trois
Conversations
Les crêpes de Manie
J’étais pleine d’entrain ce jour là, j’entamais la troisième couche d’un tableau j’étais dessus depuis le matin, je m’appliquais à donner l’accent final ; sur ma palette mes couleurs, chacune posée où il fallait permettait de faire mes mélanges. Impliquée par ce tableau, attentive à réussir mes mélanges, à passer mon pinceau jusqu’au dernier glacis. Le temps nécessaire à la rêverie m’était donné, quelques minutes, un temps de réflexion sur le tableau suivant prêt pour sa deuxième couche. Le calme, la bonne fatigue m’amenait vers une somnolence lorsque Lucien entra étonné de ne pas me voir sur le banc ;
Je ne savais si je rêvais si c’était la réalité, je fit l’effort pour sortir de cet engourdissement, retrouver l’esprit clair, devant moi Lucien me regardait, hésitait, je m’assurais en lui touchant la main de sa présence physique, je le priais de s’asseoir mon esprit était embrumé je percevais quelque peu ses mots de bienvenue comme un baume bienfaisant une caresse lointaine, quelques secousses de ma tête pour me remettre d’aplomb je me levais, pris mon carnet.
Lucien avait son journal Le Monde, le doux vent nous invitait à s’asseoir sur le banc
Quelques pas hésitants pour franchir la porte Lucien mon bras dans sa main pour m’aider, la douce brise rafraîchissait mon visage, je demandais à Lucien de s’arrêter pour goûter la fraîcheur du vent sur ma figure que je tendais, l’avalais. Le banc nous attendait ; nous prenons place. Lucien s’informa de mon tableau avant de déplier son journal, je tapotai mon carnet comme on frappe à la porte avant d’entrer.
Je retrouvais mes années d’enfance ;
J’étais une enfant unique, la maison n’était pas riche en progéniture ! Tante Amandine n’en désirait pas j’étais la seule petite fille de Manie, le pôle d’Amandine de Manie. J’allais de l’une à l’autre, les taquinais, mon enfance s’est passée dorlotée par deux femmes, ce fut une enfance où les rires se mélangeaient avec les pleurs, les inquiétudes de Manie les apitoiements de tante Amandine devant les tortures qu’on m’infligeait, les beuglements que je poussais ; Mes parents effarés devant cette éducation devant cette petite fille qu’ils avaient engendrée (diabolique ont-ils prononcé un jour devant moi) accusaient Manie et tante Amandine.
- Regarde Manie mon dessin, comment tu le trouves ? J’attrapais mon doigt que je suçais avec outrance ;
- D’abord à ton age on ne suce plus son doigt, si tu continues il va disparaître.
Je me tortillais sur ma chaise en tendant le dessin toute fière.
- La maîtresse est contente, elle m’a dit c’est très bien.
Ma brave Manie n’appréciait pas tous ces dessins que je coloriais trop assidue dessus, elle voulait une petite fille appliquée à écrire à lire, elle était sans indulgence devant mon carnet d’appréciations ce qui me causait du chagrin.
- Christie tu dois te discipliner.
Devant mes mutines façons de la conquérir elle ne cherchait qu’à me donner ce que je voulais.
- Que veut ma petite fille ? Elle me soulevait, m’embrassait.
- Des crêpes Manie, je sautais de joie ;
Je lui prenais la main la tirais vers la cuisine. Je regardais avide de savoir, de voir les mélanges la tête plantée au bord de la table, je regardais les magiciennes mains de Manie.
Liliane Boyrie 17/09/2011