps devant l’ordinateur, c’est son hobby. Tous les soirs pour se détendre au calme il navigue dans Internet.
Les vitres renvoient des lumières flottantes semblables à des étoiles filantes. La pluie forme des sillons sans cesse en mouvements glissent au gré du vent. Minuit sonne à la pendule. Marie dort. Le bruit du vent, le clapotis de la pluie sur la vitre bercent Théo, une torpeur le gagne, un instant il ferme les yeux, se secoue, appelle Marie.
- Marie ? Elle dort à poings fermés, ennuyé à pas de velours il s’approche d’elle, lui caresse la main, hésitant, la regarde un moment perplexe, puis doucement l’appelle : Marie ! Ne sachant pas quoi faire, ne voulant pas la réveiller doucement il la prend dans ses bras, la porte sur le lit. Marie entrouvre à peine les yeux replonge dans le sommeil. Le lendemain matin chacun vaque à ses propres affaires silencieusement. Tous les jours c’est la même chose, les jours se calquent les uns sur les autres avec le même rythme, les mêmes gestes, les habitudes sont installées, sont ancrées.
Ils ont une attirance pour cette jeune femme qu’ils rencontrent tous les vendredis dans la grande surface : elle est devenue un rituel qu'ils n'expliquent pas. Ils subissent cette étrange histoire. Elle parait douce, tranquille, agréable : une attente... un mystère... une interrogation... : ils se retrouvent toutes les semaines. Elle est dans leur vie naturellement, peut-être aimeraient-ils la connaître...
Tous les vendredis ils sont là tous les trois caisse 16, caisse 17 se regardent s’observent quelques gestes timides, peureux, des regards vagues…Alors ce jour là, insidieusement, sournoisement il y a plus de précipitations plus d'émotions dans leurs gestes, de fébrilité, car c’est le jour. Ils ne parleront jamais d’elle, peut-être de peur de rompre le charme ; ou bien... ces retrouvailles régulières sont devenues elles aussi une habitude !
Dans cet univers feutré, encadrés par les amis, le travail, les parents, avec l’assurance d’avoir en Théo l’ami qu’elle espérait depuis toujours Marie laisse couler les jours : sans avoir jusque là eu à faire face à des problèmes graves elle est quiète. Mais en ce moment une chose la tracasse lui occasionne un semblant d’instabilité qu’elle n’avait pas prévu. Inconsciemment elle se vêtit mieux, cherche plus de fantaisie dans sa coiffure, se regarde davantage dans la glace, interroge Théo, le questionne sur ses habits. Elle est beaucoup plus attentive à sa personne d’autre part elle regarde Théo avec plus d’attention. Le regard inquisiteur, perçant de la jeune femme elle ne s’en est pas préoccupée de suite, tout juste s’en est-elle étonnée ! Et s’il en fut ainsi, elle le gardera pour elle, ce sera son jardin secret. : Théo n’est pas insensible au charme de la jeune femme, flatté même mais gêné par l’étrangeté des regards et du comportement de cette personne. Curieusement attiré par elle, par l'intérêt qu'il suscite il cherche devant la glace, se regarde sur toutes les coutures pour trouver l’originalité, la bizarrerie de sa personne. Théo se gardera bien de faire part de son inquiétude à Marie. : Dans un dernier regard ils se concertent, s’évaluent, se jaugent de la tête aux pieds.
- C’est bien Théo.
- Comment tu me trouves ?
- Toujours bien Marie. .
Tout deux sont appliqués à leur maintien, attentifs à leur tenue vestimentaire qu’ils choisissent avec plus de soin. Les chemises de Théo, les chaussures sont minutieusement choisies puis passées sous l’œil critique de Marie. Quant à Marie elle peigne ses cheveux dans tous les sens cherche la plus belle coiffure, s’observe devant son miroir. Théo cherche à assortir ses souliers à son tricot, Marie se moque gentiment de lui, s’amuse, l’examine avec soin des pieds à la tête, s’éloigne pour mieux le voir, l’observe avec soin C’est un jeu auquel ils s’adonnent, s'amusent. Théo l’attire contre lui, les yeux fermés glisse sa main sur son visage, palpe doucement ses traits délicats, caresse ses épaules, fait glisser ses mains le long de sa gorge... Tout est finesse, tout est délicatesse, délicieux chez Marie ! Théo est très amoureux. Depuis quelque temps il redécouvre Marie, tellement amoureux, tellement inquiet, malhabile devant Marie il cherche son contacte physique, l’enlace, l’embrasse, la caresse la prend souvent dans ses bras... la concerte aussi plus souvent :
Théo est flatté et mécontent à la fois d’être attiré par cette capiteuse jeune femme, aussi pour s’en libérer il fait du jogging en amenant Marie.
La paisible Marie est dubitative devant la fougue amoureuse de Théo. La paisible Marie est démangée par une idée toute simple : elle a une irrésistible envie d’aller voir sa mère à Marseille : elle attend le moment venu pour en faire part à Théo. Voilà déjà trois semaines qu’ils vont dans la grande surface où ils retrouvent chaque fois l’étrange jeune femme à la même caisse, à la même heure, leurs têtes se tournent simultanément vers la caisse 17 où Christie les observe avec un regard lointain… : Ces trois personnages sont fascinés par ces rencontres. Ils sont portés par un courant magnétique qui les pousse dans cette originale rencontre hors du temps. Ces rendez-vous leur sont nécessaires. Ces trois personnes si différentes, se cherchent, s’interrogent. Tapis dans leur solitude ils sont à la recherche d’un mystère sans vouloir aboutir. Ils n’osent franchir cette frontière, s’enferment : ce sortilège né dans une grande surface, Théo, Marie et Christie inconsciemment le vivent.