Histoires de Rinette
Christie assise sur son banc jambes repliées tête dans ses bras somnolait. De sa fenêtre Lucien attendait les signes convenus pour la rejoindre, les jumelles sur les yeux il voyait Christie, il grossit l’image, Christie dormait il alla s’asseoir à son bureau. Elle transgressait les habitudes, il prit son journal Le Monde mais inquiet retourna à la fenêtre constata à nouveau qu’elle dormait, tracassé, sortit, traversa la rue le journal sous le bras pour rejoindre Christie, s’approcha à pas de loup pour ne pas la réveiller ; Christie se redressa pour le saluer.
- Assied toi.
Ils se saluèrent avec leurs habitudes puis s’assirent.
Lucien la connaissait la devinait, il déplia son journal jeta un regard curieux sur Christie interrogatif : chercha l’accord, l’approbation ; Christie allait sombrer doucement vers un demi sommeil.
- Tu te prépares Rinette c’est le jour.
Nous allions chez tante Léa.
Nous allions toutes les semaines voir la tante, maman lisait son feuilleton que la tante prenait soin de garder dans le journal La Charente Libre.
Ce jour là la maison de la tante est fermée nous allons dans le village à sa recherche, c’est un moment pénible car maman fait conversation, je trépigne d’impatience.
- Vous la trouverez dans ses vignes
- Maman ! Maman ! Je vais la chercher tu permets ?
- Vas y je te rejoins.
J’aime tante Léa chaque fois je lui défais son chignon pour voir tomber ses beaux cheveux d’un blanc magnifique mousseux car elle a la grande amabilité de me le permettre.
Je pars en courant d’un trait jusqu’aux vignes où tante Léa cassé en deux (c’est ainsi que je la vois) nettoie ses sillons. C’est le moment où j’aime la voir relever son échine péniblement son visage s’éclaire du sourire le plus beau que j’ai jamais vu malgré sa bouche édentée, je la regarde puis j’enjambe le talus je la rejoins pour l’embrasser.
Nous cheminons ensemble sur la route, j’emboîte mes pas à ses pas ce qui me fait faire des enjambées que je maîtrise en lui prenant la main, alors elle me raconte naturellement son histoire que j’aime entendre.
Je lui tricotais des chaussettes il n’avait jamais froid aux pieds, des moufles il avait les mains au chaud, j’écoute son histoire que je trouve très belle, elle y met une grande douceur, une tendresse, j’imagine les chaussettes tant aimées. Ses yeux brillent d’une flamme qui l’illumine, je lève la tête vers elle pour la regarder.
C’est sa manière à elle de faire vivre son fils, unique, mort sur le champ d’honneur à Verdun
- Voilà maman !
Une fois par semaine nous allons chez tante Léa maman pour lire son feuilleton moi pour brosser les cheveux de tante Léa, maman attrape les sept journaux autant qu’il y a de jours dans la semaine. Tante Léa aime avoir son journal La Charente Libre pendant ce temps je tourne en rond autour de la table, je piste le magnifique peigne en os que je brandis comme un trophée sous les yeux de ma chère tante accompagnée du regard sévère de maman.
- Je peux tante.
Ils étaient magnifiques Christie, tous blancs je défaisais son chignon voyais la belle chevelure se déployer tomber sur ses épaules comme un linceul, je les brossais.
- Ils sont beaux tes cheveux tante, je voudrais des cheveux comme les tiens.
Christie les cinq kilomètres que nous faisions à pied (nous n’avions pas de voiture et la fois où maman a fait du vélo elle a manqué se tuer !) annonciateurs de bonnes choses nous les parcourions joyeusement moi je courais devant m’arrêtais et lançais des Ouh !Ouh ! Avec de grands gestes.
Je tournais ma tête vers Lucien sans le voir car Rinette s’était saisie de mon être, je savais que cet engouement que j’avais pour elle était irrémédiable, je ne pouvais que l’aimer.
- Alors tu étais avec Rinette, Julie ? Les deux Lucien les deux.
- Je suis fier de toi Christie, tu achèves ton tableau ?
- Oui, je mis une hésitation cherchait le souffle sur ma figure qui me rafraîchissait j’étirais mon cou pour le retrouver sentir le bienfait, je bénissais le Seigneur de me régénérer avec cette caresse si douce.
Liliane Boyrie 22/07/2011.