Avalant par petites gorgées Christie avec nonchalance remue avec sa petite cuillère dans un mouvement circulaire son sorbet quelle transforme en mayonnaise. Elle le savoure.
–. J’aime te regarder Christie, tu as une grâce enfantine qui me ravit, il y a quelque chose de puéril de maladroit, de si jeune, j’en suis bouleversé, et si ému. Je voudrais t’attraper, mais tu m’échappes, et tu t’échappes, je suis sans filet avec toi. En ce moment pour moi c’est un moment béni Christie, nous pouvons parler, nous confier. Viens vivre à Londres, tout s’arrangera si nous vivons ensemble. Christie le regarde l’écoute, songeuse elle se frotte le front afin de mettre ses idées en place, le regarde longuement en hochant la tête. Elle n’a aucune envie de se faire du mouron en ce moment. Philosophe Tony pense que l’essentiel eh ! Bien, c’est d’être avec elle, de lui prendre les mains, de la voir rire, oui pour l’instant c’est bien de la voir rire.
- Un jour quelque chose se produira, j’en suis convaincue. Essaie de me comprendre Tony : je n’ai pas encore trouvé ma voie, c’est le problème. Ce n’est pas sans conséquences que nous nous retrouvons tous les vendredis, tous les trois à la même heure, à la même caisse, j’en suis vraiment consciente.
- Mais tu te mines avec ça.
- Je suis navrée Tony ! Vraiment désolée, je t’aime, tu es là, et quoiqu’il puisse m’arriver avec toi j’aurai toujours ce bon équilibre qui m’est nécessaire, indispensable, et puis, je crois en ma nature positive. Tu vois en ce moment tu me pousses à réagir c’est bien de ta part, mais évitons d’en parler ; si tu veux bien ; tout est flou dans sa tête. Je ne suis jamais seule, je t’appelle, il y a aussi mes amis qui me détendent lorsque je les vois, mes parents. Tony l’instant est court quand ton rêve t’emporte loin… bien loin…il faut préserver ce moment à tout prix, il est si précieux. C’est un soutien dans ma vie, j’aimerais que tu me comprennes.
Quand tu ris Christie c’est tout le bonheur du monde que j’ai en moi, te prendre dans mes bras, caresser tes cheveux, t’écouter, ta façon de t’habiller, ta démarche, tes hésitations, tes maladresses, tes inquiétudes ! Et aussi toutes les devinettes que tu me poses, tu es si intéressante que je ne m’ennuie jamais avec toi. Sentir ton corps près de moi, me fondre en toi Christie. Christie est au comble de l’émotion, elle tourne la tête pour se cacher : Tony lui prend la main l’amène à se lever.
. Des milliers de petites étoiles scintillent dans le ciel des petits points lumineux, inaccessibles, fascinants. Assis sur les escaliers de la butte Montmartre enlacés ils regardent les étoiles en essayant de leur donner un nom, frissonnant Tony presse son amie de rentrer Le Sacré Cœur rayonne : un dernier coup d’œil Christie murmure, c’est beau. Allègrement ils marchent, traversent les rues, regardent les vitrines éclairées : des trottoirs bruyants, une foule colorée , des touristes : les gens s’agitent. Ils vont bras dessus, bras dessous prendre le métro. A cette heure tardive le métro est calme : quelques noctambules, des travailleurs fatigués. Bercés par le bruit du métro ils doivent lutter pour ne pas dormir. Arrivés dans le studio ils s’affalent sur le divan.
Il est un petit café dans un petit coin de Paris qui s’appelle le petit Futé pas loin du canal St Martin, c’est là où ont échoué Christie et Tony.
Assis au comptoir de ce petit café devant un verre de bière, accoudés sur le zinc, apparemment heureux dans ce petit café où ils ont échoué fatigués après une longue marche, le dos courbé ils trinquent. Les machines grondent, sifflent, tous ces anciens bruits de comptoir que nous aimons on les retrouve ici, dans ce petit café. Alignés devant le comptoir, des hommes, des hommes du coin. Dans la salle quelques tables, des banquettes trouées, rapiécées, des hommes lisent leur journal la tête appuyée sur leurs mains ou bras croisés sur la table, jambes repliées, dos fatigués, courbés, d’autres parcourent la salle de regards indifférents, éteints ou réfléchis. Les gens se regardent, s’observent, quelques uns avec avarice savourent leur bière, d’autres l’avalent d’un trait : une odeur de tabac, de vin prend la gorge. Christie et Tony ont vite ingurgité leur demi, d’un bref coup d’œil ils s’interrogent, tapotent leur verre, impatients d’en avoir un autre. Une allure nonchalante, une silhouette de rugbyman le patron aux gros bras musclés s’approche d’eux jongle avec les verres, trinque avec les clients, de sa voix grave les interpelle. Nullement déplacé dans la grande métropole qu’est Paris ce petit café nous rappelle ceux de nos villages. Le patron est jovial, un accent méridional… Christie et Tony intéressés l’écoutent, le questionnent, se renseignent sur le coin, se mêlent aux conversations, détendus, Tout parait si simple qu’on aimerait y rester. Christie et Tony d’un équilibre instable cherchent une table pour savourer leur demi, assis. La bière aidant ils voient tout en rose .
- S’il vous plaît ? Une bière.
Ses yeux brillent comme deux phares, sa peau a pris une couleur écrevisse inhabituelle, il regarde Christie avec insistance et gaillardise. Christie ne le reconnaît pas : lui si raide, si à cheval sur les principes, aujourd’hui col ouvert, coudes sur la table, un large sourire sur le visage regarde Christie singulièrement. Il n’a qu’une envie c’est de la prendre dans ses bras.
- Tu n’as jamais été aussi belle Christie, je t’aime, tu me fais souffrir. Le soleil glisse sur la table, la poussière voltige dans l’air, l’atmosphère enfumée, l’odeur de bière, leur demi presque ingurgité ils se regardent avec convoitise les yeux brillants. Aujourd’hui Christie béate voit Tony sous un autre angle, son image vacille dans ses yeux.
- Tony ça tourne !
- Ne t’inquiètes pas, tu boiras un café.
- Ne t’affoles pas Tony : elle lui prend la main une fois encore pour le rassurer. Ses yeux chavirent Holà ! Tony, je te vois double. triple. Elle respire à fond, trois, quatre inspirations, expirations, la poitrine bombée elle avale la vie. Ne te fais pas de soucis Tony, ne t’inquiètes pas bafouille Christie. C’est une évidence en ce moment Christie n’est pas très réaliste avec son ami Tony : elle présente son histoire avec beaucoup de légèreté ! Un peu partie elle bredouille : tu es ma vie Tony, je t’aime bafouille Christie d’une voix à peine perceptible. (Christie bafouille), elle frissonne, lui prend les mains, les glisse sur le rayon de soleil qui colore la table. Après plusieurs verres de bière Tony est enclin à tout comprendre. Plusieurs bonnes respirations amènent Christie à reprendre ses esprits, (le petit café aidant) Elle se laisse aller, membres décontractés, bras ballants, yeux à demi clos elle contemple Tony. Autour d’eux, ankylosés, une dernière cigarette, les hommes se lèvent péniblement, cassés, un dernier salut au patron.
Confiante en Tony Christie un peu éméchée n’arrête pas de le regarder.
- J’ai vu les Harrisson dernièrement ; ce sont des gens charmants, ils viennent en France bientôt. Tu les connais ? Ils pourraient passer te voir. Ce sont de bons vivants, tu leur es très sympathique, ils s’informent souvent de toi : qu’est-ce que je dois leur dire. Ils t’invitent souvent.
- Je veux bien. Arrange toi pour être là ! Ils sont à la retraite ? Tu leur a mentionné l’hôtel près de chez nous, ils viennent quand ?
- Je vais m’en occuper. N’importe comment nous nous arrangerons pour leur faire connaître les plus beaux monuments de Paris ! Ils sont charmants, je vais souvent les voir. je suis accueilli comme un membre de la famille. L’ambiance est très british, je te l’ai dit déjà ils ont proposé de me loger, c’est très chaleureux de leur part.
- Tony, je veux bien les recevoir quand tu es là : tu ne réponds pas. .
- je t’ai dit qu’on serait tous les deux. Ah ! Comme tu t’inquiètes inutilement.
- Je baragouine l’anglais.
- Je parlerai pour deux
- Madame Bompon attend beaucoup de moi, je vais m’arranger avec elle autant que je peux. Allez, tu leur dis que nous les attendons : C’est vrai ils sont sympathiques : après tout ça me fera plaisir de les voir. Je les trouve un peu guindés : tu vois ce que je veux dire…
- Ton avis changera en les voyant.
- C’est bien vague tout ça
- Qu’est ce qui est vague ?
- Nous irons le week-end prochain, si tu veux, pour me rassurer. Je suis timide. Ils étaient profs je crois de fac, je ne me sens pas à leur hauteur, je vais être malheureuse, j’ai peur qu’ils me sous- évaluent ; je suis une autodidacte moi. J’ai peur qu’ils s’ennuient avec moi, qu’ils soient déçus. Ma vie est si différente, je m’inquiète de ce qu’ils vont penser de moi, et si ils se moquaient de moi !! Tony n’en revient pas, il n’en crois pas ses oreilles, il est interloqué.
- Christie, j’ai mal entendu : malheureux devant ses tourments, abasourdi il lui presse les mains, les embrasse. Tu es française, tu les surprendras, c’est bien.
- Je suis mal à l’aise avec eux, tu pourrais faire un effort pour m’aider à améliorer mon anglais.
- Ne te fais pas de souci, un regard plein de tendresse, d’amour. Tony patient cherche à décomplexer Christie.
- Je parlerai pour nous deux.
- Après tout ça mettra du piment de baragouiner l’anglais. Malgré mes efforts, je n’arrive pas à m’améliorer : je n’ai aucun don pour les langues, et toi tu ne cherches pas à m’aider : c’est un vrai désastre : et Christie de nouveau effrayée à l’idée de recevoir ces anglais part dans des lamentations sans fin. Elle qui a tant d’aplomb est prise de frayeur à la pensée de paraître ridicule.
- Tu n’as pas à t’inquiéter ils parlent français.
- Ca va faire des quiproquos, leur français est si mauvais. .
- Ne sois pas méchante, je t’assure ils sont charmants, tu es injuste envers eux. Vois comme tu réagis, je t’assure que tu es une sauvage.
- Je suis un peu sauvage c’est vrai. Après tout j’ai besoin de voir du monde. Leur jardin est toujours ce fouillis bien ordonné ? Je m’étonne qu’ils arrivent à s’y retrouver, c’est très bien agencé, leur coin est une petite merveille. J’admire le travail et le bon goût qu’ils mettent à cultiver leurs légumes, leurs fleurs. J’ai remarqué, il y en a pour toutes les saisons, c’est très étudié, comment arrivent-ils à tout faire ? Helena chaque fois me montre ses fleurs aux noms compliqués … certes être avec eux au milieu de leurs fleurs est un réel enchantement. Et leurs chats ? La dernière fois il y en avait trois qui dormaient, plus un qui s’est frotté à mes jambes, combien elle en a ?
- Cinq.
- Et, quand ils partent ?
- Les voisins s’en chargent. Ils ont de charmants voisins.
- Ils ont de la chance, mais tu parles d’une sinécure.
Tony ne se lasse pas de regarder Christie, ses yeux pétillent, sa tendresse est impalpable mais Christie en est toute remuée, elle fond littéralement. Encore quelques aspirations, quelques expirations, un regard circulaire ils se lèvent lorsque Christie soudain se lance dans un long discours qui n’entame en rien la patience de Tony. Elle lui prend la main pour la énième fois, d’une pression forte l’invite à se rasseoir : comment se fait il qu’il y ait entre eux deux, un amour si fidèle, une amitié si profonde, une si grande tendresse, alors qu’ils sont si différents. Christie lui montre son amour à sa façon, souvent discrète, trop discrète peut être, un petit contacte de main, un frôlement, un regard, un mouvement du corps. Comment se fait-il qu’il puisse y avoir ce petit grain de sable qui fait faire des ratés à ce magnifique assemblage que sont Christie et Tony ! Pourtant, devant le front soucieux de Christie, Tony retient les paroles qu’il allait dire.