Un souvenir de chaque port
Un coup de cœur, un cadeau offert par une fille
Entouré de falbalas, une ancre en miniature
Voilà plusieurs semaines qu’ils devisent tranquillement assis sur une chaise près du portail sans s’inquiéter. L’homme à la tondeuse à gazon et la dame à la twingo installés sereinement tendent le cou pour mieux s’entendre, mieux se voir, mieux s’écouter. Ils jouissent du moment avec gourmandise.
Les deux tourtereaux sont là, assis face à face sans penser au lendemain.
Dans sa pièce aménagée avec soin : quelques souvenirs achetés dans un port… Quelques falbalas… Un coup de cœur, un cadeau, souvenir d’une fille, une ancre miniature : il veut se rappeler la fille, fronce ses sourcils, tape sa poitrine Bon Dieu ! Je ne me souviens pas !
Rallant, suffocant devant son incapacité à proposer à sa dame de changer la couleur de sa voiture il voudrait clamer ces mots, ces mots qu’il faut connaître, lui, le fougueux, l’intrépide, l’indomptable, ces mots lui sont inconnus. Ah ! La maudite twingo, l’obstacle, la calamité, la catastrophe, la twingo fatale à leur amour !
Après s’être salués réciproquement : c’est un rituel, ils s’installent sur leurs chaises, prennent des nouvelles de leur santé, respire l’air tiède de cette douce après midi printanière. La dame sous son ombrelle, l’homme en face d’elle. Avec un profond soupir de satisfaction (la dame semble plus loquace que d’habitude) j’ai longtemps hésité mais après mures réflexions je vais vous dévoiler quelques moments de ma vie. Vous avez avec des envolés de gestes et des mots de marins raconté des histoires si drôles qu’il m’arrive en me les rappelant de rire. L’homme au visage grave, sévère, douloureux, un regard profond fixe la dame. Sa belle stature la trouble, elle secoue sa tête, prend sa main qu’elle pétrie dans les siennes.
- Ah ! Monsieur ! Avez-vous eu des passions dans votre vie ?
- J’étais pêcheur de baleines. Notre pinasse était pour mes matelots et moi notre passion, rien n’était trop beau pour elle ! On la nettoyait, l’astiquait la regardait par tous les coins, elle prenait toute notre attention, oui, c’était bien notre passion madame. La pinasse mes matelots et moi ne faisions qu’un. Je la compare à une femme à qui l'on a voué sa vie.
- Et, parmi les femmes que vous avez connues ?
- Elles étaient superbes, c’étaient les femmes des ports, elles égayaient nos soirées. Je suis un vieux garçon !
Les années passent, mais notre cœur reste le même
Vous toussotez madame, tenez prenez ce tricot : je l’ai pris pour vous.
Je voyais une dame avec une twingo rouge s’approcher, s’arrêter devant ma maison puis elle disparaissait. Ce manège en premier temps m’intrigua, pourtant ces moments là, fussent-ils si courts me rendaient prisonnier en quelque sorte de vous, madame.
- Ah ! Votre tondeuse comme elle a été perturbante elle était si bruyante, et vous étiez si drôle perché dessus. Depuis des années je disparaissais avec les esprits de votre maison. Le brave homme tend son cou frappé par l’esprit de la dame de la twingo ; madame : tenez couvrez-vous, vous toussez.
- C’est une irritation. Depuis mes vingt quatre ans je traîne cette irritation, c’est la conséquence d’une pleurésie.
Je suis bien, là, avec vous.
- Et vous madame, avez-vous eu des passions ?
- Oui monsieur j’ai connu la passion, il n’eut été pour moi pas vivable de vivre sans passion. Je fatiguais, je devais freiner. C’est une passion douce et paisible que j’ai avec vous, elle approche son visage de lui, pose un baiser sur ses lèvres. Je vous aime monsieur, vous êtes ma dernière passion. Une petite toux la fait lever. Nous devons rentrer.
Dans un regard malicieux en prenant le bras de l’homme
Se tournant vers la twingo
Elle est belle
Nous l’aimons madame
2010-01-07
Liliane Boyrie .