- Et, tant que tu y es ! Pourquoi ne serait il pas… président de la république aussi ? Pourquoi pas ? Et puis qui te dit qu’il veut être routier, ce n’est pas son désir non plus, je pense.
- Ne ris pas amie ! Il aura toutes les femmes ; je suis sûr qu’il a du succès auprès des filles. C’est un trop beau garçon grand, bien bâti : ce qui me tracasse, comment t’expliquer… c’est sa retenue… tu ne le trouves pas timide ?
- Peut être, c’est un garçon il ne se confie pas.
- Ah ! Vois-tu, j’aurais préféré qu’il soit plus commun. Marie est belle aussi mais si en retrait qu’il faut être un connaisseur pour la remarquer, son délicat visage fait penser aux vierges de Botticelli. Tu m’as fait de trop beaux enfants Manou, j’ai peur. Maintenant Thomas doit faire un bon choix ; ça vie en dépend. Il faut qu’il ait une situation faite pour lui, pour sa sensibilité, sa délicatesse, son intelligence : comme Marie il est trop secret ... je le trouve bien effacé…il faut des yeux exercé à la beauté, des connaisseurs pour les remarquer tous les deux, la beauté de l’âme est invisible… Toi Manou c’est ton rôle de voir, de prévoir tout ce qui peut arriver : ne sois pas surprise par ce que je te dis.
- Surprise ! ça tu peux dire que je suis surprise. Tu caches bien ton jeu, toi, mon homme, noueux, dur comme du béton, dur au travail. Regardez moi ce tas de muscles placé là où il faut, se transformer en ce délicat personnage… Je suis ébahie, ça tu peux le dire, il faut qu’il y ait nos enfants pour qu’on se connaisse. Elle le contrefait. Ah ! Tu m’as fait de beaux enfants…ce délicat visage fait penser aux vierges de Botticelli. Son regard, Manou, c’est le regard d’un ange. : Vois tu Igor, tu es entouré de gros tas de muscles de ton genre, alors tu ne vois pas tes enfants tels qu’ils sont : Thomas n’a rien d’un ange, c’est un beau garçon je l’admets, sûr qu’on pourrait fonder des espoirs. Maintenant il est grand, c’est à lui de choisir, tu comprends ! Les parents ont des ambitions qui ne correspondent pas à celles de leurs enfants, qu’ils soient heureux c’est notre souhait.
Il était puéril, naïf ! Et en se remémorant cette scène il est encore tout retourné. Ce jour là sa vie a basculé, il se revoit montant les escaliers à toute allure, poussé par une jalousie féroce qu’il ne soupçonnait pas, blessé dans son cœur, découvrant qu’il n’est pas le seul détenteur de l’amour de sa mère, qu’il n’est pas le centre de la maison. Abandonné, désespéré, en retenant ses larmes il est allé se cacher dans sa chambre.
Un regard lointain sur les bateaux, pensif, isolé, il a de la peine à comprendre cette tragédie qui l’a fait basculé de l’adolescence à l’âge adulte. Ce jour là il s’est fait une carapace qu’il gardera toute sa vie ; se promettant que, seul, désormais il gérerait sa vie. Les vagues doucement clapotent dans ses yeux, ses yeux ont la nuance de l’eau la douceur de la brise. Il caresse l’endroit, l’endroit encore lointain où personne ne l’empêchera d’aller. Dans peu de temps il aura dix sept ans : il vient d’avoir son bac, un bac dont il n’a rien à faire, pourquoi un bac quand on veut être pécheur ! La tête levée il regarde sans voir autour de lui, pensif. Ce retour en arrière l’a ému, il doit faire des efforts, se secouer pour retrouver la vigueur qui le caractérise lorsqu’il est là, sur le port de Marseille. Il aimerait bien trouver son copain Paul. Il s’approche du bord, s’approche des laborieux pêcheurs prompts à réparer les filets. Enervé il déambule aux alentours, puis décide enfin de partir. Le besoin de se confier le taraude. Timide, maladroit devant les filles qui le cherchent, il ne sait pas quoi faire, aussi il aime en parler à son copain Paul. Sa première cigarette l’a écœuré, pris d’une quinte de toux qui a failli l’étouffer il s’est arrêté. Quelquefois les filles l’arrêtent mais devant leur audace il file, confus, accélère le pas en rougissant, tout malheureux, insatisfait. Aujourd’hui ne trouvant pas son copain il va à la recherche de Mathieu. : il a connu Mathieu dans un petit port de pêche voisin de Marseille. Mathieu est un ami depuis longtemps, il le rencontre parfois sur le port de Marseille. Il est pêcheur, fort d’une grande expérience il représente pour Thomas le pêcheur tel qu’il l’entend ; Thomas le rencontre dans le petit port à coté de Marseille orsqu’il traîne autour des bateaux. Mathieu parle du métier, de ses aventures, lui explique la dureté du travail, les durs moments sous les tempêtes, les creux des vagues où on croit ne plus revoir le ciel : il cherche à intéresser Thomas qui l’écoute, bouche bée. : Mathieu est un pêcheur bien bâti avec de larges épaules, musclé, hâlé, ridé par le vent, le soleil du grand large. Son visage expressif, ses yeux bleus rapetissés par les embruns, son corps solide, sa démarche lente, son assurance tranquille, Mathieu est tout à fait le type d’homme que Thomas aimerait être ! Et pour Thomas il faut être pêcheur pour acquérir toutes ces qualités. Déjà il apprend le métier en écoutant Mathieu, cet homme qu’il admire. Il écoute religieusement ses aventures, rêve d’être comme lui, libre, solide, fier, vaillant, dur.
Mélancolique, il jette un regard autour de lui, déçu. Mais aujourd’hui est un jour néfaste, les choses se liguent contre lui pour le contrarier, et il a beau regarder, et regarder il n’y a ni Mathieu, ni son copain Paul. Je vais aller à Paris voir Marie, je discuterai de mes projets avec elle … Il jette un dernier regard sur les bateaux amarrés le long du quai, se dépêche pour aller faire un tour aux calanques. Il ramènera à sa mère des crevettes, des crabes, des coquillages.. Rentré chez lui, grincheux, Thomas tourne en rond, la faim le tenaille : comment faire pour aller au frigidaire sans être remarqué. Penché contre la rampe de l’escalier il tend l’oreille, tente d’apercevoir la silhouette de sa mère, il descend une marche, la remonte, puis dévale l’escalier à toute allure : le grand air lui a ouvert l’appétit. Il remonte dans sa chambre, s’étend sur son lit pour écouter sa musique préférée. Goulûment il mord dans son sandwich, manque de s’étouffer, se relève mécontent. Au bout d’un moment n’y tenant plus il redescend les marches.
- Maman ?
- Oui ?
- Paul est venu ?
- Non.
Il y a une trotte d’un kilomètre par des sentiers abruptes pour aller chez Paul, aussi Thomas l’appelle avant d’aller chez lui. Paul est un bon copain, tranquille et paisible qui passe des examens pour faire un travail de bureau stable, rentrer chez lui à heures fixes tous les jours, enfin une vie quiète sans surprises. Il cherche à calmer les ardeurs de Thomas trouve bizarre son goût pour la pêche.
Il prend son portable.
- Paul ? J’ai besoin de te parler : ça ne te dérange pas trop ; je suis dans de sérieux problèmes en ce moment, je dois prendre une décision.
- Viens quand tu veux, je suis à la maison.
- J’arrive . Dans le chemin sinueux qui l’amène chez Paul Thomas marche, fougueux, emporté par sa passion il enjambe les obstacles sans les voir. Devant la porte il reprend sa respiration, se prépare pour lui annoncer la nouvelle pour la quantième fois, et c'est chaque fois les mêmes questions… ! les mêmes réponses… ! Rajustant ses habits en désordre il frappe à la porte, en prenant un air désinvolte devant son ami Paul autant qu’il peut il lui tape sur l’épaule
Thomas s’affale sur une chaise épuisé, ferme les yeux un instant, pousse un long soupir pour évacuer ses problèmes, Paul, j’ai des raisons d’être tracassé ; tu sais quelle est ma décision : je veux être pêcheur. Pour mon père c’est hors de question, ma mère est plus coule, elle sera avec moi.
- Eh ! bien alors de quoi tu te plains ! C’est ta mère qui aura le dernier mot : les mères comprennent mieux leurs enfants . Tu te bats contre qui ? Alors.
- j’avais besoin de t’en parler, mon tourment c’est l’idée de leur annoncer . Je vais en parler à ma sœur : qu’en dis tu ?
- En effet, elle sera un lien entre toi et ton père que tu crains. : Paul, garçon fluet à peine sorti de l’adolescence se campe devant son copain, l’observe avec un sérieux qu’on ne soupçonnerait pas chez un si jeune garçon, le jauge un moment, puis avec un geste d’énervement lui déclare tout bonnement qu’il doit se comporter comme homme, car la vie d’un pêcheur est faite pour les vrais hommes, durs. Et puis tu es majeur, fais à ta guise.
- Tu as raison, excuse moi, c’est trop bête, je suis entrain de me comporter comme un gamin. : sur ce il se lève, attrape le trophée du match de football de fin d’année gagné avec les copains puis retrouve son entrain. On l’a bien mérité celui là : Avec fougue ils analysent, décortiquent le match dans des explications savantes sur le match de football de fin d’année.
- Ma décision est prise, j’arrête mes études. Comment annoncer à mes parents que je veux être pêcheur ? Quelle déception pour eux, ils en sont tellement loin ! Je ne sais pas comment faire, tu as une idée ? Et Thomas rabâche la même histoire, encore et encore !
- Eh bien, tu leur dis tout simplement je veux être un pêcheur du grand large. C’est ce que tu veux ? Alors fonce !
- Je vais aller voir ma sœur, elle arrangera ça.
- Tu es sûr de toi Thomas.
- Oui
- Méfie toi tout de même : c’est un dur métier.
- Je l’apprendrai sur le tas. Je connais une école payante : il n’en n’est pas question, je n’aime pas les études. Je connais quelqu’un qui me l’apprendra. J’aimerai ce travail, je le sais. Je sais aussi que je décevrai mes parents, surtout mon père qui a des ambitions pour moi, il voudrait que j’ai un bon bagage pour être ingénieur, ou autre chose, ou qui sait quoi ! Fier de son fils devant ses amis. : un ingénieur, ça le monterait tu vois! Moi j’en ai rien à cirer.
- Oui, mais les bateaux que tu vois, qui se balancent joliment, c’est bien beau ! Ils sont amarrés, quand tu seras sous la tempête avec des vagues géantes qui recouvriront le bateau qui se fracassera dans les flots, ou contre des rochers : quand tu auras froid au point de ne plus sentir tes mains, ne plus pouvoir bouger, tu verras ! Ce sera l’enfer que tu vivras !
- Tu es un bon et généreux ami Paul. Mais il y a en moi une volonté farouche que rien n’arrêtera. Mon ami Mathieu est bien portant, bien vivant, alors ! J’aimerais que tu le vois, je te le présenterai. Imagine un homme hâlé, un visage où tu lis des milliers d’aventures, et sa masse de muscles. Quand on le voit, on a envie de l’aborder pour lui parler. Sa démarche est assurée, calme, lente : tu vois Paul ! C’est ce que je veux être, je veux avoir sa paix, son calme, sa sagesse, tu me comprends ? Si un jour tu le vois, parle lui de moi,
- Comment veux tu que je le vois ! Paul regarde la fine musculature de Thomas, l’élégant jeune homme, songeur, il se demande s’il doit continuer à l’encourager : tu es sur de toi, réfléchis, ne te jette pas dans cette aventure. J’aimerais bien voir Mathieu, comment je vais le reconnaître?
- Ce n’est pas un problème, dans le petit port, un jour tu le verras sur les quais...je ne peux pas t’indiquer le jour, ce n’est pas régulier. Son bateau s’appelle « les matins joyeux » Je ne sais pas ! Je ne peux pas te donner un jour, ça dépend du temps, tu comprends ! Son bateau est le troisième.
Allez, bay.
De retour chez lui, en catimini il monte les escaliers sans bruit rentre dans sa chambre avec un désir de silence et de calme. Assis sur son lit la tête dans ses mains il pense à Paul. Enervé il se lève fait quelques pas, prend son baladeur s’installe à nouveau sur son lit, mais ne tenant pas en place d’un bon il se lève, dévale les escaliers à toute allure, s’arrête net, fait demi tour, les remonte aussi vite.
- Allo ? Marie ! : Ah ! Personne.
Ce voyage à Paris il y pense depuis longtemps. L’argent durement gagné par ses parents lui a appris à être économe. Tout l’argent que lui donnaient ses parents ses grands parents au moment des fêtes, il l’a économisé. Pensif, il revoit les réunions de famille avec ses grands parents. « J’ai pas mal d’argent après tout : ce sera mon voyage : il est loin le moment où il allait à Paris avec sa mère en trottinant près d’elle comme il pouvait.
- Allô ? Marie.
- Thomas! Toutes mes félicitations ; j’allais justement t’appeler.
- Ca va ?
- Ca va. Et toi ? Et les parents ?
- Bien, tout le monde va bien. J’aimerais venir vous voir.
- Quand tu veux.
- Tu as des vacances bientôt ?
- Dans quinze jours. Maman est au courant ?
- Non pas encore.
- Quel bonheur de t’entendre, je pense très souvent à vous tous.
- Théo ?
- Il n’est pas encore rentré.
La conversation avec sa sœur l’a encouragé. Sa mère l’intimide, il est ému par cette belle femme, jeune encore, belle, douce, vaillante ; Thomas est encore sous l’influence de sa mère . justement il veut faire face à ses propres valeurs et évacuer la douce emprise « croit il » de sa mère. Il s’entend dire : tu es si belle maman que jamais je ne pourrai trouver une femme t’égaler, et chaque fois elle répond : quel petit sot tu fais, puis ponctué d’un petit haussement d’épaule elle le renvoie. (Dans le fond elle est très touchée par ce compliment) Pensif, le portable dans sa main, perplexe, il descend. Thomas d’un air détaché demande à sa mère ce qu’elle fait, puis va se laver les mains, s’approche d’elle pour l’embrasser.
- J’ai téléphoné à Marie, je pense aller la voir pour les vacances, dans une quinzaine.
- Bien, tu me diras ce qu’il te faut.
- J’y réfléchirais
- Je pourrais t’aider ?
- Non, merci
Vive, svelte elle court partout maman d’une pièce à l’autre : la cuisine étant sa pièce de prédilection. Elle aime préparer ses petits plats, bien à elle et jamais elle n’est aussi heureuse que lorsqu’elle les voit dit-elle : dévorer goulûment. De temps en temps pourtant elle ronchonne entre ses dents : tout de même ils pourraient me faire un compliment
- Elle est en vacances ?
- Dans quinze jours.
-. Elle va bien ?
- Elle a l’air en forme.
- Ca me fait plaisir que tu vois ta sœur. Si tu savais comme je me languis de ne pas aller la voir. Comment convaincre ton père, son travail de chauffeur routier est fatigant, aussi lorsqu’il est là il ne souhaite que retrouver sa vie de famille. Parles en à ton père ; il t’écoutera peut-être ! Bâ… tu me secoues, il rentre la semaine prochaine, ton exemple va peut être le stimuler. Tu sais lorsqu’il est là c’est la pétanque avec les copains, comment veux tu l’enlever de ça ! Je me languis de ta sœur. Elle vient bien sur, mais c’est pas ça, Thomas, c’est pas ça, comme ça tu me donneras de ses nouvelles toutes fraîches. Ton départ me réjouit, Marie me tracasse elle est si fragile si sensible, trop fine, trop douce. Je crains qu’elle ne se fasse avoir un jour, elle est si naïve, si crédule. Cette grande ville n’est pas faite pour elle, j’ai peur. Théo est solide lui.
- Que veux tu qu’il lui arrive maman ?
- Tant de choses peuvent arriver…
- Théo est très amoureux aussi.
- c’est vrai.