Chapitre
1
Christie se lève,
elle a terminé son roman ; sa tête est lourde, dans un dernier sursaut
d’énergie elle va aller dans la grande surface où elle va régulièrement.
Installée à une caisse, après un effort de mémoire elle revoit ce couple
qu’elle avait remarqué il y a longtemps
et qui était resté dans sa mémoire. C’est avec plus d’attention qu’elle les
observe l’un après l’autre. Elle les avait distingués des autres car ils
étaient plus timides, plus effacés, plus
anonymes. Ils disparaissaient parmi le monde qui les entourait. Ces visages si
jeunes, ces corps d’adolescents si gracieux faisaient contraste avec leur
maintien plein de retenue, leurs habits ternes, sans recherche, comme une envie
de disparaître, de passer inaperçu : Christie l’avait ressenti. Elle
s’était attachée à ce couple qu’elle avait gardé en mémoire. Dans la file
d’attente après avoir jeté un regard autour d’elle, ses yeux s’arrêtent,
s’éloignent, puis reviennent. Intrigués. de retrouver cet intérêt et cette
émotion, étonnée par ses sensations, elle note le numéro de sa caisse :17
sur sa gauche caisse 16 le couple. Son regard avait glissé sur lui
en lui laissant une impression vague, ils sont là tous les deux tombés
on ne sait d’où… paumés… discrets… effacés…donnant l’impression de
deux orphelins abandonnés qui n’espèrent plus grand-chose de la vie. Et aujourd’hui, après un moment
d’hésitation, elle les retrouve par hasard. Ne comprenant pas pourquoi ils
s’étaient gravés dans sa mémoire, d’un air détaché elle les détaille un peu
plus. Tout en eux est anonyme, leurs habits, leurs tenues, leurs expressions.
Christie les regarde avec insistance. Sa première impression est différente de
ce qu’ils sont en réalité, ils paraissent plus petits qu’ils sont, plus tristes
aussi. Elle éprouve en les regardant une émotion. Ils sont jeunes entre vingt
et vingt cinq ans. Elle courbe l’échine pour mieux les voir sans être
vue. Surprise de l’attrait qu’elle leur trouve elle a tenté de les revoir
: Christie passe sa vie à écrire des romans assise devant son bureau.
La semaine
suivante Christie retourne à la même heure, à la même caisse, curieuse. Elle compte avoir peu de chance de les retrouver tous les deux
! Mais pourquoi pas ? Eh bien ! Devant
l’impensable ! ils sont là. Son impression première la laisse
indécise, perplexe. Ils sont beaux, pas d’une beauté fracassante !
Non, mais si parfaite que le regard glisse sur eux sans les voir. Christie s’interroge sur la beauté : une
imperfection dénote une originalité qui différencie les gens, c’est la première chose que l’on
remarque, qui attire, qui rassure, qui
plait ou ne plait pas : c’est l’être humain ! Ainsi, on a plus ou moins de
sympathie pour quelqu’un… Mais ce couple
est différent… : Pour lui, c’est autre chose… Autour d’elle, des couples : des gens
avec leurs histoires… ! Mais c’est vers ces deux là au maintien si
discret, si réservé qu’elle est attirée,
pourquoi ? : Elle va chercher à comprendre. Les regardant attentivement attirée par leur
étrangeté, leur transparence, intriguée, étonnée de s’intéresser à eux, elle
les regarde à nouveau afin de mieux saisir cette impression, puis haussant les
épaules marmonne pourquoi pas ! Ce phénomène qu’elle ressent vis-à-vis de
ce couple pour mieux saisir l’impression qu’il dégage, et poussée par
l’étrangeté de son attirance vers lui, elle insiste ; puis
carrément le regarde. : Ils se sourient : maintenant Christie reverra
ce couple chaque fois qu’elle voudra, car avec sa bonne mémoire visuelle il est
inscrit dans ses yeux.
Dans
la file autour d’elle des gens de tous
âges, de toutes conditions se côtoient, se regardent avec discrétion sans
insistance : coups d’œils anonymes. Les caddies sont chargés, surchargés.
Elle réfléchit à ce couple. En face les caissières comme des
feux follets apparaissent, disparaissent. Les gens attendent, le va et vient, les allées et venues, tout ce
peuple désireux de bien faire l’entoure. Dans tous les sens des lumières
jaillissent, éclaboussent Christie. Un peuple
mouvant dans tous les coins défile devant ses yeux. Ce ballet continu
autour d’elle Christie y est sensible. Débordant de vie au milieu de cette
orgie de marchandises, de couleurs, les enfants trottinent près de leurs
parents, joyeux, pleins d’envie d’en voir davantage. Ses yeux se posent de
nouveau sur ce couple qui au milieu de ce monde semble venir d’ailleurs. Le
contraste est si frappant qu’elle insiste pleine de compassion.
Ils me plaisent ces deux là, ils sont si
déphasés dans ce monde moderne ! Tout en eux indiquent
des personnages en retrait de cette vie trépidante ! : Elle voit les
rayons biens garnis, multicolores, tout cet assemblage actif, vivant, bruyant.
Elle enquête, furète, fouine un peu partout ; ses yeux viennent,
reviennent, passent, s’éloignent, reviennent encore sur ce jeune couple. J’essaie d’être discrète. C’est indéniable quelque chose l’a touchée. Fouillant dans sa
mémoire…elle se souvient bien… avoir vu
… vaguement … ce couple mais il est si effacé que les regards passent sans le voir, et pourtant ! Il est resté
dans sa mémoire. Gênée et curieuse à la fois avec insistance elle l’observe de
nouveau. : Qu’est-ce qu’il y a qui l’interpelle ? Pourquoi cet intérêt pour un couple qui
s’évapore dans la foule ! Elle hausse les épaules, cherche à se libérer, à
enlever de ses yeux cette image qui l’étonne beaucoup plus qu’elle
voudrait. Dans quelle situation Christie va-t-elle se mettre
encore ! Que penserait sa chère Manie… ! Son regard glisse, revient, se pose encore
sur lui. Soucieuse elle oublie la
caissière.
- Oh !
Excusez moi.
L’esprit embrumé elle fait ses manœuvres
habituelles pour décharger, recharger le caddie, paie et file vers sa voiture,
met en place ses achats dans le coffre. La pluie douce, continue, enveloppe la
cité d’une lumière diffuse, quelques lampadaires éclairent les allées. L’essuie
glace tel un métronome caresse la vitre. La lumière filtrée donne un aspect
fantasmagorique aux choses. Arrivée au parking elle vide son coffre. Encombrée
de son parapluie, de ses achats, les bras chargés elle se bat comme elle peut
avec ses clefs de voiture, maladroite,
les fait tomber. Tout est à
recommencer ! « C’est malheureux comme des petites choses peuvent vous gâter la vie. » Se battant de nouveau avec ses paquets et ses
clefs, une fois que tout est en ordre elle se précipite dans l’ascenseur. Dans
son studio, rapidement elle range avec
méthode les denrées dans le réfrigérateur, le regard aigu scrute l’intérieur.
Préoccupée par ce travail elle oublie ses tracas. Installée dans la salle de
séjour, assise devant son bureau, accoudée, la tête dans les mains elle
réfléchit à son nouveau roman. Mais elle
est préoccupée : une voix
l’interpelle souvent dans ces moments là, c’est la bonne voix de sa chère
Manie : Il faut travailler ma petite fille, moi j’aurais tant aimé
être institutrice ! C’est un bien joli métier tu sais ! (Manie désirait que je sois institutrice.) Cette inquiétude
permanente pour sa petite fille, cet amour immodéré, ces moments, Christie
aime les revivre. Pour chasser son inquiétude
elle va se faire un thé, le savoure
devant la fenêtre, caresse sa
tasse du bout des doigts en pensant à sa Manie qui lui chantait des tas de
chansons. Elle fredonne quelques airs appris
lorsqu’elle était petite, cherche les mots plus ou moins oubliés…
enfin toute heureuse, enlève quelques airs. Christie sourit, essaie de lire
dans les lignes de sa main… son avenir !
Se perd en conjectures de toutes sortes… (Il faudra
que je parle à Tony de ce couple) peut-être pourra-t-il m’expliquer…! Mais
pour l’instant je dois attendre encore. Je préfère garder pour moi cette
histoire invraisemblable. Nullement préparée pour devenir
et pratiquer le beau métier d’institutrice « comme regrette infiniment
Manie » avec l’aide de ses
parents elle a pris la voie de l’écriture ! Elle veut être
écrivain ! Après une longue méditation sur ce chemin difficile, en
soupirant elle va à son bureau. Renversée sur le dossier de sa chaise Christie
retrouve son sourire en pensant à toutes les contrariétés qu’elle doit
faire subir encore à sa chère
grand-mère.
- Hello… ? Manie, où es
tu ?
- Là…! Dans la salle à
manger.
- Qu’est ce que tu
fais ?
- Je mets de l’ordre : ta
mère et ton père laissent tout traîner !
: Manie range. Elle range les belles
assiettes du dimanche, les admire une dernière fois. Elles sont belles n’est ce
pas ? Ta mère à du goût.
Dans la salle à manger Manie s’échine à
ranger tout ce qui traîne ! :
-
Pourrais tu mettre ça dans l’armoire ? S’il te plaît. Christie la robe dans les mains la pose un
peu plus loin.
- Crois tu que Maman va trouver
ses habits ?
-
Je sais : elle grogne : mais
que veux tu, je ne peux pas vivre dans le désordre. Je respire mieux si autour
de moi tout est en ordre. .
- Tu veux que je t’aide ?
- Non ! Non ! : laisse
moi faire, j’ai l’habitude :
Christie désemparée regarde Manie : elle ne va pas la
contrarier…d’ailleurs, ce serait inutile !
–
Oh ! La ! La ! Quel foutoir : elle arrange comme
elle peut tous les habits qui traînent sur le canapé, le fauteuil, remet les
souliers à leur place : un dernier regard autour d’elle,
satisfaite :
-
Viens t’asseoir, là, l’entraînant, lui
montrant le divan, on va bavarder un peu toutes les deux ; nous sommes
seules, profitons en ! Christie
n’avait pas prévu ça. Elle venait embrasser Manie, puis compter partir sur un sourire radieux, lui renouveler ses vœux
de bonne santé. Rembrunie, connaissant d’avance toutes les questions auxquelles
elle va devoir faire face ! Elle cède devant l’insistance de sa
grand-mère.
Manie est
une jolie femme qui ferait battre
bien des cœurs… un visage triangulaire, des pommettes saillantes, des yeux bleus légèrement
enfoncés au regard vif, des beaux cheveux blonds « elle a choisi une très
jolie couleur, » des fossettes lorsqu’elle sourit : Manie vit ses années
sans complexe, « elle en paraît vingt de moins », souple et svelte encore.
- Tu te débrouilles bien
Christie ?
- j’ai
mon ami.
- Nous, nous faisons un sang d’encre pour
toi ! Présente nous le ! J’aimerais faire sa connaissance.
- Il
habite loin, il ne vient pas tellement souvent, lorsqu’il vient il préfère tu
comprends bien être avec moi. Je le
rejoins à Londres : mais sois rassurée il est très bien.
- Ce que je veux ma chérie c’est que tu sois
heureuse : qu’est ce qu’il fait ?
- Il est
dans le commerce international : import, export : c’est tout à fait
le jeune homme que tu aimerais me voir fréquenter Manie, je l’amènerai un jour,
mais il y a le temps encore... Il est parfait sur tous les points.
- Mes prières vont vers toi Christie, nous
t’aimons tant ! Est-ce que tu crois en Dieu ?
- Je crois
en des forces incontrôlables que l’on ne doit pas provoquer : Maman m’en
parle… Je pense aussi…. Mais enfin ! Que veux tu qu’il m’arrive !
Arrête de t’inquiéter tout le temps ! : C’est moi qui vais me faire
du souci pour toi !
- D’où te viens cette idée d’écrire des
romans ma petite fille, dans la famille je ne connais pas d’écrivain.
- De
toi, Manie.
Sans prêter
attention à sa remarque, songeuse, Manie lui prend les mains : tu as fait
ce que tu aimes ! Te savoir heureuse est l’essentiel pour moi.
« Manie lui cache les peurs quelle
a pour son avenir de romancière » Tu vas avoir bientôt vingt six ans pourquoi fêterait
on pas ton anniversaire avec ton ami ?
- N’insiste pas nous ne sommes pas assez surs,
l’un de l’autre : c’est encore incertain tu comprends Je sais,
c’est votre désir le plus cher à vous tous de le voir : un jour je vous
le présenterai ! Mais pour l’instant Tony et moi devons apprendre à nous
connaître davantage, je préfère attendre. Devant le désappointement de sa
grand-mère, attristée, elle lui prend les mains : c’est mieux ainsi je
t’assure : tu conviendras qu’il fallait que je fasse une vie indépendante.
Je ne pouvez plus rester Manie c’était impossible : trop de bruit, trop de
scènes, trop de pression : je pense à vous tous les jours, et puis, nous
nous voyons très souvent. J’habite un endroit où je suis bien, je ne m’ennuie
pas. J’ai les autobus tout près qui
m’amènent rapidement dans le centre de Paris, tu comprends! L’environnement est
parfait. En caressant ses mains elle tente de la rassurer. Ne te fais pas de
soucis : tout va très bien pour moi, tout va bien Manie pour moi. Elle étire
ses membres, se vautre sur l’épaule de Manie en retrouvant ses gestes de petite
fille : raconte moi Manie, raconte...
- Tu
te souviens du petit caneton qui était parti faire sa vie un peu trop loin, et
qui ramait tout apeuré pour rejoindre sa mère, ses frères plus sages :
Christie se coule près de sa grand-mère soupirant de bonheur. Le sorcier et son
petit éléphanteau, le fantôme !
: Ah ! Oui ! Qui portait des bonbons aux enfants
sages ! : A cette pensée Christie pouffe de rire dans le giron de sa
grand-mère, ses yeux chavirent, elle flanque une grosse bise à sa très chère
grand-mère, puis calmée, murmure, c’est bon, c’est bon.
Manie lui
téléphone souvent ! Son inquiétude est croissante envers sa petite
fille ! C’est une quête permanente de toute la famille d’avoir des nouvelles de Christie, toute la famille
s’accroche désespérément au téléphone pour l’entendre. Elle a beau leur
dire : ne soyez pas inquiets ! Je viens souvent !
:
Ils ont
tragiquement construit leur vie autour de Christie. Navrée, Christie pense
qu’ils doivent malgré la distance se disputer encore à son sujet. Aujourd’hui,
alors qu’elle est dans une grande
incertitude Manie lui apporte le réconfort dont elle a tant besoin. Sa bonne
voix l’interpelle souvent… ! : Christie ma petite fille tu as le
sourire le plus charmant du monde. Décidemment
elle n’arrive pas à rester tranquille.
Jusque là tout s’était bien passé !
Christie habite
un petit studio depuis deux ans : sa
vie avec ses romans, des parents coopérants, elle paie ses factures… son
loyer… une vie sans histoires... Elle
passe ses journées à écrire. Ses parents viennent la voir… ses amis… : une
vie paisible. Par chance son ami Tony a
son studio sur le même palier. Il est constant dans ses visites malgré
l’éloignement. Est-ce son imagination de romancière qui l’a poussée à
extrapoler sur ce couple, pour se retrouver
à la même caisse, à la même heure, tous les vendredis dans la grande
surface : depuis quelques semaines… !. Elle connaît des gens qui sont
fidèles à une caissière ! elle ne s’est jamais fixée une date précise pour
aller faire ses courses, elle n’a jamais cherché à retrouver une caissière spécialement !
Non, mais elle va s’imposer cette discipline curieuse de cette histoire
rocambolesque, tracassée, elle va en
quelques enjambées de sa fenêtre à son bureau plusieurs fois. « C’est
malheureux que des personnages que je ne connais pas, et neutres de surcroît
viennent me tourmenter au point de mettre du désordre dans ma
vie ! Pourquoi ? : Le studio est petit, commode, pour
se distraire elle « s’échine » à l’arranger. Christie en mettant de
l’ordre par-ci par-là s’arrête devant sa lampe à pétrole, la déplace, essayant de mieux la
cadrer « trop voyante à son gré » pour en définitive la remettre à sa
place : elle revoit Stéphane et Julie, un couple ami charmant, grogne quelques mots à
l’encontre de Stéphane en se souvenant de ses remarques désobligeantes envers
sa lampe de pétrole.
- Tu devrais t’éclairer avec ta
lampe ironise Stéphane : d’où la sors-tu ?
Confuse, se
trouvant ridicule réplique d’un ton sec.
- Je
la tiens de ma grand-mère qui la tient
de sa mère. Elle ne te plait pas !
- Je
l’adore. Je te vois… écrivant
laborieusement… très concentrée… les yeux pleins de la lumière de ta chère
lampe de pétrole, tu ferais un tableau superbe.
Comment pourrais je me moquer ! Alors que les grands Maîtres ont
fait des chez d’œuvres avec ces lampes : laisse moi fermer les yeux un
instant : je vois Christie, assise à son bureau, écrivant, écrivant
inlassablement, méthodiquement avec sa plume d’oie : tiens ! C’est
mon futur tableau.
Christie hausse les épaules.
- Arrête d’ironiser.
- Je suis des plus sérieux. Pourquoi es-tu toujours rétive devant mon envie de te
peindre. Elle se revoit lui tournant le
dos en haussant les épaules, s’en allant faire un thé. Elle s’était bien gardée
de lui raconter les quelques fois où elle s’était éclairée avec sa lampe,
insistant malgré l’odeur, la fumée « trouvant romantique! » espérant
trouver de nouvelles idées…Mais elle s’est vite découragée préférant
l’électricité. Depuis, elle est devenue une décoration. Christie incline la tête à droite à
gauche - Elle est bien, là.
Respectueuse des traditions
elle la garde précieusement, comme un
trophée. Afin de bouger un peu elle met de l’ordre, arrange, déplace un
tableau. – Tiens, ici j‘en mettrai
un. S’asseyant pour jeter un coup
d’œil général elle soupire en fermant
les yeux. Décontractée elle écoute d’une oreille distraite
son petit poste
qui égrène les nouvelles. Un dernier regard autour d’elle, elle va à son réfrigérateur : car elle est gourmande.
Elle voudrait bien se corriger ! Mais hélas ! C’est en vain. Avec
philosophie elle hausse les épaules : c’est bon, pourquoi je m’en
priverais ! Devant son frigo
qu’elle ouvre, ferme, ouvre de nouveau,
et, après une longue méditation « très longue méditation » car c’est
très sérieux, elle prend un petit
fromage blanc sans sucre, le goûte lentement. Etalée dans son fauteuil, réfléchissant de nouveau à ce couple Christie
pense au destin. Les paupières à demi
fermées elle se laisse aller la tête
vide, somnolant plus où moins. Un rêve la poursuit souvent dans ces
moments là: c’est la bonne voix de sa chère Manie admonestant sa fille : elle finira mal ! Elle
finira mal ! Tu la gâtes trop Nanette, elle finira mal ! C’est
une insouciante ! Toutes ces sucreries ! Prive là un peu. Je la
trouve bien rondelette : c’est
une guerre incessante entre la mère et la fille. Protégée par ses deux
possessives « louves » comme elle les appelle, Christie est bien.
Nullement impressionnée par leurs querelles, étonnamment bien, elle est
heureuse. Elle les aime ses deux passionnées. Dans leurs guerres incessantes,
chaque fois, les coudes sur la table elle attend que ça passe, pousse un long
soupir, puis les interpelle afin de les rassurer : pourquoi tout ce
bruit ? Vous n’avez aucun souci à vous faire ! Tout va très bien pour
moi, rassurez-vous : je suis quelqu’un d’heureux et de bien équilibré, n’ayez crainte, je vous aime
tous : comme par miracle tout s’arrange : elle a droit à un bon regard de
reconnaissance entaché d’une petite honte. Est-ce sa Manie avec son imagination
débordante, est-ce tout ce branle-bas auquel elle est pourtant
habituée ! Ces cris auxquels elle assiste
impuissante, ces querelles incessantes, ces rabats- joie, toujours est-il que Christie (d’un
tempérament plutôt optimiste) est démangée par une bizarre envie : elle
veut être romancière. Après beaucoup
d’hésitations, elle a réuni la famille, composée de son père, sa mère, sa
grand-mère, sa tante. Tout le monde est aux abois ! Que va-t-il se
passer ? Christie repense à ces
moments, sourit. L’annonce de partir de leur cocon les a laissé pantois. Ne
comprenant rien à ce départ auquel ils étaient loin de penser, ils l’on
reçu comme une bombe, ils ont tous incliné la tête comme de grands fautifs.
Elle dut les rassurer une fois de plus, hélas !
Ses yeux clignotent, doucement alanguie Christie s’étire
voluptueusement en ouvrant les yeux, s’ébrouant comme un petit chat elle pousse un long soupir constate
qu’elle a dormi. Elle veut se secouer, en vain, imprégnée par son rêve elle
replonge dans le sommeil. Pendant un bon moment Christie dort d’un sommeil
réparateur., Amollie, vide, Christie le dos tassé se réveille péniblement en se traînant vers
la salle de bain afin de se passer
de l’eau fraîche sur la figure. En soupirant d’aise elle glisse avec volupté
son gant mouillé plusieurs fois, la
figure rafraîchie ses pensées s’éclairent lui permettent d’essayer de
comprendre la condition de vie qu’elle s’est imposée. Elle pense à son
destin… ! S’il était en marche vers ce que nous ne soupçonnons pas et
qu’on nomme communément la chance, le hasard, s’il fallait aider le
destin… ! S’il y avait un
miracle… ! Christie pousse un long soupir sur cette éventualité qu’elle
souhaite ardemment. Tout à fait réveillée elle va faire un thé, puis vaillamment
se remet au travail.
Cela fait trois vendredis que d’un
commun accord « apparemment » ils se retrouvent,
s’observent, réciproquement à leur caisse respective : la 16 et la 17. C’est ce qu’elle cherche, c’est ce qu’elle
veut. Elle va attendre pour en parler à Tony, comprendre pourquoi ce
couple s’impose à elle avec tant de force, d’insistance.
Assise
devant son bureau, la tête appuyée dans ses mains elle essaie de fixer son
attention sur sa feuille. Mais envahie par une grande paresse elle est sans
réaction : son moral est au plus bas. Sans énergie elle se vautre dans son
fauteuil, ferme à nouveau les yeux, cherche, insiste, afin de les retrouver
tous les deux. : elle peut en se
concentrant bien, les revoir nets
et précis comme s’ils étaient là
. Ils sont très beaux, d’une beauté parfaite. émue, frissonnant,ne comprenant
pas, s’interrogeant pourquoi elle a tant d’émotion et ne pouvant se maîtriser
elle est prise de panique : ils sont si humbles et si beaux tous les deux
qu’elle en a le souffle coupé. Stupéfaite elle tente de les garder dans les
yeux, s’accroche à eux désespérément
avec la certitude à cet instant précis
qu’ils seront présents tout le long de sa vie. Ce pressentiment est tel qu’elle se complait dans cette
pensée. Prise d’un infini bonheur, troublée, d’un mouvement sec elle se secoue,
se réveille.
Elle
va tout faire pour les revoir, elle va s’imposer une discipline bien calculée,
se mettre en tête, le jour, l’heure, bien observer leurs habitudes afin de les
retrouver tous les deux, les provoquer, les secouer, les obliger à être là tous les vendredis à la caisse 16 à dix-huit
heures dans la grande surface. Entre ses romans et ce couple Christie ne sait
plus où elle en est. Les mains dans ses
cheveux, les tire les triture, tente de mettre en ordre ses idées, puis
philosophiquement afin de se rassurer elle conclut : c’est juste une
vision fantasmagorique après tout ! D’une imagination
surexcitée! Glissant sa main sur son front : -Je
pourrais peut être en parler à Tony !
Cette question elle se la
pose souvent ! Mais elle hésite. Tony flegmatique va lui trouver quantités
de raisons imaginables pour qu’elle les
oublie, lui conseiller de prendre ça comme une fantaisie sans suite,
évidemment ! Peut être même, qui sait ! D’aller voir un psychiatre... : Il
y a des moments dans la vie où le songe l’emporte sur la réalité et vous amène
si loin qu’il y a soudain un grand vide dans votre tête ; quand cela vous
arrive vous êtes infiniment bien : c’est ce qui lui arrive en ce moment, malheureusement
l’instant est bref. Christie doit faire face : elle va devoir de nouveau
affronter les réalités de la vie ! -
J’appelle Tony. Son portable dans la main, les yeux
fermés, émue, indécise, elle le pose. Il est tard. Son repas avalé elle va faire
une pause devant la télévision.
N’arrivant pas à fixer l’écran, elle reprend son portable.
-
Allô Tony ?
-
Christie ?
- J’ai une question à te poser, mais avant je
t’embrasse mille fois. Que penserais tu
d’une personne prise d’un fantasme : ce fantasme se concrétiserait
dans l’enveloppe de deux êtres, un homme et une femme : un couple. Ecoute
moi. Tu m’écoutes enfin ! Tu dis
rien… ! Je vais essayer de te présenter mon histoire :
- Figure toi, j’ai vu un couple il y a des
mois et des mois ! Eh bien, je
viens de le revoir dans la grande surface où je vais habituellement : tu
vas me répondre, il n’y a rien de surprenant à cela de revoir des gens que
l’on a vu quelque temps avant. Evidemment
tu as raison. Mais voilà ! Tony,
c’est que je suis dépendante de ces deux là au point que je recherche ces
moments qui sont précieux. Pour
l’instant ils sont dans une brume épaisse. Ce qui est bizarre, c’est
l’impression de les avoir depuis
toujours en moi. Un long silence. Allo ? Non ! Ce n’est pas
l’histoire de mon dernier roman ! – Je te l’ai déjà dit, mais tu
ne m’écoutes pas ! C’est mon histoire Tony, je viens de te l’expliquer. Je
ne veux pas qu’il y ait de secrets entre nous. Je savais bien que tu ne me prendrais pas au
sérieux ; pourquoi cette réticence ! Moi aussi j’ai tenté de m’en
amuser…en vain. Tu es mon meilleur allié, surtout ne te fais pas de soucis. Il
n’y a ni pistolet, ni couteau à cran d’arrêt dans cette histoire, rien à mettre
dans un roman noir, ils sont si inoffensifs ! Cette histoire en elle-même
est dérisoire…Pourtant elle transforme ma vie, l’embellit. – Mille fois merci Tony : oui mon ami,
j’espère rester toujours ta plus belle histoire d’amour. Je t’aime. Pardonne mes écarts ! Aide moi à
les comprendre Les yeux humides d’émotion Christie respire profondément
plusieurs fois. Vaillamment elle reprend
son travail.
Christie dort
d’un sommeil paisible, réparateur : sa conversation avec son ami l’a
apaisée. Elle a passé une nuit calme,
bercée par de douces rêveries ; son fardeau était trop lourd pour elle
seule. Brusquement le bruit du téléphone
la réveille, sinistre, machinalement elle prend son portable, à peine si elle
peut sortir, allô ! Tellement sa gorge est serrée.
- C’est toi Tony ? Ah… ! Excuse moi
je dors encore : qu’elle heure est-il ? Dix heures, Ah ! Bien
j’ai dormi pour une fois : puis avec une voix éteinte, ça ne va
pas ? Tu as beaucoup pensé à moi cette nuit… mais ne te tourmente pas… Ce
couple ? Je ne le vois que quelques
minutes dans la grande surface ! Ce que je t’ai dit à son sujet … ! Tu te fais du
souci pour rien. Mais pourquoi ?
Pourquoi diable t’inquiéter ! Que veux tu que fassent ces deux gentils paumés : ce
sont deux gentils paumés… pas de quoi en
faire un roman noir tu sais… : Christie
en moitié endormi ne trouve plus rien à dire. Tu veux que j’envoie balader tout
ça et que je vienne habiter
Londres ? Brusquement,
retrouvant ses esprits : vraiment tu prends mon histoire trop à la légère.
Comme je te l’ai déjà expliqué, un vendredi succède à un autre vendredi et
chaque fois je vois mon couple. Voilà
trois vendredis qu’il est là, fidèle ; c’est extrêmement
touchant ! Tu n’as pas idée de ce que j’éprouve en le revoyant … Ne sois
pas jaloux ! : Je suis amoureuse d’un rêve ? Peut
être… apparemment tu ne comprends
pas ! Tu es jaloux d’un rêve alors ? Ce n’est pas raisonnable,
(Christie est entrain d’accuser Tony de
ne pas raisonner sainement.) ce que j’attends de ce couple ? Eh bien
voilà ! C’est un point d’interrogation. Je n’ai pas de réponse pour le
moment. Les situations se succèdent identiques, toujours les mêmes. Après
un long silence qui en dit long sur l’incompréhension entre eux deux, Tony
insiste de nouveau pour qu’elle le rejoigne à Londres.
- Je
viens samedi soir, tu m’attends à la gare à vingt heures. Je t’aime.
Elle pose son
téléphone, hésite, le reprend, puis le pose de nouveau. Soucieuse elle va à la
fenêtre, regarde les blocs aux formes monotones : ici un balcon fleuri,
là, des fenêtres fermées, et puis, les mêmes fenêtres… les mêmes balcons tout
autour... Soudain prise d’hallucinations
elle recule : la peur de les voir derrière une fenêtre la fait reculer
d’effroi ; devant cette hypothèse Christie recule, effrayée ; comme
une fautive elle reprend sa pose en essayant de se rétrécir, scrute avec plus
d’attention les fenêtres. Dynamisée par toutes ces émotions d’un pas rapide
elle va vers son bureau. Le stylo court sur sa feuille : c’est l’histoire
d’une dame entourée de quantité de chats : un dialogue entre ses chats et
ses petits enfants, ses chats et ses enfants, chacun apportant à l’autre mille
histoires fantaisistes plus amusantes les unes que les autres ; un conte
pour enfant: Elle doit faire des efforts d’imagination : Christie s’amuse de
son histoire. Son travail terminé, en bombant son torse elle pousse un
long soupir de satisfaction, va vers son
réfrigérateur « sa distraction favorite » l’ouvre puis le referme
aussitôt, s’en retourne à sa fenêtre pour respirer la bonne brise du soir.
Attrapant son portable elle va prestement vers l’ascenseur, une fois en bas,
hésitant, elle se dirige vers un square. Attirée par les cris stridents des
enfants elle va aller les voir jouer. Au milieu de leur brouhaha Christie se détend, fait quelques pas
dans les allées, puis s’installe sur un banc, un petit bambin s’échappe de son
père, à la vitesse éclair de ses petites jambes, s’approche de Christie. Sur la
pelouse les enfants jouent, une paix, un apaisement, un bien être. Son portable
lui rappelle qu’elle va appeler ses
parents. :
- Allo Maman ? Comment vas-tu !
Bien ? Moi, ça va. Je ne viens pas le
week-end prochain ; je vais à Londres. : ce serait impensable
de ne pas leur en faire part, ils
seraient tellement inquiets tous : Maman,
Manie, tante Amandine et Hector son père, tous muets d’inquiétude,
isolés dans leurs pensées lugubres…! J’espère que vous n’avez pas besoin de
moi ? - Oui je sais !
J’avais prévu de passer. Je te téléphonerai de Londres, n’ayez aucune
inquiétude ; je ne suis pas seule, il y a Tony. Comment va Papa ?
Manie ? Bien... Toujours solide tante Amandine ? Elle est
passée mercredi dernier, sa mine est superbe, son tonus toujours excellent : je te l’ai
déjà dit, je retrouve Tony le week-end prochain à Londres : Tony s’ennuie
tout seul : nous sommes conscients des problèmes que l’éloignement nous
procure, mais, c’est difficile de faire
autrement. Quant à moi, je m’adapte, j’aime ces retrouvailles. Ne te fais pas
de soucis chère Maman, tout va bien pour moi ; au fait, j’ai eu Johann ( Johann
est un ami de la famille, au téléphone,
il va t’appeler. Je vous embrasse tous les trois, à bientôt. (Christie oublie de dire ses tourments avec son couple de la
grande surface …)
Christie se
couche tôt, à dix heures. Son pouvoir de récupération est grand, elle dort peu,
se lève la nuit, s’interdit de
travailler. Elle se délasse, se décontracte devant la télévision, à sa fenêtre
où là elle furète, cherche au loin … : c’est à croire qu’elle
recherche ces moments où de sa fenêtre elle guette les lumières à travers les fentes des volets.
Toutes les nuits elle arpente son studio, s’attarde devant sa fenêtre pour voir
l’ami, celui qui travaille et rentre tard, qui lit, se restaure, le bambocheur,
l’insomniaque « son frère d’infortune ! » celle qui
travaille à des tâches ménagères… Sur sa droite une lumière, peut-être un
étudiant, un enfant qui pleure la maman le console… Des vies
cachées… Trois heures du matin, pas une voiture, pas un bruit. Dans ce
silence monacal, l’oreille tendue elle guette un bruit, un raclement de gorge, une toux, les pleurs
d’un nourrisson ; rien. Au loin une lumière apparaît, disparaît :
Christie sursaute. Dans les quelques coins de rues où glisse la lumière d’un
réverbère un chat rôde parmi les ombres. Elle cherche de nouveau les lumières
qui filtrent des volets, curieuse de cette vie nocturne. Mélancolique, en
soupirant Christie retourne mollement se
coucher. Le petit déjeuner la remet rapidement en forme, son petit poste à côté
d’elle lui tient compagnie. La table du petit déjeuner est un spectacle.
« Christie aime se régaler » Assise devant sa table pleine de bonnes
choses elle regarde avant de goûter un peu à tout : ses petits pots de
confiture, ses petits croissants miniatures, ses petits pains. Elle hume avec
plaisir l’odeur du café qu’elle a
préparé amoureusement. Sa table bien garnie est un spectacle qu’elle aime voir
tous les matins. Après ce
rituel qu’elle adore et ne manquerait
pour rien au monde, pleine d’entrain elle commence sa journée. Plutôt menue, sans surpoids, elle s’étonne des
remontrances de sa chère Manie devant sa gourmandise ( chère Manie
s’inquiète toujours au sujet de sa petite fille) Elle picore un peu dans
tout, puis fait sa gymnastique ou
un jogging s’il fait beau,
ensuite pleine d’énergie se remet au
travail.
: Le téléphone
sonne.
- Allo, Christie Charme ?
-
Elle-même madame Bompont. C’est vraiment
un grand plaisir pour moi de vous entendre. Allô… Je comprends
mal,...une nouvelle ? En ce moment je termine un conte pour enfants. Merci madame.
Comment ? Un hebdomadaire
féminin…? Je comprends. Oui, je prends note, voilà... Je prends contacte rapidement avec la directrice :
Un travail régulier… Sans problèmes soyez
sûre madame. Merci beaucoup, au revoir madame, à bientôt.
Christie dans sa
solitude et le silence de sa pièce lorsque la fatigue la submerge pour se
réconforter se plonge dans ses souvenirs d’enfance : les scènes entre Nanette
et Manie (sa mère et sa grand-mère) dont elle était l’objet, car elles se
querellaient pour nourrir leurs ressentiments ! En se servant de
Christie ! Avec le recul ces scènes sont devenues comiques, tellement
excessives et pleines d’amour. Elle entend Manie d’un ton bourru dire à sa
fille : tu dois la surveiller Nanette, cette enfant est molle,
nonchalante. Elle te regarde avec insolence. Je n’aurais jamais supporté le
centième de ce qu’elle te fait. Certes elle est attrayante, son charme est
insolent. Elle sait te séduire la coquine. : Maman prend son petit air
conquérant qui exaspère Manie
- Christie, je t’ai enseigné la droiture,
l’honnêteté, le travail, Ta mère
haussait les épaules en répondant, Laisse là ! Avec de bons exemples ça se
fera tout seul, bien sûr, ta mère a raison : de bons exemples…! Mais ma
petite chérie je suis inquiète je n’y peux rien.
-
Laisse tomber Manie me savoir aimée par vous tous me comble et me porte
dans la vie. Qu’importe ce que je fais ! Le principal n’est ce pas de vous
aimer ?
Malgré ça réelle
inquiétude Manie est au paradis, avec un
profond soupir, elle jette un coup d’œil plein d’amour à sa petite fille.
Comment pourrait
elle oublier toutes les fois où blottie contre sa grand-mère, émerveillée, elle
l’écoutait chanter des chansons de sa
belle voix chaude, raconter des histoires qu’elle inventait. « Elle
a une imagination féconde Manie » Lorsqu’elles allaient se promener dans les
parcs elle savait lui raconter les fleurs. Christie émue a un brin de nostalgie. :
Maman était fière de sa petite fille, et Manie pour la contrarier lui lançait
d’une voix aigre. Nanette secoue-la,
prépare-la à faire le dur chemin de la vie ! Elles étaient l’une et
l’autre trop éprises de Christie !
Christie s’est
lancée dans l’écriture au grand émoi de toute la famille. Elle n’arrivait
pas à caser quelques contes dans un journal : ce fut l’échec. Tenace, elle
ne s’est pas découragée malgré les regards désapprobateurs de Maman, de Manie,
de tante Amandine, et même de Papa. Après échecs sur échecs, doté d’une bonne
dose d’optimisme elle a réussi à
décrocher une revue, ce fut sa chance, ce fut le déclic. L’atmosphère ambiante
étant ce qu’elle était, lourde, pesante et bruyante Christie décida de partir
faire sa vie. Lorsqu’elle fit part de sa
décision, tous les quatre même tante Amandine furent effondrés.
Papa (témoin patient des scènes) Nanette et Manie, bien sur tante Amandine
s’unirent pour l’aider dans sa démarche ! C’était à qui en ferait le plus,
encore ! Ils se déchiraient tous
les quatre sur son dos : Christie frissonne. La douce brise du soir fait
voltiger ses feuilles, elle va mettre de l’ordre, retrouver ses gestes
habituelles.
Pétulante tante Amandine : lorsqu’elle
rend visite à Christie c’est une aventure mémorable pour l’une comme pour
l’autre. Après avoir frappé deux coups à la porte pour se signaler elle rentre
à la vitesse de l’éclair sans jeter un coup d’œil sur Christie puis se
retourne, la jauge dans tous les sens, l’observe un moment, s’approche d’elle,
la prend dans ses bras lui flanque quatre grosses bises : Christie un peu
penaude se laisse faire.
- Comment vas-tu ma chérie, à te voir,
bien. « Amandine aime faire les
demandes et les réponses » Christie reste muette : c’est ce qu’elle fait avec tante Amandine ! Trouvant
préférable...
- Que fais
tu chérie en ce moment ?
- Timidement Christie répond : j’écris
un roman, un roman pour enfants tante Amandine : tante Amandine, professeur de gymnastique aux muscles fermes
regarde Christie avec attendrissement. Christie regarde Amandine cette
splendide femme : ses yeux glissent le long de son corps moulé dans un jeans parcourent ses belles épaules, son
buste solide et gracieux à la fois, sa taille souple, la légère enflure du ventre,
la fine musculature des cuisses qui tend le tissus, ses yeux glissent le long de ses jambes.
Christie admire cette belle femme à qui tout
réussit. Sans enfant elle a
reporté son amour sur Christie. Trente cinq ans d’épanouissement, ne les
paraissant pas, saine, elle va dans la vie avec assurance. « Je
ne sais pas combien elle a eu d’amis
... ! »
- Comment va Alex ?
- Bien. Ses beaux yeux violets lancent des
éclairs, son corps d’athlète frissonne : il est merveilleux, je
l’adore. : Christie ne s’étonne pas de son admiration pour Alex :
elle la soupçonne d’avoir eu beaucoup d’amis genre Alex. Souvent pour éviter de lui répondre elle se gratte la
tête, écarquille les yeux, l’amène à la cuisine pour faire un thé.
Assise
sur le canapé : à coté la petite table garnie des tasses de thé.
Amandine prend les deux mains de Christie, la
regarde attentivement dans les yeux, pousse un long soupir.
- Ne me regarde pas comme ça, tu me fais
chavirer tante Amandine. Je me sens une âme de coupable !
- Tony ? (Il faut comprendre entre
les mots, car Amandine est avare de mot)
- Il va bien, je pars à Londres samedi.
- Tu vois Christie ; je pensais…ton
style correspond parfaitement à celui
d’une hôtesse, Alex a beaucoup de connaissances il pourrait te pistonner si tu
le souhaitais évidemment ! Il connaît une boite qui justement a besoin
d’une hôtesse ; c’est une boite
importante, sérieuse, je t’en parle, incidemment… Je t’en fais part au cas où tu serais
intéressée. Je te vois… tu serais parfaite ma petite chérie. Christie s’attendait à tout, sauf à ça. Son cœur bat la chamade, elle doit faire des
efforts surhumains pour ne pas exploser les larmes aux bords des
yeux. Sans nul doute elle redoute un coup monté entre tous les quatre ; la colère qui allait la
submerger fait place à un élan d’amour irrésistible pour ses quatre sangsues.
- Je te remercie beaucoup : j’ai un
travail qui correspond à ma sensibilité,
tu me connais ! Je vis avec mes personnages, ils m’habitent, ne
prends pas à la légère ce que je te dis... Je n’ai pas le temps de
m’ennuyer : j’ai des amis, et
puis, quand tu viens tu me fais tant
plaisir. Amandine devant son impuissance hoche la tête, pousse
un long soupir en regardant longuement Christie.
- Bon, je pars : au fait, ce soir je
mange chez tes parents je dois te quitter, le trajet est long, j’ai deux
correspondances : c’est trois-quarts d’heure au moins. Puis se saisissant de Christie, lui flanque quatre grosses
bises. A bientôt, distrais toi surtout.
Chaque fois
Christie reste coite lorsque tante Amandine part.. C’est nul doute qu’ensemble
tous les quatre ils ont monté cette
arnaque, un véritable coup monté. Perturbée par l’offre de tante Amandine elle
se trouve fautive, mais après un long examen de conscience
Christie ne peut s’empêcher de sourire. Elle retourne à son bureau, relit
l’adresse du quotidien.- Bien, J’
appellerai demain.
La vie de
Christie n’est ni tapageuse, ni coûteuse : sa plus grande distraction est la
grande surface : là, elle a toutes les commodités. Malgré des petits
besoins elle aime se promener au milieu de l’opulence et du gigantisme qui la
projette vers des horizons fantastiques. Lorsqu’elle en parle à ses amis c’est
une incompréhension totale (d’après
Christie) : elle s’entend dire : je ne vois pas en quoi ça peut être
autre chose qu’un endroit où l’on va acheter. D’autres ironisent ou prennent un
air suffisant pour lui faire remarquer qu’elle est bien limitée dans ses
sorties. Il lui arrive d’entendre aussi, moi je m’y sens bien, ça me détend.
Elle écoute patiemment les critiques sans pour autant en être influencée mais trouvant malgré tout très incorrectes ces paroles désobligeantes.
Entourée elle
laisse aller son imagination, d’instinct elle recherche les endroits où elle
pourra trouver des idées pour ses romans, munie de son calepin qui la suit partout, elle prend des notes… (je
mettrai de l’ordre plus tard…) Bien que ses amis ne soient pas très
compréhensifs, car ils ne font aucun efforts pour la comprendre, ce qui
la blesse évidemment, l’éloigne d’eux,
aussi. Elle n’a pas de complexes, choquée mais nullement impressionnée, tête
haute, confiante, elle suit son chemin
croyant en sa bonne étoile. Avec l’aide de Papa, Maman, Manie
et de tante Amandine qui s’évertue à vouloir l’aider malgré ses
protestations elle fait face. A peine a-t-elle franchi le seuil de la porte le
téléphone sonne. Après un moment d’hésitation elle hausse les épaules, marmonne
quelques mots, referme la porte. : - Bon,
j’écouterai le répondeur. :
Elle attrape l’ascenseur, s’engouffre à l’intérieur. - Tant pis pour
les achats inutiles, c’est une bonne aération, le patron est très séduisant. Son cabas, son portable, son porte monnaie
Christie part dans une petite épicerie
tenue par un tunisien pour acheter
quelques bricoles. Elle tourne dans le petit commerce à la recherche d’un
article mais comme elle a déjà tout elle
achète pour sa Manie. Le patron, beau jeune homme sympathique lui fait des
oeillades qui en disent long. Chaque fois se sont des mots aimables, des
regards entendus. Elle tourne en rond autour des rayons à la recherche
d’articles, marmonne : Bon
ça va plaire à Manie.
Christie à qui
l’on ne donnerait pas plus de vingt ans est une jeune fille affable qui
s’épanouit partout où elle a des contactes avec les gens. Ses rapports
avec les autres sont brefs,
chaleureux, elle est à leur approche, car
c’est une oxygénation qui lui est indispensable Un regard, un sourire, un mot
autour d’elle c’est ce qu’elle recherche partout où elle va, alors elle est
pleine d’allant. Son activité est
trompeuse car elle doit combattre une grande paresse, se secouer pour lutter
contre ce fléau qui l’envahirait si elle se laissait aller, aussi, essaie- t- elle d’en guérir en se faisant violence, en
travaillant beaucoup sans relâche. Son cerveau
toujours en ébullition affecte ses nuits, lui provoque des insomnies. De
retour dans son studio, après un bref coup d’œil sur son répondeur elle
remarque que quelqu’un a appelé :
C’est son amie
Julie
-
Christie tu es libre dimanche? Stéphane est inquiet ! On est sans nouvelles de
toi depuis longtemps. Qu’est ce que tu mijotes encore, tu n’appelles pas ! Quelle sauvage. .
Julie travaille
dans un cabinet d’architectes, son ami Stéphane est contrôleur aérien. Ils sont
passionnés de spectacles leur distraction favorite .en dehors de leur
travail : L’argent ne les freine
pas dans leurs sorties car avec le petit journal des spectacle ils trouvent des
sorties gratuites. Christie les trouve originaux fantasques : d’un esprit
curieux ils sont toujours en vadrouille : ils visitent des musées, vont à
des conférences, où alors, ils font des
ballades dans Paris, où se retrouvent entre
amis. Ils se relâchent et cherchent par tous les moyens à se distraire.
Christie les trouve un peu agités : elle la pensive, la méditative, la
rêveuse, ne peut pas suivre leur rythme : c’est toutefois de bons amis.
Christie quant à
elle est envahie par ses romans et ses interrogations au point qu’elle en
oublie parfois l’heure des repas : c’est pourquoi ses amis cherchent à la
libérer de temps en temps de toutes ses contraintes et de ses fantasmes qui
sont d’après eux néfastes pour sa santé aussi bien morale que physique.
Ce sont de
très bons amis bien qu’ils ne se
connaissent que depuis peu. Côte à côte
depuis un moment dans une
exposition de peinture ils ont échangé des idées, des pensées. Ils ont fait connaissance et ont sympathisé, depuis ils se voient régulièrement.. Christie
aime bien leur fantaisie, leur enthousiasme, c’est chaque fois lorsqu’elle les
voit un régal, car ils sont si dynamique
qu’elle est entraînée malgré elle.
Enfermée dans son studio pendant des heures avec ses romans, la solitaire, la pensive, le souci de sa Manie,
le chagrin de ses parents est
heureuse de retrouver ses amis. La journée sera sans contraintes, se fichant du
qu’en dira- t-on, ce sera un relâchement qui lui sera très bénéfique,. Le
téléphone portable dans la main elle est toute réjouie de les retrouver.
-
Stéphane ? Ah !!
- Oui !! ça va toi ?
- Bien, bien merci. j’ai eu
Julie au répondeur
- Je crois qu’elle veut qu’on se rencontre.
Justement nous en parlions il y a quelques jours. Tu es libre ?
- Ben, non, ce week-end là je suis à Londres. Ce
sera pour la semaine prochaine si vous pouvez… moi, je serai libre.
- O K, je note : la semaine prochaine.
Nous devons te secouer. tu continues à écrire
toujours ! Enfin… si tu veux on fera un pique nique à Vincennes, par
exemple. Il y a aussi les spectacles… tu en parles à Julie.
- Tu l’appelles .
- Oui. : je la passe.
Christie d’une
apparence fragile attire la compassion de ses amis. Stéphane aime bien Christie : souvent il
lui rappelle qu’il aimerait la peindre « c’est son hobby, la peinture » il la sermonne
devant son refus persistant, lui rappelle qu’elle a tort, lui rabâche sans cesse :
tu devrais accepter de te laisser
peindre, tu as un je ne sais quoi d’inexplicable que je voudrais saisir avec
mes couleurs, mon pinceau. Pourquoi refuses tu toujours ? Ce charme, ce
regard, cette façon de te mouvoir, j’aimerais les fixer pour toujours. Tu es si secrète, si pudique. Je suis désolé
devant mon impuissance à te faire changer d’avis. Et devant ces reproches
Christie reste pensive : si il y avait une part de vérité dans ses
remontrances. Secrète… pudique…. peut être… mais alors… !
- Christie ! Quel plaisir de t’entendre enfin. On pourrait se
remuer, non ! Ca va ? . - Mais
ça va, cassée en deux devant ma table, j’écris, rien d’original comme tu
vois :
- Quand veux tu qu’on sorte ? Que
penserais tu d’un pique nique au bois de Vincennes samedi prochain.
-
Non, non, l’autre samedi. Ce samedi là je suis à Londres : je vois
Stéphane.
Ils habitent
sous les toits où ils ont arrangé leur appartement avec goût et originalité.
Lorsqu’on entre pour la première fois on croit rêver : des tentures sont
accrochées au mur, des rideaux qu’on coulisse remplacent les murs. On se
croirait sur une scène de théâtre. Des tableaux un peu partout, par terre,
accrochés ou sur un chevalet. Une grande glace renvoie ce décor, fait paraître
la pièce immense. Un escalier mène à une mezzanine d’où pend une très belle
peinture sur tapisserie. On s’attend à
voir surgir des petits personnages ludiques. Contre le mur sombre de la pièce
une superbe armoire, au centre une belle table acajou orne l’ensemble. C’est
atypique, sympathique, vaste. Les yeux
agrandis, immobiles, surpris, l’espace d’un instant nous entrons dans un autre monde. Christie
pose le téléphone indécise, va s’asseoir : elle revoit Julie et Stéphane,
deux jeunes gens très sympathiques, ouverts à tout, curieux de tout. Ils sont
de bonne compagnie. : Julie est un peu rondouillette, de taille moyenne, un
teint clair, des cheveux coupés à la garçonne encadrent un visage tout rond ; Stéphane grand, sec, le visage taillé à
coup de hache est son opposé : tous
les deux sont amusants, originaux. Christie très gourmande passe dans sa
tête tous les restaurants dans l’environnement de la place Saint Michel. Après
une longue, très longue recherche, et après avoir parcouru plusieurs fois
le petit journal, elle choisit la rue
Saint André des Arts pleine d’animation, de tentations, de pâtissiers entre
autres, hélas ! Pour Christie, là, on est presque sûr en y passant
de se laisser tenter par une crêpe, des chocolats, des pâtisseries, des
babioles... : Il faut résister pour ne pas s’asseoir prendre un
pot. : Je verrai avec eux. Toute
réjouie à l’idée de revoir ses amis Christie s’abandonne les yeux fermés. Une
bonne torpeur la prend : cet instant elle
aimerait le garder, mais quelque chose la tourmente, lui serre la gorge,
l’inquiète : c’est la chaude voix de Manie sermonnant sa fille Tu
la gâtes trop : pour la contrarier Nanette protége sa petite Christie dans
ses bras. La voix de Manie résonne dans sa tête Tu la gâtes trop !
Tu la gâtes trop ! Mon Dieu ! Que va-t-elle devenir ! Ah !
Manie ! Manie ! Devant la faiblesse de sa fille et d’Hector son mari, envers leur bébé chéri, Manie était révoltée
par la pensée que la joie de sa vie : sa chère, son adorable, son amour
son unique petite fille aurait un jour
de gros problèmes avec cette éducation là. Elle essayait comme elle
pouvait de leur faire comprendre que Christie méritait des
fessées, qu’il fallait la sermonner.
-
Qu’est-ce qu’elle fait encore ! Christie…! Christie…! Pauvre Manie, elle
n’arrête pas de se torturer de se faire du souci, de s’imaginer des scénarios
catastrophes .. ! Elle assiste impuissante à une future catastrophe
qui se prépare, tout ça, à cause d’une éducation libertine que lui donne
sa fille.
- 0ù
est elle passée la friponne ! Manie s’effondre sur le divan n’en pouvant
plus. C’est un jeu de cache - cache auquel Christie s’adonne par coquetterie,
par malice : la petite diabolique sait que sa Mamie grogne après elle.
-
Manie… ! Manie… ! La pièce raisonne de son rire perlé. Christie toute rouge se précipite sur les
genoux de Manie, lui donne de gros bisous en l’entourant de ses petits bras.
- Tu n’es
pas mignonne avec ta grand-mère, mais sous les bisous de sa petite chérie..
elle fond Manie, n’a plus le courage de
la sermonner.
La réalité
qu’entrevoyait Manie en ce moment semble se confirmer : anéantie devant
cette évidence elle se lève péniblement, fait quelques pas la gorge nouée.
Appuyée contre le mur elle essaie par des respirations profondes d’enlever
l’angoisse qui la submerge. Voulant se dégager de cette sensation pénible, la
main sur son front, pliée en deux elle court dans la salle de bain, se passe un
gant mouillé sur la figure, va d’un
point à l’autre de la pièce envahie par
des pensées extrêmes. Devant la fenêtre le regard absent elle regarde
sans voir. La pluie estompe les formes, en face les lumières vacillantes
donnent un aspect sinistre aux choses, le rideau de pluie, son bruit obsédant,
continu, le manque de perspective, Christie apathique n’a pas le courage de
travailler. Elle revient à son
bureau, jette un regard désespéré sur
ses feuilles, en quelques enjambées fait de nouveau le tour de son studio
plusieurs fois, tourne en rond, jette des coups d’oeils furtifs par ci par là,
revient à sa fenêtre subjuguée par les trombes d’eau qui frappent la fenêtre.
Au bout d’un moment, machinalement elle va à son frigo qu’elle caresse de la
main sans l’ouvrir, « son moral est
donc au plus bas ! » Enfin de nouveau à son bureau elle hésite,
cherche son portable, le portable dans sa main, prise d’une angoisse profonde
elle s’enferme sur elle-même. Elle va devoir affronter ses doutes, ses
angoisses, ce couple toujours présent. : Christie en a conscience. Assise
à son bureau, la tête appuyée dans ses mains elle est bien seule en ce moment. La pluie envahit
la tête de Christie. Manie ne vient pas à son secours ! Tony non
plus ! Ni son père ! Ni sa mère ! Ni tante Amandine ! Ne
peuvent l’aider : que va-t-elle
devenir ! Christie se trémousse comme si quelque chose la secouait
puis la fouettait, l’obligeait à se
lever, elle fait quelques pas dans la pièce, un long soupir, un
soulagement, Christie retrouve son
entrain. Appuyée contre la fenêtre, les yeux
mi clos elle cherche à voir ce
couple qu’elle a vu dans la grande surface. : je dois comprendre absolument : je suis
ensorcelée, je suis totalement envahie, dépendante de ce couple . Mon
Dieu ! Qu’est-ce qui m’arrive !
Je suis partie vers des sommets
inaccessibles ! Que penserait Manie si elle savait ! Je dois tout
faire pour comprendre : ils
m’épuisent et me subjuguent tous les deux. Cette communion avec ce
couple elle ne la comprend pas. Cette
image qui lui revient sans cesse, le désir d’aller dans la grande surface pour
voir ce couple. Devant cette évidence ses épaules se tassent. Elle voie les balcons
fleuris ; un rayon de soleil perce à travers la vitre. Retrouvant son
allant, gonflant sa poitrine, elle va s’asseoir dans son fauteuil, se glisse à
l’intérieur dans l’espoir d’être plus captive. Elle les voit nets, précis, Diaboliques. Envahie par ce sortilège elle se vautre encore
plus à l’intérieur, soumise. Enfin secouant violemment la tête, reprenant ses
esprits, ne tenant pas en place elle
s’habille en toute hâte, court à sa voiture : je dois retourner à la
grande surface pour comprendre. Aujourd’hui sans son chariot, les mains
libres elle va pouvoir tourner autour des rayons comme elle veut,
respirer l’ambiance sans rien acheter. Dans ses mains son portable la
rassure, elle peut communiquer comme
elle veut avec Tony : souvent, presque sans réfléchir, elle tape. :
Un besoin irraisonné lui fait appeler Tony
-
Allô Tony ? Ne t’inquiète pas surtout.
Moi ! Rien
de spécial ! Je t’appelle de la grande surface. Pour te dire bonjour. J’aime entendre ta voix, si tu
savais comme elle est bonne comme elle est tendre, rassurante. Je te
dérange ? : Tu es en plein
boulot là, excuse moi de te déranger.
Mille bises Tony.
Avec sa
silhouette longiligne, son pantalon, un
tee- shirt, son petit foulard autour du cou, son sac en bandoulière, ses souliers de marche,
elle est mademoiselle tout le monde. Rien ne la distingue des autres, elle se
fond dans la foule, peut observer à loisir autour d’elle sans se faire
remarquer. Aujourd’hui, dégagée de tout souci d’achats elle s’intéresse à
tout : regarde le prix des marchandises, fait une pose devant le rayon des
habits, explore les appareils ménagers, les téléviseurs, toutes les nouveautés.
Malheureusement tous ces rayons ne lui apportent pas la réponse à son problème,
le couple de la grande surface, qui la hante, qui l’habite, la poursuit
partout, l’envahit , l’emprisonne, la
torture, ce couple maudit.
Chapitre 2
Théo ?
Tu as les clefs, elle jette un
regard autour d’elle : c’est bon,
je les ai.
Depuis qu’ils habitent cet appartement tous les vendredis
ils font leurs achats dans la grande surface à la même heure, c’est leur
rituel. Ils se concertent d’un regard : c’est le jour : quelques mots
brefs s’échangent. Aujourd’hui dans un
élan réciproque ils vont à la caisse 16,
où là, régulièrement, curieux et émus ils cherchent la jeune femme. Ils vont
l’observer chacun à leur façon. Marie est timide mais étonnement elle réagit
avec courage devant le regard inquisiteur de l’étrange personne. Elle la
regarde, baisse les yeux, puis la regarde de nouveau, irrésistiblement attirée
par elle. Théo, lui, est inquiet.
Il aime Marie : il y a trop de
pression pour le paisible Théo,
pourtant, l’envie de la revoir est une pulsion qu’il ne peut maîtriser.
Marie et Théo à la caisse 16 attendent, effacés,
discrets. Ils avancent pas à pas vers la caisse silencieusement, appliqués à
bien faire. Marie furète puis furtivement tourne la tête vers la caisse 16 ; a
t-elle idée de ce qui ce trame dans la tête de cette jeune femme ! Théo
pense t-il que la jeune femme de la caisse 17 les observe un peu trop ! Avec sérieux ils
paient, s’éloignent avec la souplesse de
jeunes chats en poussant leur chariot vers la sortie. Au loin un
grondement, un éclair zèbre le ciel. Théo un coup d’œil au ciel accélère
le pas. Ils vont caddie en mains,
concentrés, occupés par le travail qui les attend, le temps qui presse, attentifs
aux règles immuables de ce moment ils se dépêchent. Tout est enfoui avec
précision dans le coffre ; leurs mains souples et précises font les gestes
rituels, coutumiers, leurs doigts agiles manipulent les boîtes, les bouteilles,
les paquets, tous les achats méticuleusement pensés : rien n’est laissé au
hasard. Ils se comprennent à demi-mot : dans le coffre tout est bien placé : ils pourront lorsqu’ils
déballeront leurs marchandises refaire les mêmes gestes avec la même précision
dans le sens inverse. Chacun avec leurs coutumières habitudes manipule les
paquets. Le claquement du coffre, le
claquement des portes, ils s’engouffrent
dans la voiture pour éviter la bourrasque.
Confortablement assise Marie pousse un soupir de soulagement, jette un
coup d’œil sur Théo la circulation est particulièrement intense en ce
moment. Aucun mot ne s’échange :
Théo s’applique à bien conduire. Arrivés
dans leur studio Marie se dépêche à mettre tout en place. Après avoir
cherché dans tous les coins la pizza, en vain ! Elle se rend à
l’évidence : elle n’y est pas. Met tout sans dessus dessous sans résultat.
Ennuyée, elle hausse les épaules, fataliste… elle attend sans appréhension les
remarques de Théo, enfin l’interroge vaguement… absente.
- Théo
?
Sa voix sans timbre le fait sursauter.
- Marie :
je ne vois pas la pizza : on a
oublié la pizza ! Je cherche… ! Pas de pizza ! Mais qu’est ce
que tu fais ? Marie ! Tu
pourrais m’aider enfin ! Cherche.
- Je l’ai
cherchée.
- Comme tu y
vas ! Nous n’avons rien à manger ! C’est la réalité, et toi… tu es
là… assise… tranquille…tu pourrais chercher enfin. : Théo se démène dans
tous les sens à la recherche de la pizza.
Enervé, grommelant quelques mots il s’effondre sur une chaise,
désespéré. Qu’allons nous manger sans la pizza ! : Oublier la
pizza… : c’est impensable… ! : Jamais, jamais il ne leur était
arrivé pareille histoire. C’est une catastrophe pour le paisible Théo :
Marie ne l’a jamais vu dans cet état : il est vrai qu’aujourd’hui tout va
mal!
- Eh bien, pour une fois nous irons manger chez Mac Do ! Tu ne crois pas qu’on devrait se secouer un peu de temps en temps ! Puis il y a
le sel aussi. Tu n’aurais pas vu le sel par hasard ? Je ne le trouve
pas.
- Non.
- Eh bien : on a oublié le sel.
- Le sel ! Répète mécaniquement Théo.
- Oui le sel.
- Alors nous n’avons pas de sel ! Et pas de pizza
! Qu’avons-nous fait Marie, je pensais que tu l’avais pris ! Où
avons-nous la tête. Tu vois les ennuis que ça nous occasionne ! :
Marie pétrifiée, tétanisée, s’immobilise. : la voix
éteinte :
- Quels ennuis
Théo ? Théo sidéré reste un moment sans voix, puis se ressaisissant :
évidemment d’être distrait.
Théo n’a plus de
voix ni de jambes. Il regarde Marie, ébahi.
Elle le regarde indifféremment.
Théo assis découvre Marie. Elle est si belle en ce
moment : il ne pense ni à la pizza ni au sel, subjugué : elle est magnifique.
Il y a des
provisions partout, sur la table, sur les chaises, par terre. C’est un vrai
déballage auquel ils sont habitués.
Marie est d’un calme olympien, elle sait que Théo l’aime et n’a nullement de
souci à se faire : c’est un fidèle. La lumière colore les meubles, le
coucher du soleil remodèle les formes par l’ombre et la lumière, Théo interdit, s’arrête, frappé par la transformation des choses autour de
lui, un paquet en suspend dans la main il voit Marie en transparence dans
une lumière diffuse, la respiration coupée, l’estomac noué il la découvre, la contemple, ému, le regard fixe
puis vague, immobile de nouveau, il la regarde, soupire. Devant l’insouciance
de Marie très décontractée, ne sachant
quoi penser il hausse les épaules :
laisse aller, laisse tomber,
après tout selon Théo les choses doivent
s’arranger toutes seules.
: Théo est un brave, mais il n’aime pas les problèmes.
Ces remarques qu’elle entend pour la énième fois ne la trouble pas du
tout. : Chaque fois elle répond - tu pourrais y penser
aussi ! Mais elle est pleine
d’indulgence pour Théo. Assise près de la table dans la petite pièce envahie
par les paquets, les boites, les fruits, les légumes, elle est là, immobile,
lui jette un regard en coin de temps en temps. En ce moment il grogne des mots
inaudibles et ressemble à un bouledogue.
Elle va s’installer devant la glace, rêveuse se contemple, soulève ses
cheveux. Devant son image elle s’étire, se tourne vers Théo qui l’observe à la
dérobée. Chaque fois Théo admire ses beaux cheveux d’un roux tirant vers la
couleur auburn : Marie les a
savamment relevés en une sorte de chignon d’où sortent des mèches de
toutes tailles, une petite frange, un petit flou, des cheveux qui tombent
sur les côtés, elle ressemble ainsi à un tableau de peintres italiens.
L’éclairage lui est favorable elle est vraiment très belle, elle ressemble à
une madone.
- Alors tu viens !
- Pourquoi ?
- Mais voyons, chez Mac Do !
- O. K.
- Dépêche
toi : prends un tricot.
A la vitesse de l’éclair comme par miracle tout est en
ordre, à la même vitesse elle entraîne Théo heureux comme un enfant de cette
histoire.
De retour dans leur appartement Marie s’installe dans son
fauteuil, s’étire, observe un moment
Théo. Elle frissonne, réprime un bâillement, se lève pour se réveiller,
s’approche de lui, (elle ne le dérangera sous aucun prétexte) se glisse derrière sa chaise pour lire le
journal du soir « que Théo ne manquerait pour rien au monde »
l’entoure de ses deux bras, lui caresse les épaules. : Ils ont calé leurs
estomacs avec des hamburgers mais le cœur n’y est pas ce soir. Ils sont
penauds. Protégés par leur routine,
entourés par leurs amis, leurs parents, tout est bien orchestré sans jamais de
fausses notes importantes, le temps s’écoule paisiblement. En couple depuis trois ans, ça leur convient.
C’est inscrit dans leur vie depuis leur naissance! Ils n’ont rien à envier aux
autres! Ils sont heureux sans chercher
midi à quatorze heures. Cette vie sans
heurts, assurée, leur convient parfaitement. : Des sourires au guichet de
la Trésorerie Générale où Marie travaille, le bal où ils se retrouvaient tous
les dimanches alors qu’ils avaient dix huit ans, depuis ils sont
ensemble. : Théo travaille à la Caisse de la Sécurité sociale c’est
tranquille : une vie simple, les jours s’écoulent régulièrement sans
surprises, faciles, les choses sont ce quelles sont ! Même si leurs goûts
différent quelquefois ils s’arrangent :
chacun cède à son tour, une entente cordiale, une souplesse. Théo aime le
cinéma ! Marie suit… Marie aime le jogging, Théo suit… Ils sont très
« relax » vraiment faits l’un
pour l’autre. Ils ne sont pas captivants ! Non ! Mais reposants,
enveloppés d’une douce quiétude ils passent discrètement dans la vie, protégés
par cette indifférences qu’ils donnent, sûrs de ne pas être dérangés, de ne pas déranger, de passer
inaperçus.
Un froissement de papier indique que Théo a fini de lire
son journal. Bien calé dans son fauteuil il médite sur les informations, puis
soupire, cherche Marie du regard. Devant sa glace Marie brosse ses cheveux en
s’appuyant contre la porte : elle attaque Théo.
- Il faudrait que l’on change d’appartement, dis
moi ? : elle cherche à le taquiner. Mais depuis quelque temps elle
est prise d’un sournois besoin de changer d’appartenant : cette envie la
tenaille, elle en parle à Théo qui sifflote
en se dandinant un peu en faisant semblant de ne rien entendre :
Marie revient à la charge :
- C’est petit
ici, tu ne trouves pas ? Théo aime la regarder, elle a une grâce féline tout en
finesse, il l’épie, s’approche d’elle tendrement, l’attire à lui, défait ses cheveux qui
ondoient, le soleil avive leur couleur rousse, avec délicatesse les démêle.
Semblables à une mélodie ils éclairent de tous leurs feux les yeux de
Théo. Doucement il l’attire contre lui,
-Marie tu es si belle ! Il l’embrasse amoureusement.
Marie est émue, bouleversée, beaucoup plus qu’elle voudrait. Elle se dégage doucement
les yeux humides, détourne la tête pour cacher son émotion.
- Tu es au courant
peut être Théo. Il y un concours en ce
moment, j’aimerais le passer : je serais
chef de service. Je voudrais monter en grade ! Nous pourrions
étudier ensemble, si tu veux bien ; j’ai envie de changer de promotion.
« Théo est chef de service» Tu m’aiderais ! C’est petit ici ;
j’aimerais un trois pièces comme les Puget.
- Tu me rabâches sans cesse…mais pourquoi
cette obsession depuis un moment ?
Tu te compliques la vie inutilement. Nous n’aurions plus le temps de
sortir ensemble si tu travaillais tout le temps ! Enfin Marie, sois
raisonnable, nous sommes bien ici : regarde l’environnement ! La grande
surface est à dix minutes environ en voiture ! Le métro à cinq minutes à
pied! Nos voisins sont calmes... : au fait : tu les vois ?
- Non. : ça me semble habité, je pense qu’il y a
quelqu’un, j’entends des voix par
moment, c’est calme. J’ai cherché à lire le nom sur la porte :
illisible : quelque fois il y a un léger bruit, c’est tout, toi ?
-
Je n’y fait pas attention, il me semble entendre la télévision, je ne
sais pas, je les ai jamais vue. Je ne
fais pas attention : on peut rester voisins des années sans jamais se
rencontrer ! Ça t’ennuie ?
- Je me trouve isolée : j’aimerais bien une petite
maison… après tout, tu as raison : c’est bien ici.
Lorsqu’ils
se sont fréquentés ils étaient jeunes, insouciants, choyés, entourés de leurs
parents ils sont partis dans la vie assurés d’un quotidien, les questions
matérielles ne les encombraient pas, ils
se savaient aidés, un avenir tracé, sans prétention, des études pour gagner
leur vie rapidement, leur indépendance. Studieux ils étaient de bons élèves,
leurs examens réussis ils ont gagnés leur vie. Tout les prédisposait à une vie
sans éclats. Leurs études se passaient bien, leurs examens réussis. Papa travaille à la Sécurité
Sociale il a encouragé Théo à entrer dans cette administration, une place,
un poste vacant Théo s’est installé dans ce job paisiblement : une seconde
peau ! Leurs salaires ne sont pas
très élevés mais ils s’en contentent,
Ils sont si peu exigeants si peu compliqué, tout leur convient.
Théo compte les années.
- Trois ans Marie
que nous sommes ensemble : ce constat n’a pas l’air d’effrayer Marie.
Pense à toutes les années que nos
parents ont vécu ensemble !
- Je les trouve
bien. Toi ?
Silence. .
: Ils
passent leurs vacances à Marseille chez les parents de Marie où Maman se met en
quatre pour les recevoir tout à la joie de les avoir. La vie en somme est
tranquille, paisible, coutumière. Théo téléphone à ses parents : ils
habitent dans un village au nord de la France. Marie n’aime pas le climat du
nord le crachin les ciels plombés,
l’ennuie, la nostalgie, les criques à Marseille lui manquent. A une demi heure de route pour aller à Lille,
un problème de voiture, des encombrements, les soucis de
parking le ciel gris, des contactes généreux avec les gens, chaleureux,
des contactes sympathiques, mais Marie malgré les efforts de Théo, de toute la famille, des amis, a ses
os glacés par le climat du nord. ne rêve que du soleil de Marseille.
Les
parents de Marie habitent à l’opposé,
près de Marseille. C’est un régal pour les deux lorsqu’ils vont à Marseille en
vacances Paris est la ville préférée de
Marie pas question d’en partir, elle ne se plait que là. ; elle lui rabâche sans cesse : il en a
pris son parti. Mal à l’aise Théo revient à la charge.
- Je ne te comprends pas Marie : (c’est
leur point discordant) pourquoi veux tu toujours changer d’appartement ?
: Nous sommes là, même pas depuis trois ans ! Changer pourquoi
donc ! Ca nous apportera rien de bon ! Pourquoi cet
acharnement ! Et Théo de lui expliquer une fois de plus tous les avantages
qu’il y a à rester là. Réfléchis, nous faisons partis des privilégiés, nous
avons tout ce qu’il faut autour de nous, toutes les commodités, l‘environnement
est parfait, et en plus, nous risquons d’aller dans un endroit bruyant. Marie
tourne dans le pièce, replace un objet, nettoie pour la énième fois la petite
pendule, un cadeau de Théo, la regarde longuement, soupire.
- Théo, peut pourrions nous changer
d’appartement.
La pluie douce, continue, cristalline,
caresse la vitre, son bruit léger endort les sens. Marie est habituée à son
Théo qu’elle compare à une cathédrale. Elle s’amuse à lui dire : Quand tu
t’étires Théo tu ressembles à une cathédrale !
Alors, il s’étire, s’étire... : Théo lui donne cette impression en
ce moment : elle est pleine de gratitude envers lui.
La
soirée est paisible. Malgré quelques petits
accrochages il y a rarement de gros problèmes entre eux. A court
d’arguments la conversation tombe, seul le tic-tac de la pendule accompagne le
crissement de la pluie sur les vitres. Devant la télévision Marie n’arrive pas
à garder les yeux ouverts ; elle a coupé le son, essaie de deviner l’histoire
par les images. Le bruit de la pluie lancinant, monotone endort Marie ; malgré des efforts désespérés pour rester éveiller,
les yeux qui s’entrouvrent et se ferment elle s’endort.
: Théo
emploie son temps devant l’ordinateur, c’est son hobby. Tous les soirs pour se
détendre au calme il navigue dans Internet.
Les vitres renvoient des lumières, semblables
à des étoiles filantes, forment des sillons
sans cesse en mouvements, glissent au gré des gouttes d’eau. Minuit sonne à la
pendule, Marie dort, Le bruit du vent, le clapotis de la pluie bercent Théo,
une torpeur le gagne, un instant il ferme les yeux, se secoue, appelle Marie.
- Marie ?
Elle dort à poings fermés, ennuyé, à pas de velours il s’approche d’elle, lui
caresse la main, hésitant la regarde un moment perplexe, doucement
l’appelle : Marie ! Ne sachant pas quoi faire, ne voulant pas la
réveiller, doucement il la prend dans ses bras, la porte sur le lit. Marie
entrouvre à peine les yeux replonge dans le sommeil. : Le lendemain matin
chacun vaque à ses propres affaires, silencieusement. Tous les jours c’est la
même chose, les jours se calquent les uns sur les autres avec le même rythme,
les même gestes, les habitudes se sont installées, sont ancrées dans leur
vie ! : Ils ont eu une attirance pour cette jeune femme qu’ils rencontrent tous les
vendredis dans la grande surface elle
est devenue un rituel elle aussi et la sensibilité qu’ils ont en la voyant ils
ne l’expliquent pas, ils subissent cette étrange histoire. Elle parait douce,
tranquille, agréable, une attente, un mystère, une interrogation : ils la
retrouve toutes les semaines. Elle est
entrée dans leur vie naturellement,
peut-être aimeraient-ils la connaître !
Tous les vendredis ils sont là tous les
trois caisse 16, caisse 17 se regardent s’observent quelques gestes timides,
peureux, des regards vagues…
Alors, ce jour là,
insidieusement,sournoisement, il y a plus de précipitation dans leurs gestes,
plus de fébrilité, car c’est le jour. Ils ne parleront jamais d’elle, peut-être
de peur de rompre ce charme ; ou bien, ces retrouvailles régulières sont
devenues elles aussi une habitude !
Dans cet univers routinier, encadrés
par les amis, le travail, les parents, avec l’assurance d’avoir en Théo l’ami qu’elle espérait depuis
toujours, Marie laisse couler les jours : Sans avoir jusque là eu à faire
face à des problèmes graves, elle est quiète. Mais en ce moment une chose la tracasse, lui occasionne un semblant
d’instabilité qu’elle n’avait pas prévu.
Inconsciemment elle se vêtit mieux, cherche plus de fantaisie dans sa coiffure,
se regarde davantage dans la glace, interroge Théo, le questionne sur ses
habits. Elle est beaucoup plus attentive à sa personne. D’autre part elle regarde Théo avec plus d’attention. Le
regard inquisiteur, perçant de la jeune femme elle ne s’en est pas préoccupée
de suite, tout juste s’en est-elle étonnée ! Et, s’il en fut ainsi ! Elle le garda pour elle, ce fut son petit
jardin secret. : Théo n’est pas insensible au charme de la jeune femme, flatté
même, mais gêné par l’étrangeté des regards et du comportement de cette
personne. Curieusement il est attiré vers elle, et s’étonne de l’intérêt qu’ils
suscitent. il cherche en se postant devant la glace et en se regardant sur
toutes les coutures l’originalité, la
bizarrerie de sa personne. Théo se
gardera bien de faire part de son inquiétude à Marie. : dans un regard ils
se concertent, s’évaluent, se jaugent de la tête aux pieds,
-
C’est bien Théo.
- Comment tu me trouves ?
- Toujours bien Marie. .
Tout deux sont appliqués à leur
maintien, attentifs à leur tenue vestimentaire qu’ils choisissent avec plus de soin. Les chemises
de Théo, les chaussures sont minutieusement choisies, puis passées sous l’œil
critique de Marie. Quant à Marie elle peigne ses cheveux dans tous les sens cherche la plus
belle coiffure, s’observe devant son miroir. Théo cherche à assortir ses
souliers à son tricot, Marie se moque gentiment de lui, s’amuse, l’examine avec
soin des pieds à la tête, s’éloigne pour
mieux le voir, l’observe avec soin C’est un jeu auquel ils s’adonnent . Théo l’attire contre lui, les yeux fermés, glisse sa main sur son visage, palpe
doucement ses traits délicats, caresse
ses épaules, fait glisser ses mains le long de sa gorge. Tout est en finesse,
tout est délicatesse, délicieux chez
Marie ! Théo est très amoureux. Depuis quelque temps il redécouvre Marie,
tellement amoureux, tellement inquiet, malhabile devant Marie, il cherche son
contacte physique, l’enlace, l’embrasse, la caresse la prend souvent dans ses
bras, la concerte aussi plus souvent :
Théo est flatté et mécontent à la fois d’être attiré par cette capiteuse
jeune femme, aussi pour s’en libérer il fait du jogging en amenant Marie.
La paisible Marie est dubitative
devant la fougue amoureuse de Théo. La paisible Marie est démangée par une idée
toute simple : elle a un irrésistible besoin d’aller voir sa mère à Marseille : elle attend
le moment venu avant d’en faire part à
Théo. Voilà déjà trois semaines qu’ils vont dans la grande surface, et
retrouve chaque fois l’étrange jeune femme à la même caisse, à la même heure,
leurs têtes se tournent simultanément vers la caisse 17 où Christie les observe
avec un regard lointain… : Ces trois personnages sont fascinés par ces
rencontres. Ils sont portés par un courant magnétique qui les pousse dans cette
originale rencontre hors du temps. Ces
rendez-vous leur sont nécessaires. Ces
trois personnages si différents, se
cherchent, s’interrogent. Tapis dans leur solitude ils sont à la recherche d’un mystère sans vouloir aboutir. Ils n’osent
franchir cette frontière, s’enferment : ce sortilège né dans une grande
surface, Théo, Marie et Christie inconsciemment le vivent.
CHAPITRE
3
Immobile,
figée, la voix de Manie admonestant
sa fille Nanette ! Ta fille t’en fera voir. Tu verras !
Donne lui une éducation où le travail est une loi fondamentale de la réussite
dans la vie ; Tu devrais contrarier ses penchants. Regarde !
Elle sèche ses devoirs, n’en fait qu’à sa tête … Je la vois :
griffonner …quoi… ! Qu’est ce qu’elle va faire mon Dieu ! Christie effondrée pousse un profond soupir, pensive elle se demande
si Manie n’avait pas raison : Et
Manie s’égosillait pour remettre les choses en place. : Christie s’est
mise dans une situation inextricable. Elle voudrait mettre ce couple dans un contexte.
Ce vendredi qui l’engage dans une voie obscure l’attire lui est nécessaire.
Elle s’accroche à ce couple qui lui
prend sa vie ses pensées : son
travail en souffre : Elle part au fond d’un gouffre : Appuyée contre la fenêtre, en
face des immeubles avec des balcons, des pots fleurs, des fenêtres garnies
des rideaux en dentelle, des volets
entrouverts… elle tente d’échapper à son angoisse. Christie connaît ces angoisses, ce mystère
qu’elle n’élucide pas, qui la tourmente, et colle à sa peau. En se frottant les
épaules pour enlever son angoisse dans un murmure elle appelle Manie :
Souvent lorsqu’elle est troublée elle entend Manie : son réconfort.
Christie dans ses moments de désarroi est secourue par son insouciance et
son tempérament positif. Vingt
cinq ans, jolie jeune femme, un port
altier, une allure décidée, submergée
par sa grande paresse, pour réagir elle
travaille. Souvent Christie pense à Manie qui ne souhait que le bonheur de sa petite fille, c’était toute sa
vie. Elle attend avec impatience le jour de sa visite ; Ce jour là elle
retrouvera les espiègleries qui désespéraient
sa chère grand-mère lorsqu’elle était enfant, avec malice elle lui fera
entrevoir une vie agitée… ! Pour enfin l’embrasser, la rassurer :
Elle connaît les réactions de sa grand-mère, elle en joue et en tire une
jouissance. Manie la regarde avec amour alors elle lui caresse les mains, lui fait son plus beau sourire,
- Cette enfant est hyper gâtée
Nanette (diminutif de Jeanne) Toutes
tes cajoleries ne la préparent pas à la vie, vois, comme elle se joue de nous,
il y a de la malice dans elle. Nous l’aimons tous passionnément ! Trop
Nanette ! : Elle est notre rayon de soleil, notre vie ! notre
désespoir aussi hélas ! Un frère, une sœur arrangeraient tout. Excédée par les remontrances de Manie, Nanette s’énerve
sur le linge qu’elle plie, bien décidée à ne pas répondre connaissant
d’avance les éclats de voix qui en résulterait. Et, dans ce monologue Manie
témoin impuissant pousse un long soupir, va… priant… implorant inlassablement
la protection de l’Etre Suprême sur ses êtres bien aimés. Les remarques
pertinentes entre sa grand-mère et sa mère ne lui enlevaient nullement la
confiance en elle. Manie, peut être à juste raison ! Essayait t-elle
d’éclairer les yeux de sa fille, et Christie n’en perdait pas un mot :
souvent, encore elle les entend toutes
les deux, chacune cherchant à imposer sa volonté à l’autre. Leurs querelles
raisonnent encore dans sa tête avec les
mêmes éclats, la même clarté. : Manie faisait simplement remarquer à sa
fille :
: Vois Nanette comme elle sait
éluder les problèmes qui l’embêtent. C’est une sans souci!
Christie travaille de longues heures assise
devant son bureau à écrire des romans. Son apparence est celle d’une jeune
femme pleine d’allant : des cheveux noirs aux reflets roux, un visage aux traits réguliers, des yeux
brillants « bien trop au gré de sa grand-mère » un peu coquins
sympathique à sa manière elle plaît. Pensive,
avec un soupire emprunt de
mélancolie elle va faire un thé qu’elle
s’applique à boire lentement. Se réveillant de sa méditation elle s’installe
devant son bureau, appliquée elle ne
voit pas le temps passer. Un bruit la
fait sursauter, la fait réagir : Il est cinq heures. Elle cherche dans son sac les
clefs de sa voiture, énervée. Devant
elle une marée de voitures : le parking de la grande surface. Christie
tente de chercher une place le plus près possible de l’entrée principale,
vainement. Après avoir tourné plusieurs fois, une place se libère dans l’allée
cinq, elle cherche dans son sac un jeton où habituellement elle le met, en
maugréant le cherche dans sa poche, le trouve. Avec allégresse elle pousse son
chariot vers l’entrée.
Devant
ce déballage de marchandises où les allées se croisent et s’entrecroisent
Christie passe, tranquille, curieuse. Dans l’immensité de ce complexe
commercial elle trouve quantités d’idées pour ses romans. La main dans sa poche
pour tâter son calepin « son fidèle compagnon qui la suit partout »
rassurée, émue à l’idée de revoir ce couple elle se dépêche. Au milieu de tous
les rayons Christie malgré les
difficultés caddy en main se fraye un passage allègrement, toute son énergie
retrouvée là. La grande surface lui apporte ce dont elle a besoin, les
couleurs, le bruit, le mouvement. C’est son domaine la grande surface, son
attraction. Elle va où bon lui semble,
regarde les articles sans acheter, passe son temps... Quelques
difficultés, quelques encombrements péniblement elle avance, voudrait faire
demi- tour, c’est difficile. Caddie contre caddie, impossible, l’allée est
obstruée. Christie avec patience s’amuse à dénouer le nœud de caddies autour
d’elle, quelques mots… et tout s’arrange. Les grands magasins avec leurs rayons
multicolores, les rêves qu’ils engendrent , les risques, les envies, les désirs
de toutes sortes qu’ils provoquent attirent
Christie.
L’allée
est bouchée par un caddie : une dame est occupée à chercher son
article.
- Madame s’il vous plait ?
Christie
pousse son caddie, se faufile, se meut avec la facilité qui la caractérise dans
ces moments là. La grande surface est une thérapie : elle arrive fatiguée, morose : le bruit, l’agitation
autour d’elle l’obligent à suivre un
rythme, la libère de ses soucis, la décontracte. Doucement tout se remet
en place son entrain revient. C’est sa remise en forme, une ouverture vers
le monde. Hardiment Christie passe devant les rayons d’habits, s’arrête,
hésite, puis part en furetant ailleurs.
Elle va, s’éloigne, se perd, dubitative s’arrête pour réfléchir à sa direction. De tous les côtés ça bouge,
c’est ce qu’elle aime. Entourée d’un monde disparate, contrasté, séduite par
les étalages aux marchandises bien alignées qui l’attirent, les couleurs bien
ordonnées de fruits et de légumes elle soupire de n’avoir rien à acheter. « Car
mijoter pour elle seule ne l’emballe pas » Elle achète tout préparé ce qui la prive de choisir le plus beau des légumes.
Elle aime regarder les rayons colorés. Elle regarde les gens choisir en étirant leurs bras, soupeser, tourner,
palper le fruit, têtes levées regarder les étiquettes, puis enfin
rapidement mettre dans leur caddie. …Christie aime fureter, observer
autour d’elle. Cela fait plusieurs fois qu’elle regarde sa montre. Préoccupée
par le couple elle est allée sans trop savoir dans les rayons espérant le
voir sans ce rendre compte que ce couple
qu’elle avait remarqué il y a quelques semaines déjà, aurait été un hasard de
le croiser dans ce dédale de rayons. Elle doit
remettre son trajet en tête, car dans cette spirale qui l’amène à sa
caisse 17 elle doit éviter les endroits
encombrés. En
bon stratège elle calcule afin de se trouver à dix huit heures à sa caisse où
elle doit être impérativement . Elle est inquiète, angoissée, la peur aux
trousses elle préfère traîner près de sa caisse, attendre en se cachant dans
une file d’attente. Son portable.
sonne
-
Allo ! Tony ?
- Où
es-tu Christie ?.
-
J’achète mes provisions pour la semaine.
- Dans
la grande surface.
-
Pourquoi cette question ? Mais oui. : Sa voix tendre lui serre
l’estomac
- J’avais tellement envie de te parler,
t’entendre. :Tout va comme tu
veux ?
- Je me démène avec mon caddie, aujourd’hui
c’est un encombrement impossible : imagine ces caddies, en ce moment
je suis coincée, je dois couper Tony, excuse moi, je te rappelle. Je
t’aime.
Elle regarde sa montre prend l’allée la moins
encombrée : il faut qu’elle se rapproche des caisses, elle devra éviter les fausses manœuvres, trouver le chemin le plus court, ne pas
couper les files devant les caisses : il lui est arrivée de se trouver caisse
vingt et un ! Afin d’éviter les encombrements elle s’approche de sa caisse par
l’allée en face de la caisse 17 Enfin
elle trouve les manœuvres sans trop déranger, s’excuse
Ça
bouge de tous les côtés, à droite, à gauche, derrière, devant : des
jeans : des mini jupes : des
robes fleuries ; les messieurs en shorts, chemises ouvertes ;
tout ce monde pressé, occupé, préoccupé, bouge en un mouvement ininterrompu
semblable à une vague déferlante. A coté le couple ; abandonnant son
caddie elle tente de se cacher en se glissant
derrière un groupe de personnes, vainement. Le plus discrètement
possible elle se tourne, décontenancée. Aujourd’hui elle veut les voir sans être
vue pour mieux comprendre mais après
quelques grimaces de déconvenue elle leur tourne carrément le dos. Tente une
nouvelle tentative : perdue d’avance . Elle se rend compte qu’il lui
est impossible de les voir sans être
vue ; reprenant son caddie, d’un air détaché elle tourne carrément le dos
aux caisses, disparaît dans la grande surface.
Son
dernier roman la tracasse, malgré de
gros efforts elle tâtonne avec des difficultés à se concentrer, mécontente elle est nerveuse, agressive, . Je dois absolument faire aboutir cette
histoire, il y va de mon travail : de mon mental. Prise de
panique devant ce problème, désespérée elle aimerait avoir sa Manie, elle
ne l’entend pas ! Elle doit se dépêtrer toute seule. Qu’elle malédiction pèse sur moi ! Qui pourrait
m’aider ! La gorge serrée par l’angoisse, l’estomac noué elle se
faufile comme elle peut, plonge son nez dans son caddie vide. Ses pensées sont distraites par la difficulté d’avancer, mais de nouveau
elle pense au couple : il pourrait lui servir de modèle pour son prochain
roman ! Elle n’arrive pas à imaginer
un roman avec eux « Il y a autre chose que je ne comprends
pas. Ce couple m’attire. Elle a souvent pensé les séparer, en vain.
Têtue, obstinée, aidée par cette insouciance qui la caractérise elle garde
confiance : c’est pourtant un sujet qui s’offre! Elle rechigne de s’en servir…!
En soupirant Christie chasse ces
pensées désagréables, retrouve son
entrain et son allant que lui apporte la
grande surface.
Les rayons regorgent de nourriture, tout l’attire. Le nez
piqué dans le rayon des pâtisseries avec effort elle s’éloigne, puis revient,
le spectacle la ravit. Toutes
ces pâtisseries alléchantes l’attirent follement par leurs formes, leurs
couleurs. Elle va du rayon boulangerie au rayon pâtisseries, fascinée, dans un soupir
déchirant s’en éloigne : c’est une histoire, chaque fois dans ses sorties
Christie pique du nez devant toutes les boulangeries, les pâtisseries, n’hésite pas
à traverser la rue pour aller voir la vitrine d’un boulanger. Tony suit
docilement entraîné par elle.
Aujourd’hui devant ces rayons tentateurs qu’elle renifle, savoure : va t-
elle acheter ? Va- t- elle se
laisser aller ? Une petite tarte aux pommes pourquoi pas… un baba au rhum
? Une tarte Tatin ? Elle salive. Prise de remords, fautive devant
sa gourmandise elle se sermonne, penaude elle entend la voix de sa chère Manie : Fais attention Nanette surveille
là, elle est déjà bien rondelette…rondelette… Ces mots raisonnent dans
sa tête en ce moment ! : Christie est terriblement tourmentée,
tentée comme le diable elle va franchir le mur de la tentation devant une
tarte Tatin ! Après un moment d’hésitation et dans un effort de volonté
suprême et un soupir déchirant elle
prend l’ultime décision de s’en aller… mais la tentation est trop forte, elle
revient : fatalement le rayon la nargue de nouveau. Décidemment elle va
prendre un petit gâteau, une tarte Tatin qu’elle met avec précaution dans
son caddie vide. Le caddie plein du
petit gâteau, fière de sa décision elle s’engage dans les méandres de la grande
surface où l’abondance des marchandises l’étonne chaque fois. Elle va… s’excuse.
Les vendredis
succèdent aux vendredis : semblables.
Et tous les vendredis pour de petits
achats elle va dans la grande surface près de chez elle.
Il s’irradie de Christie un air avenant
qui lui donne de bonnes relations avec les autres, l’ambiance de la grande
surface lui sied.
Des regards, des sourires aussi, des
frôlements, un contact bref rarement agressif. Les mêmes situations les mêmes
encombrements de caddies chaque fois… après
trois ou quatre pas rapides elle trouve enfin le rayon qu’elle cherche.
Devant la variété des produits, des marques multiples elle prend son temps, lit
la composition de l’article. Quelques plats cuisinés, des fruits, des
gourmandises…. des bouteilles d’eau. Dans un mouvement de colère
devant son impuissance à ne pouvoir se libérer de ce couple elle prend
rapidement les allées, terrorisée à l’idée de
le manquer !! Une fois son trajet repéré après un volte-face pour
prendre la bonne direction elle regarde sa montre deux fois puis se dirige vers
sa caisse 17 : un sourire par ci, par là pour se faire pardonner de déranger,
encore quelques caisses à passer, les gens
s’exécutent bon gré, mal gré. Avec beaucoup de patience et d’adresse, le
bon vouloir de tout le monde elle est enfin à sa caisse 16 elle va attendre, la file est longue :
un regard sur sa montre pour se rassurer
:il est dix huit heures.
Reprenant sa
respiration elle se recroqueville en espérant passer inaperçu. N’osant
pas regarder, n’y tenant plus elle s’enhardie, se tourne doucement mais
incapable de voir sans tourner la tête, ennuyée devant cette nouvelle
difficulté elle fait semblant de regarder autour, rusant en se tournant un peu
plus, s’excusant. Les gens patiemment attendent. La panique la gagne, de nouveau elle tourne la tête d’un
côté de l’autre, l’étire un peu plus. :
enfin elle prend la décision de
la tourner en faisant semblant de
chercher quelque chose. Soulagée, le couple est là. à la caisse 16 à dix huit
heures précise. Ils se regardent. de brefs coups d’œil pour s’évaluer donnent à
Christie l’envie d’être invisible, mais
malgré tous ses efforts leurs regards se croisent. La prochaine fois elle
essaiera de voir le voir sans être vue : pour cela il faudra trouver une
autre tactique, un autre stratagème. Sceptique devant la suite des événements
Christie hausse les épaules : c’est inutile après tout… Quelle bêtise me suis-je
mis en tête :
Un accord tacite s’est créé pour se retrouver tous les
vendredis à dix huit heures à leur caisse respective, 16 et 17 ! Ce serait si simple de se parler, de se
rencontrer dans d’autres lieux,
s’inviter ! Mais Christie n’est pas prête : son émotion doit
rester intacte, elle doit la préserver, c’est son apanage, et elle s’y
plait tellement ! :
Elle va continuer ce jeu qui la tourmente
et l’attire follement. Cette histoire peu banale la fascine : ces
rencontres incertaines, la curiosité, la crainte d’un échec ! Continuer
: le désir est fou !
Christie
se trouve dans une situation inextricable. Cette affamée de sensations,
cette passionnée va continuer de chercher à voir ce couple dans la grande
surface.
Accoudée sur son bureau, tassée, la tête
dans les mains, songeuse, soucieuse elle se lève pour aller vers sa fenêtre en soupirant, puis reprend son travail. Elle relit le conte pour enfant qu’elle a
écrit, fait quelques corrections…. le cœur n’y est pas.
A droite de la fenêtre une table d’angle sur laquelle trône
une belle photo de Tony, des photos de sa famille : son papa, sa maman, sa
grand-mère, sa tante Amandine, quelques photos prises dans des voyages. A gauche de la fenêtre une élégante lampe
perchée sur deux hautes colonnes. Sur le mur de gauche une belle tapisserie de la dame à la licorne,
au dessous un divan lit, en face son
bureau, quelques étagères avec des livres, des revues, des romans
policiers (son passe temps favori). des babioles. Contre le mur face à la fenêtre un placard blanc, à
droite un fauteuil. Sur le sol un très
beau tapis persan offert par toute la famille donne un aspect cossu à la
pièce : c’est dans ce cadre que
Christie passe les trois quarts de son
temps. La rigueur de l’ordre n’enlève pas l’impression chaude,
accueillante que l’on ressent en entrant. Une grande fenêtre éclaire
agréablement la pièce.
Dans la maison accueillante on entend
régulièrement : chérie ? Lorsque la tante Amandine est là, c’est chérie par ci, chérie par là.
- Que fais-tu ? Viens près de moi ma
chérie. C’est toujours chérie avec tante
Amandine lorsqu’elle parle à Christie,
ou la cherche, l’appelle, car tante Amandine dans son immense élan
d’amour pour sa petite nièce claironne
avec une facilité déconcertante
ces petites chéries, ou mon amour de chérie pour ce petit bébé
merveilleux, ci bien qu’elle a baptisé Christie tout naturellement Chérie.: Les
années ont passé… C’est rester dans ses
habitudes : souvent nous avons droit à une anecdote qu’elle adore
raconter. Un jour téléphonant à Christie : Allo Chérie ? Elle est
tombée sur un monsieur fort agréablement étonné et surpris, s’excusant,
regrettant de ne pas être cet heureux élu : vous avez une voix chantante,
charmante Madame. Amandine confuse par sa bavure en bégayant des excuses
raccrocha. Toute la famille connaît l’histoire par cœur ! (Ce monsieur, n’a jamais appelé) Elle
pouponnait sa chérie, l’amenait dans le parc pour la promener dans son landau
afin de soulager sa sœur, puis ce fut des promenades avec son petit vélo.
Christie lançait de joyeux cris à la vue d’Amandine, battait des mains,
trépignait d’impatience. Depuis toujours Christie a entendu au bout du fil : chérie ? Mais,
depuis sa mésaventure, tante Amandine fait très attention, et de sa voix
chantante et chaude, au timbre gaie, elle dit : Christie
chérie ?
.
- Chérie, pourquoi tu n’as pas un
ordinateur, avec Internet nous pourrions communiquer. Christie téléphone souvent à sa tante.
- Quelquefois j’y
pense : peut être un jour…
- Tu verrais les avantages de
l’ordinateur, ça te soulagerait ..
- Je n’en doute
pas mais pour l’instant je continue avec ma pointe bic et puis c’est une
reconversion qui va me perturber. J’ai peur que l’ordinateur tue mon
imagination. : Amandine n’a pas insisté :
Des
fleurs dans la main Nanette arrange dans un vase un bouquet de pivoines :
elle se tourne vers sa sœur Amandine. .
- Alex pourrait
faire un effort.
- Il avait un
rendez vous, tu sais comme il est indépendant !
- Tout de même.
Tu as des nouvelles de
Christie ? Manie muette jusque là meurt d’envie d’en savoir davantage.
Elle bondit.
- Elle s’est
amourachée d’un certain… Mathieu je
crois...
-
Allons maman son nom est Tony. : Maman n’est pas gâteuse c’est
seulement une provocation.
- Qu’importe nous ne l’avons jamais vue. Si
je le voyais d’un seul coup d’œil je m’en ferais une idée. Je ne passe pas une
heure sans penser à ma petite Christie : elle était si pleine d’attentions
pour moi !
- Pourquoi tu parles au passé. Maman je
pense que tu aurais toujours un jugement défavorable pour lui même aurait-il
toutes les qualités !
- Voyez- vous chez Christie ce qui me
tourmente c’est son regard.
-
Qu’est-ce qu’il a son regard ?
- Il ne cède pas, et puis elle ne fait que ce
qui lui plait, même devant la plus énorme bêtise elle ne cèdera pas.
- C’est la preuve d’une forte personnalité.
- Tu vois comme tu la défends ! Tu en as
fait ce qu’elle est ! Une romancière ! Pourquoi pas une artiste
peintre tant qu’elle y est ! Et qui sait quoi d’autres hélas! J’ai
peur « Manie lorsqu’il s’agit du bonheur de sa petite fille se battrait
contre la terre entière ». : Pourquoi nous le présente t-elle pas … Comment… ?
- Nous
avons fini de nous disputer, c’est Tony Maman, pourquoi tu joues cette
comédie Manie hausse les épaules sans
répondre.
- Que
dit Amandine ? Elle se range de son coté évidemment ! Amandine est
solide, elle, mentalement. Son métier de professeur de gymnastique est plus
qu’honorable. :
L’interpellant
- Amandine : étant ta mère je me permets
de te dire ce que je pense. Je trouve ta
vie un peu déréglée je sais, tu vas me dire : ça ne te regarde pas.
Mais j’aimerais avoir des petits enfants. C’est une maison de filles !
Fais nous un garçon. Hector ne s’est jamais occupé de sa fille il ne pense qu’à
ses plantations, ses plates-bandes… Quant à ton ami Alex il ne fait que ce qu’il veut. Nos hommes dans
cette maison rejettent la réalité, ils se déchargent des responsabilités sur
nous les femmes : Amandine ne réussit pas à se fixer, quant à Christie
Dieu sait ce qu’elle fait ! Je m’en veux de ne pas être un homme ça aurait
marché droit.
Amandine et Nanette se regardent se mordent
les lèvres pour ne pas rire. L’entrée d’ Hector met fin à leur dispute..
-
Ouf…je n’en peux plus je viens de désherber un semi de carottes qui
était envahi par les mauvaises herbes je suis fourbu. Ma plate bande est
impeccable, venez voir !
- Tout à l’heure
il
jette un regard autour de lui, sur la table préparée la nappe fleurie, les
tasses de thé, l’habituel décors qu’il voit tous les soirs.
Tous
les soirs assis autour de la table ils
se retrouvent pour le thé, dans ce moment de détente où l’on parle du travail
de tout et de rien…
Christie
se remémore ces moments où autour de la table l’on bavardait en prenant le thé,
des mécontentements dont elle était
l’objet…
- Il est très bon Nanette.
Le temps n’a rien changé. C’est toujours les
mêmes gestes, les mêmes mots les mêmes inquiétudes, les mêmes
interrogations :
Amandine !
Vas voir Christie à savoir ce qu’elle fait mon Dieu ! : sa petite
fille chérie est un tourment continuel
pour Manie aussi elle charge sa fille Amandine son messager de lui donner des
nouvelles.
Maintenant
dans les cœurs de Nanette, d’Hector de Manie, d’Amandine un fond de tristesse
s’est installé lorsqu’ils sont autour de la table pour savourer leur thé sans
leur petite chérie, et qui sait ! S’ils ne se disputent pas encore en s’accusant réciproquement de ne
pas avoir fait ce qu’il fallait de l’avoir laissé échapper !
Tout est en ordre dans son appartement. Sur son bureau son
dernier travail. Ce soir elle veut
travailler, quelques pas vers sa fenêtre… un coin de ciel entre les blocs… des
balcons fleuris… un vol d’oiseau… un passant…. Christie peut décrire les
événements qui se passent dans la journée à toutes heures, elle connaît les
habitudes de chacun, les fenêtres qui s’ouvrent, les rideaux qu’on tire, les
fleurs qu’on arrose. Un voile translucide s’étend sur la cité obscurcit la
pièce. Sur son bureau les feuilles s’empilent les unes sur les autres dans un
ordre parfait. Elle relit le travail de la veille fait des corrections. !
Préoccupée par une pensée qui la travaille depuis quelque temps elle marmonne.
: Est-ce qu’il n’y aurait pas une part de chance et qu’il faut saisir
lorsqu’elle se présente, qu’il faut vivre le
plus heureusement possible, est-ce qu’il n’y a pas moyen de gérer sa
vie? Est-ce que l’on choisirait sa vie ? Gérer des émotions qui nous poussent
vers des chemins différents ? Christie préoccupée par ce couple qu’elle n’arrive pas à saisir s’isole
dans des pensées lugubres, et dans ces moments là, elle entend sa Manie : Ta fille est élevée sans principes, sans règles, dans l’anarchie
totale Tu dois la diriger lui indiquer
la route à prendre , j’ai peur Nanette : Quel malheur attend Christie
avec une telle éducation. Elle te fait marcher : comment peux-tu ne pas le
voir ! comment peux-tu accepter sans rien dire tous les tours qu’elle te
fait. Oh ! Mon Dieu quoi faire ! Quoi faire !
Le téléphone la fait sursauter :
-
Allô : Christie chérie ?
Sursautant elle bégaye,
- Tante… Amandine…
- Ca va bien ? Je te
trouve bizarre : j’entends à peine, ta voix est bizarre, Je pense à un jogging un de ces jours.! Oui ? C’est
bon ? Sans attendre la réponse elle enchaîne : si tu voyais le cadeau
que m’a fait Alex pour notre quatrième anniversaire.
- Je te
ferai la surprise. O.k pour un jogging, on se met d’accord pour
mercredi
-
D’accord, j’aime t’entendre tante Amandine.
- Tu
vas bien ?
- Mais bien sur ça va. J’étais très occupée avec mon roman.
-
C’était une impression, mais vraiment tu me sembles tracassée , à
mercredi chérie.
-
Mercredi tante Amandine, c’est bon.
Elle
plonge sa tête dans son roman avec difficulté.
Après une bonne respiration
retrouve son courage
Tourmentée
par ses pensées Christie tassée sur sa chaise se sent fautive (seulement
quelques secondes). Un va et vient dans sa pièce, accoudée sur le rebord de la
fenêtre un regard circulaire. Un voile de brume enveloppe doucement la
cité ; elle se demande qu’elle main géniale a fait courir son fusain dans
cet espace infini. Christie rêve à
ce couple, résignée. Elle retourne à son travail mais incapable de travailler
elle panique. Secouant ce carcan qui
l’emprisonne elle cherche son portable.
- Allô ; Tony ? Allô… Allô...
c’est occupé. Elle est bien seule !
Décontenancée le portable dans la main,
le pose. Retournant à sa fenêtre elle regarde la brume gommer doucement
les balcons fleuris.
- Allô ! Tony j’avais le blues un besoin
de te parler. Figure toi je me suis mis une histoire dans la tête qui me
tourmente, je t’en ai parlé ! Oui, vaguement...
C’est beaucoup trop sérieux pour que tu le prennes à la légère. Je
t’assure que je suis très embêtée, j’ai le sentiment que je suis poursuivie par
une malédiction et que personne ne peut m’aider. Je me suis lancée dans une
voie sans issue dont je suis prisonnière. Je fais des efforts pour suivre
tes conseils ! C’est à se taper la tête contre le mur je n’y arrive pas.
Je m’embarque toujours là où il ne faut pas, il y a comme un rejet dans ma
tête : je ne sais pas comment t’expliquer – Tu devrais venir vivre à
Londres avec moi Christie - Je vais
faire un saut à Londres. Je sais que tu veux m’aider Tony. J’ai hâte de te
voir, j’ai envie de toi. Je suis fatiguée par toutes ces émotions mais je suis mieux
déjà de t’entendre, ne t’inquiète surtout pas il faut dédramatiser j’amplifie
tout tu sais bien ! Et toi ça va ?
- Débordé...- mille baisers je t’aime il me tarde d’être
dans tes bras.
Il aurait pu lui parler de ce couple aperçu en entrant
dans sa résidence, cet autre avec lequel il a échangé quelques mots alors
qu’ils étaient dans l’ascenseur, celui qu’il a vu de dos entrer dans
l’appartement voisin. Dans ces moments là Tony leur jette un coup d’œil rapide, allonge le pas se persuadant que Christie
par son travail a tendance à extrapoler. Il est persuadé qu’il doit garder son
sérieux, garder la tête froide. Pour lui
tout doit s’expliquer avec bon sens, avec logique. Il aime Christie qui le
surprend par ses cotés imprévisibles, amusants provocants : ses habits
originaux, et si de temps en temps, cette histoire de couple le tracasse il réagit en
haussant les épaules.
Un rayon opaque traverse la pièce. Tony sérieux devant son ordinateur glisse ses
doigts sur le clavier termine un travail urgent qu’il doit faxer. Il est
le type même du cadre moyen, mince,
légèrement voûté, Tony et son ordinateur ne font qu’un. Méthodique, appliqué
concentré Tony termine un travail. Il va ranger dans sa serviette des copies
qu’il aura prêtes demain à son bureau.
Satisfait il se frotte les mains cherche son portable. Il savoure les mots
qu’il va échanger avec Christie. Le portable dans sa main il attend, fait
semblant d’hésiter, cherche à se tromper, à se faire peur, Christie si étrange
soit-elle ne l’inquiète pas. Elle l’attire, son désir est chaque fois intacte,
son corps gracile et souple, délicat et fragile est une offrande qu’il savoure
jamais rassasié. il retrouve ses courbes sa main glisse sur sa poitrine, son
ventre .. Tony se ressaisit, vivement cherche son portable.
Tendrement il va lui redire les mots, les phrases tant de
fois dites, il va lui dire son inquiétude devant ses absences prolongées, son
envie d’être avec elle de respirer son
parfum, la toucher, la caresser, mélancolique il tape les touches de son
téléphone
-
Allô ! Christie, que fais tu ?
- Ah ! Tony, c’est bon de t’entendre je
suis dans une histoire : j’en ai
deux en chantier : celle là s’appelle au bord du lac gelé.
-
Tu me glaces, ton histoire me parait dramatique.
-
Oui c’est dramatique mais elle se termine bien et quand tu me téléphones tout
se dégèle tout reprend vie avec toi Tony. Tony est muet ; il toussote pour
cacher son émotion puis à brûle pourpoint
lui annonce qu’il vient à Paris le week-end prochain.
Un dernier coup d’œil devant sa glace, le menton relevé
pour mettre son noeud de cravate en place. Un
costume taillé dans un beau tweed souple légèrement brillant gris foncé
met en valeur le jeu de ses muscles. Tony lisse une dernière fois ses cheveux
prend sa montre, son porte document un dernier coup d’œil autour de lui pour
voir si tout est en ordre s’assurer s’il n’a rien oublié. Tony est prêt pour
aller à sa soirée de bridge.
Voilà pourtant des mois et des mois… : il n’aura fallu
qu’une seconde une toute petite seconde pour perturber la vie de Christie. Elle
attendait son tour devant la caisse d’une grande surface, et comme d’habitude
elle regardait autour d’elle, s’attardait devant un couple. Ils étaient
là tous les deux si effacés qu’elle en fut pénétrée. Jamais elle n’avait
connu une telle émotion. Ils semblaient si différents des autres ! Ils
étaient si beaux que Christie en fut perturbée Une pensée fugitive traversa son
esprit : on en ferait un roman de ces
deux là.
Devant son bureau elle tiraille ses cheveux dans tous les
sens, soupire profondément, pensive tâte son visage, machinalement prend son
téléphone.
-
Allô ? Manie.
- Christie ma chérie.
- Comment vas-tu Manie ?
- Quand tu m’appelles je suis la plus heureuse
de la terre.
- Tu
devrais t’occuper un peu plus de Maman et de tante Amandine.
-
Tu déraisonnes elles n’ont aucunement besoin de moi.
-
Alors, et moi ?
- Toi c’est différent tu es ma
petite fille.
- Comment vas-tu Manie ?
- Ca
fait deux fois que tu me le demandes, je suis en pleine forme.
- J’avais envie de
te faire un petit coucou je te laisse bisou Manie.
- Mille bisous pour toi Christie,
porte toi bien.
Hésitante, prête à
poser son portable elle jette un regard
à sa fenêtre. Réfléchissant. Elle va à sa fenêtre pour s’aérer, regarde sa
montre : encore quelques minutes, en face la fenêtre va s’ouvrir. Elle
hausse les épaules pousse un soupir.
- Allô Tony ?
- Oui
Christie.
- J’ai une question
à te poser mais je ne voudrais pas te déranger.
- Tu ne me déranges jamais Christie.
- Eh bien
voilà : crois tu qu’en l’espace d’une fraction de seconde une vie peut
changer.
- Attends,
attends, laisse moi un temps de réflexion, bien sur une vie peut changer
tragiquement.
- Explique.
- Si c’est un
accident c’est tragique. Tu peux passer ta vie dans un fauteuil roulant. Tu
peux avoir un coup de foudre pour quelqu’un : c’est le moindre des
maux ! Tu t’imagines deux êtres qui s’emballent et qui se
tuent ! Et la tragédie du couple de la grande surface ! Pourtant ils
étaient à leur caisse, tranquilles, loin d’eux la pensée de déclencher dans un
cerveau humain normal tant de tempête, imagine quelle tuile leur tombe
dessus ! Voilà ma réponse à ta question. Christie est muette de
stupéfaction et d’indignation, elle n’en croit pas ses oreilles : parler
ainsi de ce couple de la grande surface.
- Je te remercie
de tes explications. Mille bises à toi Tony à samedi..
- Un baiser à ma
bien aimée Christie.
Une tuile, en voilà une idée : mais quelle
idée ! Pourquoi une tuile. C’est un rendez que nous honorons tous les
vendredis dans une grande surface, nous le
recherchons, et nous l’aimons : mais quelle idée !
Christie est en pleine forme, appuyée contre sa fenêtre
elle tente de mettre son nez dehors afin d’observer les cumulus, de respirer
l’air matinal. La journée s’annonce belle. Aujourd’hui elle profite du beau temps
pour aller se promener sur les berges de la Seine. : cette idée la
réconforte et la rend toute joyeuse. Elle met ses chaussures, enfile son
parka, prend son sac à dos dans
lequel elle a mis quelques vivres, une bouteille d’eau. Avec entrain et énergie
bien équipée elle va s’offrir une journée parisienne une ballade le long de la
Seine, un régal. Dans l’autobus elle pense aux gens enfermés dans leurs bureaux
pousse un soupire de compassion pour les gens qui bossent. « Elle
oublie que sa vie a une similitude avec la taupe » : Aujourd’hui enrichissante
et bienfaisante, un vagabondage… sans but avec pour fond de toile les monuments elle erre de Paris. A
cette pensée avec délice elle respire
l’air au plus profond de sa poitrine. Arrivée place Saint Michel elle
descend de l’autobus et d’un pas alerte prend le passage des piétons puis
descend les escaliers : une fois sur le bord de la Seine elle contemple
radieuse les merveilles que lui offre Paris : l’activité de la Seine, les
monuments de la rive opposée chargés d’histoire. Elle est un jour de fête pour Christie. Elle va faire une
marche gonfle sa poitrine émerveillée. Bien équipée pour une longue promenade,
pleine d’entrain d’un pas vigoureux elle part appareil de photos en main. Les
gens se croisent se sourient, sourires d’enchantement. Un calme, une paix. Des
bateaux, un mouvement lent sur la Seine quelques fois un haut parleur .
Christie les deux mains calées sur les courroies de son sac avance d’un pas
assuré, entraînée par la beauté du cite. Elle s’arrête, regarde, porte fièrement sur ses frêles épaules toute
la magnificence de l’héritage que lui ont laissé ses ancêtres. Orgueilleuse et
conquérante elle assiste émerveillée, fière du travail accompli au cours des
siècles. Après avoir pris plusieurs ponts, plusieurs quais, fait une
longue au bord de la Seine elle choisit
la rive droite s’affale sur un banc. Allégée de son sac elle étire ses membres pousse un profond soupir de satisfaction en regardant le
trafic sur la Seine.
De retour à Saint Michel, assise sur la terrasse d’un
café elle tente de récupérer des forces. Il y a tant de choses qui vous
tombent dessus sans qu’on y puissent rien, pense Christie en regardant
passer les gens. Fronçant le front pour ôter ces pensées noires
avec son bon fond d’optimisme elle retrouve la forme. Pleine de sensations
nouvelles elle sourit en pensant à
Tony.
CHAPITRE 4
Effacés ils vont tranquilles, si tranquilles,
si vides de substance qu’on les aperçoit
à peine.
Ce sont des personnages sans artifices,
gentils, sans esbroufes, Théo et Marie vont dans la vie simples et naturels,
vraiment identiques vraiment faits l’un
pour l’autre, une copie conforme, une vie quiète. Ce qui les caractérise lorsqu’on les voit
c’est leur non agressivité, leur gentillesse. Ils se déplacent silencieusement
sans éclats de voix, les jours passent paisibles, sereins, s’écoulent doucement et lorsqu’on les connaît
leur contacte si peu agressif fait qu’on aime leur compagnie sans la rechercher
particulièrement, en fond de toile. Ce sont deux gentils personnages qu’on aimerait
fréquenter et même ressembler.
Aujourd’hui
le temps est gris, menaçant au loin un grondement sourd, un éclair déchire le
ciel obscurci un autre lui succède puis
la pluie tombe, brutale, dure :
-
Allume Théo on n’y voit plus rien, ça m’a l’air bien pris.
- Comment ?
- Tu allumes : il ne faut pas téléphoner
pendant l’orage.
Il
tourne en rond, observe autour de lui, palpe les objets puis
les remet à leur place, cherche à tuer le temps. Théo
s’affale sur le divan un journal à la main. Il lève le nez en réfléchissant profondément ; puis se tourne vers Marie, l’interpelle.
- Tu as lu l’article sur les virus des
ordinateurs, c’est très intéressant.
- Non, je ne suis pas intéressée par ce genre de choses. Veux tu du
thé ?
- Oui je veux bien,
merci.
La
pluie redouble de violence ; un roulement de tambour au loin s’amplifie ;
l’orage approche, gronde de plus en plus fort,
caverneux; les éclairs sillonnent
le ciel ; des grondements sourds, lourds, lointains, quelquefois
plus aigus, plus stridents, des craquements lugubres sinistres du bout du monde
vous nouent l’estomac. Le ciel vous tombe dessus de tous côtés, le ciel est
pris. Il n’y a pas un moment de répit, seul le bruit assourdissant, continu de
l’orage ; Théo s’approche de la fenêtre fasciné par le spectacle.
-
Sors de la fenêtre, c’est dangereux.
- Impressionnant
murmure Théo : Soudain le tonnerre et l’éclair simultanément leur
arrachent le tympan, les
paralysent, l’électricité s’éteint. Dans le noir ils sont paniqués, tétanisés.
Paralysés par la peur ils n’osent plus bouger, se cherchent dans la lueur des
éclairs qui se succèdent, se serrent l’un contre l’autre pour se protéger. Les
roulements se succèdent avec moins d’intensité, puis un silence absolu
impressionnant de fin du monde. Marie se palpe, palpe Théo quel désastre est il
arrivé ? ils se regardent comme des
ressuscités : dans un élan ils vont à la fenêtre croyant voir tout
dévasté.
- Eh bien, je m’attendais à des catastrophes
! Vraiment j’ai eu peur, attends quelques minutes avant de téléphoner.
Marie
relit la lettre de son frère Thomas : c’est inhabituel d’avoir une lettre
de Thomas : intriguée elle en fait part à Théo.
- Tu as lu la
lettre de mon frère ?
- Non.
- Tu devrais la
lire : je la trouve bizarre. C’est pas dans ses habitudes d’écrire, je
soupçonne des histoires avec les parents, c’est louche. Théo distrait par la
lecture du journal répète mécaniquement, histoires. Marie hausse les épaules, s’approche de lui.
.
- Tu m’écoutes
enfin : je la lis : Aujourd’hui je vous écris pour vous faire part
de mon examen que je passe à la fin de l’année : C’est l’idée de papa, et
de maman, surtout papa de me lancer dans
les études. La voie tracée par les parents n’est pas celle que je
veux suivre. Je pense à vous souvent.
Bises à vous deux. Théo
pousse un soupir, s’attend au pire, puis philosophe : on verra bien :
Théo ne veut aucun soucis, il hausse les épaules, répète : on verra
bien.
le
temps passe paisible et calme une vie ordonnée, où Théo et Marie sont
bien : des vacances chez leurs parents, des sorties avec leurs amis Lucie
et Robert.
- Théo ? Nous
pourrions téléphoner au Pugé, j’aimerais bien les voir.
- Distrait par sa
lecture il ne l’entend que d’une oreille.
Leurs
amis sont toujours prêts à les satisfaire : leurs réunions sont joyeuses:
Marie copine d’enfance de Lucie cherche toutes les occasions pour la
voir. Lucie et Robert sont des amis précieux, démonstratifs et énergiques:
le
portable à la main. Je les appelle.
- Robert ? Ah !
- Ca va ?
- Ca va bien.
- Tu es libre
dimanche ? « les connaissant bien elle est sans souci car
Robert et Lucie sont prêts à annuler un projet pour aller pique-niquer
ensemble »
C’est
bon ? Ah ! Tu as ton sport… je
comprends. J’avais pensé que :
Oh ! ne m’interromps pas, que nous pourrions aller pique
niquer dans le bois de Vincennes. Allons, sois sérieux un peu.
- Pour toi ma chérie je suis libre.
Marie pudique le connaît bien mais elle est sur ses gardes. Tu sais
bien chère, fidèle et merveilleuse amie que je pense souvent à toi. : Marie se
l’entend dire souvent : car Robert s’amuse à la taquiner. Elle ne
veut pas à comprendre c’est trop
fatigant : C’est ainsi…
- Sois sérieux pour une fois, d’après la
météo il va faire beau : passe moi
Lucie s’il te plaît.
-
Tiens la voilà. .
-
Lucie ? Ca va ?
- Bien
- Depuis longtemps je veux vous appeler,
j’ai eu le répondeur plusieurs fois. Je pense à
un pique-nique dans le bois de
Vincennes Théo parait d’accord mais tu
sais avec lui c’est vague, il serait d’accord. Je ne peux discuter
sérieusement avec lui, il demande ton avis.
-
C’est du beau temps ?
-
Oui. On pourrait aller à la campagne ou dans un parc : j’ai besoin de respirer.
- D’accord pour le parc. Lucie connaît bien
son amie, sa fragilité l’émeut. La
bouillante Lucie aime les sorties actives, sportives. : O. k. Marie : dimanche à Vincennes,
rendez-vous au même endroit à treize heures nous ferons notre jogging. Gros
bisous à vous deux.
Théo
d’une voix tonitruante lance : d’accord,
replonge dans sa revue, impromptu
l’interpelle : tu sais à quelle vitesse courent les guépards ?
Christie le regarde éberluée. Reprenant ses esprits, le regarde dans les yeux
(elle veut être sérieuse, quelle question !) réfléchissant très vite : Soixante
à soixante dix à l’heure.
- Non, ils peuvent atteindre cent à l’heure et font des bons de cinq mètres.
- Tu vois comme tu
m’écoutes : répète ce que je t’ai dit.
- Une sortie avec
Lucie. : enfin Théo retrouve Marie.
- Tu es sûre du
temps ?
- Oui,
parfaitement sûre, et avec un petit air narquois, un regard en coin pour
taquiner Théo, s’il fait mauvais nous irons au restaurant ! (C’est le rêve de Théo) .
- C’est vrai
j’aimerais aller au restaurant, . - Faiblard.
: Aujourd’hui dimanche c’est leur jour de pique-nique.
Leur rythme est cassé ils sont énervés
vont dans tous les sens. se bousculent quelque éclats de voix, des silences
inquiétants, eux si
paisibles !
- Si tu m’aidais un peu murmure
Marie.
- A quoi ?
- Tu me gènes, je
cherche mes lunettes de soleil, tu ne les aurais pas vue par hasard ?
Théo
préfère ne pas répondre : des lunettes maintenant ! Alors que tout
est à faire ! Marie énervée cherche
ses lunettes.
Aujourd’hui il vont au bois de
Vincennes : le temps est un facteur
secondaire pour eux. ..
- Tu as vu mes lunettes ?
- Pourquoi tu cherches tes lunettes en ce
moment ?
- Si tu les vois tu le dis, je farfouille
partout je ne les vois pas..
- Arrête, laisse tomber on les trouvera sans
les chercher. Théo ne comprend plus Marie, sa Marie si douce. Ces énervements…
cette agitation… sont pour le brave Théo incompréhensibles : il est
inquiet.
S’assoyant
sur un tabouret pour réfléchir,
voyons…vendredi nous sommes allés à la grande surface où… j’ai
acheté... sa mémoire lui fait défaut, énervée elle ouvre le frigidaire.
Ouf, c’est bon, calmée elle appelle Théo.
- Je fais comme d’habitude ? Marie énumère le contenu de son
frigidaire, Jambon…
- Non,
non, non c’est bon. Je te fais confiance.
Sans l’écouter elle enchaîne. .
-
Saucisson, fromage, tomate, pour le dessert, salade de fruits, cake... « Marie ne tient toujours pas compte de
ce qu’à dit Théo » Théo dubitatif en se grattant l’épaule s’approche
embarrassé : tout lui convient.
- D’une voix à peine audible, fais ce que tu
veux Marie.
- Théo qu’est ce que tu as ? Tu pourrais articuler.
-
Fais comme tu veux, voilà deux fois que je te le dis.
C’est
chaque fois une agitation qui met Marie hors d’elle car elle doit faire
preuve de talents de ménagère ! Des questions… des questions… où il faut
une réponse…
Marie
retrouve son entrain. Avec application elle prépare ses sandwichs au jambon de
Paris, emballe ses petits pots, ses fruits. Quant à Théo il s’occupe de sa
voiture : c’est le moment de l’inspecter. Son nez à l’intérieur du
moteur pour mieux voir, les fesses en l’air il ausculte, rassuré il baisse le
capot. C’est un maniaque de la voiture. Quand il s’agit de la voiture tout doit
être parfait. Encore une dernière inspection, un dernier regard sur la belle
carrosserie qui brille de tous ses éclats, satisfait. il revient dans
l’appartement.
- Tu
devrais charger la voiture, au lieu d’être planté là, à me regarder.
Théo
campé devant Marie l’observe. Le grand et brave Théo n’est plus le même
lorsqu’il revient de sa voiture alors il
regarde Marie, l’observe, inspecte.: Marie est totalement ignorante
devant un moteur elle a confiance en Théo certes, mais elle n’oublie pas la
révision annuelle de la voiture.
Lucie
et Robert sont des amis fidèles malgré des voies divergentes ils se sont
retrouvés par hasard à Paris. : Marie moins expansive que son amie,
plus posée, plus calme s’étonne devant l’appétit de son amie de vivre ;
son exubérance est un moteur qui lui recharge ses batteries dit-elle..
Ils
connaissent tous les coins du bois de Vincennes, c’est dans celui-ci
particulièrement qu’ils se réunissent, le plus accessible, le plus pratique
aussi pour eux ; la voiture garée en bordure du trottoir où ils trouvent chaque fois une
place ils descendent. : plus loin
les voitures des prostituées. Marie est
gênée et curieuse aussi. Elle prend Théo par le bras lui fait accélérer
l’allure : d’un bon pas vigoureux ils passent. Elle se risque toutefois à
jeter un coup d’œil : un client…
Marie frissonne détourne ses yeux elle
aimerait se rendre invisible
- Tu remarques Théo toutes ces
fourgonnettes ! J’en vois de plus en plus
- C’est dommage.
- Attends, je crois voir Lucie et Robert.
Aux pas de courses ils foncent avec de grands
signes , agitent leurs bras. .
Chaque fois les rencontres pleines de la
promesse d’une bonne après-midi donnent à Théo et Marie l’entrain, le dynamisme
qui leur manquent. Cette après-midi Théo
et Marie si peu actifs trouvent dans leurs amis ce bonheur impalpable, cette
joie d’être réunis là, dans le bois de Vincennes et c’est chaque fois joyeux et insouciants ils
laissent aller leur appétit de vivre, alors ils cancanent, racontent des histoires qui les font pouffer
de rire… Ils assistent en spectateurs aux courses à pied, à bicyclettes :
(les gens s’entraînent dans le bois) : chacun y pratique son sport
favori : les professionnels comme les amateurs sont parfaitement bien
ici.
- Lucie ? Robert ? Crie Marie
brandissant à tour de bras son mouchoir comme un fanion. Ils se font de gros
bisous puis en habitués prennent un chemin piétonnier bien connu d’eux. Des
gens font leur jogging, des couples enlacés, des retraités se promènent
paisibles, détendus : Les chiens jappent, joyeux, fougueux, courent dans
tous les sens, reniflent, tournent autour de leur maître en réclamant des
caresses puis par bonds joyeux sautent, jappent.
La vie
est suspendue, l’air est léger. Les gens sont discrets, respectueux des autres,
on croirait se trouver sur une scène de Théâtre où chacun a son rôle. De chaque
coté de l’allée une prairie, de vastes étendues vertes, de petits bosquets, des
arbrisseaux jonchent la prairie puis au fond la forêt avec son rideau d’arbres
où l’on aperçoit au travers des arbres des chemins sinueux.
Marie,
Théo, Lucie, Robert s’installent dans ce décor aphrodisiaque pour
pique-niquer. Sensibles à l’endroit les quatre têtes s’immobilisent puis tout
d’un coup s’agitent. Pleins d’entrain, de verve, heureux de se retrouver
ensemble ils respirent l’air à plein poumon. A peine installés chacun sort de
son sac les victuailles : sandwichs,
fruits, bouteilles d’eau etc.… . Le grand air colore les joues stimule
l’appétit. Ils mordent goulûment à pleines dents dans leur sandwich. Surpris de
leur (voracité) ils se regardent la bouche pleine, un petit revers de doigts
sur la bouche ils pouffent de rire leur mandibule calmée, leur estomac aussi.
Marie retient l’attention de Lucie
-
Marie ! C’est bon ?
- Oui.
Oh !
la ! la ! : les chiens
frétillent en remuant leurs queux renversent tout sur leur passage, attrapent
tout ce qu’ils peuvent ; Surpris, a toute vitesse ils enfouissent le reste
des victuailles dans leurs sacs :.
La conversation est animée où le sérieux et
l’inconséquent s’y mêlent, les rires explosent. Ils papotent à qui mieux mieux,
heureux un regard autour
d’eux. Seule Marie est songeuse.
- Tu ne manges pas Marie !
Théo
inquiet regarde Lucie.
- Marie ? Théo a raison de s’inquiéter
tu as une petite mine. La capiteuse jeune femme qu’est Lucie toute en harmonie
avec la nature dévore la vie. Sa mine épanouie ses formes pleines et
délicates sont un plaisir à voir. Son travail de réceptionniste lui va
parfaitement.
- Vous avez prévu
quelque chose pour les vacances ? Interroge Théo.
- Comme d’habitude nous louons une villa prés
des parents de Robert dans les environs de Thiers. C’est verdoyant et
pittoresque ; venez donc ! Nous réservons d’une année sur
l’autre et nous retrouvons toute la smala : les cousins les cousines, les
tantes les oncles et j’en passe ! Vous imaginez un peu les journées ! Ils nous
collent à la peau sans arrêt : ce sont des adolescents !
Imaginez !.
- Vous ?
- Comme vous, chez les parents de Marie dans
un endroit superbe près de Marseille. Nous y avons des amis que nous retrouvons
chaque année, c’est sans surprises. Nous
pourrions changer qu’en penses tu Marie ?
- Si tu veux.
Lucie
insiste.
- Marie, viens ; nous vous ferons visiter la
région l’air y est excellent. Tu retrouveras une bonne
mine, tu parais tracassée :
- Tu es fatiguée Marie ? Ca va ?
- Oui, ça va, c’est seulement une fatigue
passagère déjà je me sens mieux ; je pense à ce que tu viens de dire. Nous
regarderons la carte chez nous. C’est
près de Thiers ? Tu dis.
- Oui. Que fait on maintenant ?
Marie
somnole à moitié : les gens éparpillés un peu partout se délassent assis
contre les arbrisseaux par petits groupes, ou seuls, se détendent, lisent,
dorment. Les enfants s’ébattent joyeusement, leurs cris animent gaiement
l’endroit. Au fond le soleil colore la forêt par petites touches ocre. Marie,
Théo, Lucie, Robert sont attentifs, silencieux ils contemplent le site. Les
enfants fougueux s’agitent comme des petits lutins dans le vent. Les quatre
larrons forment une troupe saine. Les histoires s’enchaînent, c’est à qui en
racontera le plus. Grisés par l’air, débordants de vitalité ils aspirent la
vie.
Lucie
est très belle dans sa robe tachetée de petites fleurs de toutes les couleurs
qui s’harmonisent parfaitement avec son
teint éclatant : on croirait voir un tableau de Renoir. Gracieuse, ouverte aux
autres on a envie de se confier, tout
est simple avec elle. Marie, Théo, Robert sont sous le charme. Là, dans la
nature elle offre une image qui vous
ravit le cœur. Son métier de réceptionniste lui sied à merveille. Tout baigne
pour Lucie, intelligente elle est bien partout. Ses collègues apprécient ses
qualités professionnelles auxquelles ils font appel souvent. Marie nonchalante
écoute, sa petite mine, son air absent, ce n’est pas l’habituelle Marie.
- Robert comment trouves tu Marie ?
- Sublime.
- Sublime répète Théo,
- Oui dit Lucie mécaniquement, sublime, tout
de même elle harangue son amie, l’admoneste, lui trouvant mille et une raisons
d’être plus cool dans son boulot.
- Marie ! Tu travailles trop nous sommes
inquiets. Théo et Robert approuvent ils sont tout attendris devant Marie.
Assise en tailleur Marie les sourcils levés les regarde perplexe.
- Je tiens à vous rassurer, j’ai seulement
une petite fatigue passagère qui est entrain de partir. Votre forme m’aide.
- Que fait-on ? Robert a des
fourmis dans les jambes.
- Un jogging ? Propose Lucie.
- Un jogging répète Marie vaseuse : on
est bien ici.
- Bon ! D’accord on fait une sieste. Les
quatre têtes plongent sur leur sac.
- Heu …ce qu’on est bien... Ils scrutent le
ciel, le bleu lavé du ciel leur renvoie une faible lumière. Endormis par la rumeur lointaine leurs yeux
se ferment. Le chemin s’étire en une
longue courbe, les promeneurs passent, les enfants trottinent, les chiens
frétillent, tournent, reniflent les jambes, cherchent à manger. Le reniflement
d’un museau sur la figure de Théo le fait sursauter.
- Oh ! Vilain petit cochon. Théo frotte énergiquement sa joue, maugrée
quelques mots, s’étire, quelques bouffées d’air achèvent de le réveiller. Il
suit des yeux le gamin transformé en aéroplane imitant son bruit, l’enfant qui
trottine derrière un oiseau en poussant des petits cris stridents.
- Hello ! On y va ? Les yeux
clignotent, les membres engourdis s’étirent.
- C’est bon.
Robert grand
gaillard bel athlète séduit les
femmes avec ses grands yeux noirs, son regard de velours très méditerranéen. Il est toujours prêt à aider la fragile Marie
qui s’étonne de toute l’attention dont elle est l’objet. De larges épaules,
beau corps d’homme musclé qu’il cultive en faisant du sport, du karaté sa
spécialité. Il travaille dans la police : Lucie se plaint de son compagnon
qui passe la plupart du temps au gymnase : Lucie et Robert forment un beau
couple, en leur compagnie vous vous sentez capable d’entreprendre n’importe
quoi, leur dynamisme est contagieux, leur vigoureuse santé leur permet de faire
tout ce qu’ils aiment. Ils habitent un appartement d’un certain standing, un
deux pièces vaste. spacieux, fonctionnel, près de la place de la Bastille. Dans
l’entrée la copie d’un peintre italien du dix-huitième est accrochée au mur.
Dans la salle principale des rideaux de couleurs joyeuses printanières, rouges,
jaunes, vertes, bleues, filtrent la lumière ; de petites miniatures sur les
murs écrus. Au centre une table en ébène. L’ensemble donne une impression
spacieuse, aérée.
Théo et
Marie sont leurs opposés ; ils se faufilent partout sans se faire
remarquer. Marie est une jeune femme timide, elle est si exquise que l’on
cherche dans sa mémoire où on l’a
déjà vu ! Elle a le visage des madones que l’on trouve dans les célèbres
tableaux des Maîtres italiens. Ses
traits vous surprennent par leur pureté : C’est la perfection dans la beauté et, si l’on y
est attentif on oublie ses soucis. Chez Marie tout est charme, grâce. Son
manque de recherche vestimentaire son élégance naturelle sont à l’opposés de
son amie. Une petite brise vient de se lever caresse leurs juvéniles
visages.
- Que fait-on maintenant demande la
bouillante Lucie. : Robert, Théo, Lucie ont des fourmis dans les jambes.
Marie est muette.
- Un
jogging ? Propose Lucie.
- Un Jogging ?
Répète Marie, vaseuse.
- Allez on y va : Marie
essoufflée traîne derrière.
- Allez
Marie ! On ne traîne pas
Affalés sur leur canapé Marie et Théo
malmenés par leurs amis sont incapables de prononcer une seule syllabes, vidés.
Les yeux clos ils tentent de reprendre des forces. Enfin Théo réagit
- Je
boirai bien un thé, et toi ?
- Oui,
moi aussi
Théo aime faire le thé, il le prépare avec
amour, approche la petite table près de Marie dispose les tasses en harmonies avec la table, s’installe,
tapote avec son portable, dubitatif devant Marie qu’il trouve lointaine depuis
quelque temps prend son journal tente d’intéresser Marie au sujet d’un
article : en vain, Théo le nez dans son journal entend à peine Marie.
- Bien.
Pourquoi tu dis bien, j’ai rien dit.
- Je t’écoute.
- Nous pourrions aller en vacance avec eux.
Devant le silence qui suit on peut penser qu’il est d’accort. Tu connais
le Massif Central ?
- Vaguement...
- Rêveuse elle répète : le Massif
Central… elle pense à ses parents qui sont allés faire une cure à
Vichy. On louerait une petite maison
pourquoi pas ! Tu écoutes…Théo pose son journal pour réfléchir.
-
Répète.
- Le
Massif Central.
je
crains qu’on s’y prenne trop tard les locations sont retenues d’une année sur
l’autre ! Tu vas chercher l’Atlas s’il te plaît.
- Regarde : c’est énorme ! Penchés
sur l’Atlas distraits par tous les endroits magnifiques ils s’interrogent. Les
regards glissent… les rêves fourmillent…après avoir tourné plusieurs pages
s’être interrogés sur différents endroits où ils aimeraient aller ils arrivent enfin sur la carte du Massif Central. Ca me plairait bien… c’est chahuté… :
pensive, le regard perdu, le regard dans le vague.
Depuis quelque temps Théo s’interroge sur
Marie. Ce regard absent cette façon détachée de faire la conversation ne sont pas dans les
habitudes de Marie. Théo le front plissé s’inquiète, il ne veut que la
satisfaire. :
- Je vais leur en parler… Théo se lève
attristé par le comportement de Marie il s’agenouille devant elle lui passe la
main devant les yeux pour la réveiller
Marie ? Quelque chose ne va pas ?
- Je tombe de sommeil.
Théo agenouillé devant Marie le front
soucieux s’approche si près d’elle que son souffle lui caresse le visage. Il se
secoue pour chasser cette angoisse qui lui noue l’estomac. Soucieux il va à la
fenêtre l’ouvre en grand, l’air est lourd, accablant, il cherche en vain un peu
de fraîcheur : Théo n’est pas rassuré. De nouveau agenouillé devant Marie
endormie et devant son beau visage si paisible il se relève péniblement, une
intense fatigue lui fait courber les épaules. Pour ne pas la réveiller il s’installe sur le
fauteuil ; fatigué, pensif, il
s’endort doucement.
CHAPITRE 5
Prisonnière de ses
fantasmes dans sa solitude Christie écrit
pendant des heures. Elle téléphone à son compagnon Tony, solide, aimant. Ils se
retrouvent soit à Londres soit à Paris puis elle a ses parents, Robert son
père, Nanette sa mère, Manie sa grand-mère, Amandine sa tante, ses amis Julie
et Stéphane.
Dans son une
pièce elle écrit assise devant son bureau sans se préoccuper du temps, les
heures passent sans qu’elle s’en rende compte, concentrée, attentive. Le temps
passe entrecoupé de visites à sa fenêtre ou à son frigidaire. Son abord
agréable lui donne de bonnes relations avec les autres. Elle s’est
installée dans son isolement y trouvant le silence qu’elle aime qui lui permet
de méditer, de réfléchir.
- Allo,
Tony ? Tu sais l’irrésistible envie que j’ai de t’avoir au bout du fil. Où
es-tu en ce moment ?
- Dans mon bureau. Chaque fois ma chérie c’est
un plaisir si grand de t’entendre, ne te bouscule pas trop avec ton travail,
as-tu quelque chose en vue aujourd’hui ?
- Je pense que
je vais m’aérer, je vais aller prendre un pot dans un bistrot, j’aime ces
endroits.
- Mille bises
Christie je dois couper. Ah ! Je souffre de ne pas te voir , à
bientôt
Elle doit
secouer sa nonchalance naturelle ce qui l’oblige à sortir et pour ne
pas y succomber elle va partout où il y a du monde Elle traîne par plaisir dans
la grande surface ou dans le métro, le r
e r, les cafés où là elle trouve
l’inspiration et l’équilibre qui lui sont indispensables pour écrire. Chaleureuse,
plaisante elle attire la sympathie : dotée de petites exigences elle passe
dans la vie « aidée par toute la famille » sans s’inquiéter. Pourtant depuis quelque temps sa vie est
gâchée : ces rencontres avec le couple de la grande surface tous les vendredis
la tourmente : pour mieux
comprendre elle va lui donner un nom : en se grattant la tête et en
se trémoussant sur sa chaise la tête dans ses mains avec un soupir arraché au plus profond de son être
elle arrive à la conclusion « Je
serais tellement heureuse sans cette histoire de couple qui trotte dans ma tête.
Comment je vais l’appeler ?
Mon Dieu ! Mais quelle histoire ! Maintenant je dois l’appeler,
comment l’appeler ? Après
s’être consciencieusement grattée la tête, grattée le dos, anéantie devant tous les problèmes que lui
pose son histoire de couple et après réflexion elle conclue : Je vais
l’appeler tout bonnement : le couple de la grande surface.
Assise à son bureau n’en croyant pas ses oreilles elle se
dresse de son fauteuil tendue, croyant rêver incrédule les mains sur les
accoudoirs hésitant à se lever elle tend l’oreille puis d’un bond se précipite
à la porte, colle son oreille à la porte avant d’ouvrir. Quatre petits coups
puis quatre autres. Elle les connaît bien ces petits coups…incrédule la main
sur sa poitrine pour calmer ses battements de cœur : encore quatre petits
coups, d’un geste sec elle ouvre la
porte.
-
Tony !
Elle lui prend les mains le
palpe pour s’assurer si c’est bien
lui : c’est tellement inhabituel
qu’il vienne un jeudi.
Avec désinvolture Tony lui
explique brièvement les raisons de son voyage impromptu : un contacte
avec un collègue… Christie flaire autre chose, prudente elle se tait. :
Tony avec un brave sourire appuyé contre le mur regarde.
-
Comment vas-tu ?
- Tu
es là, je suis au zénith : Tony tourne dans l’appartement observe Christie
qui les yeux écarquillés le regarde incrédule, mal à l’aise dans son costume
il secoue ses épaules desserre sa
cravate en tournant la tête.
- Que
fais tu demain ? Je suis libre l’après midi.
-
Demain c’est le jour où je fais mes courses Tony.
- Eh ! bien ce sera un plaisir de
t’accompagner : Christie le front plissé se demande comment lui expliquer
qu’elle veut être seule.
- Tony, j’aimerais aller au théâtre
ce soir.
- Sans problèmes tu choisis le spectacle. Mais j’aimerais
aussi t’accompagner dans tes courses : Tony insiste. Je voudrais voir ce couple.
-
C’est impossible Tony.
-
Nous pourrions en parler !
- Pour moi c’est déjà un mystère que je
n’arrive pas élucider !
- Devrait il y avoir un mystère entre nous ?
Ce n’est pas un mystère puisque tu m’en parles.
- Laisse moi le
plaisir de te le décrire : tu n’as pas les mêmes émotions que moi! En ce
moment tu l’imagines à travers moi : si tu le vois nous aurons des
incompréhensions nos regards n’étant pas les mêmes tu comprends ? Il
ne faut surtout pas.
- Je suis profondément navré que tu ne me fasses pas
confiance, je t’aime par dessus tout, je sens qu’une menace pèse sur toi
Christie…comment t’aider... Christie
émue regarde longuement Tony, elle s’entend lui dire mécaniquement :
- Non Tony tu ne dois pas le voir.
Pour ne pas montrer son désappointement il tourne la
tête défait sa cravate. Sur son front perlent quelques gouttes de sueur,
de la fenêtre grande ouverte un souffle d’air entre dans la pièce, les lumières
obscurcies par la moiteur de l’air, la chaleur lourde, oppressante arrêtent la
respiration. Ils sont accablés, malheureux de ne pouvoir communiquer.
- Christie ma chérie je n’ai jamais été
aussi aimant avec une femme ; je suis prêt à faire beaucoup de concessions
pour toi, je t’accompagne dans tes émotions, je veux te savoir heureuse.
Après tout, un jour tu perceras ce mystère alors ce jour là mon amie sois sûre
je te le promets nous serons deux à le vivre.
- Il faut attendre Tony. Il y a quelque chose
en moi que je ne connais pas encore qui se manifestera un jour !
Cette incompréhension vis-à-vis de ce couple torture
Christie, Pour s’en libérer elle cherche désespérément la solution. Que
vont penser ses amis si elle les
met au courant ! Que diront ses parents si elle leur en parle ! Sa
mère, son père, sa tante Amandine, sa Manie. Elle entend Manie se révoltant
contre l’éducation désastreuse que lui a donné sa fille, soupçonnant une
menace sur Christie : Nanette tu manques de sévérité, de bonnes fessées
lui feraient du bien ! Elle est élevée dans tout son poil !
Comment veux tu qu’elle sache faire la différence entre le bien et le mal. Mon
Dieu, dans quelle misère elle s’est mise.. Son cerveau en ébullition ne trouve
plus la paix ! Quel tourment !
Les traits tirés
elle reprend son travail passionnée par sa nouvelle « Le bois du
souvenir. » les heures passent sans qu’elle s’en aperçoive.
Partie du cocon familial pour vivre sa vie d’écrivain
Christie a eu des débuts difficiles : Papa,. Maman, Mamie, tante Amandine ne cherchent qu’à plaire à leur chère
Christie alors aidée par ses parents ma fois elle s’en sort. Avec beaucoup de
ténacité et de courage elle est arrivée à ce qu’elle voulait, écrire. Ses
qualités d’imagination, de créativité l’ont amené à suivre cette voie.
D’habitude elle gère ses émotions au gré des
événements ! Mais là elle ne trouve aucune explication : son ami Tony
l’appelle souvent pour la distraire ses parents ne négligent pas le téléphone
non plus : en général les choses s’arrangent mais avec ce couple elle est
piégée. elle ne comprend pas.. : ce couple figé sans passé à peine présent
l’amène nulle part ! : Et pourtant
elle ne se lassera pas de le voir tous les vendredis dans la grande
surface car chaque fois elle est prise d’une émotion intense par la peur de ne
plus le revoir et, lorsqu’il est près d’elle c’est le vide ;
Prise au piège d’une panique inexplicable elle va appeler
Tony.
Confrontée à un irrésistible besoin de ne rien faire
Christie se console comme elle peut. : Cette paresseuse invétérée n’a qu’un désir, ne rien faire.
Son combat continuel contre ce
fléau l’oblige à travailler comme une forcenée et lorsque elle est
fatiguée elle va se consoler en ouvrant son frigidaire, où là c’est encore un
autre combat livré contre sa gourmandise car pour clôturer cette lamentable
paresse elle est gourmande. Si elle se laissait aller elle empiffrerait des
gourmandises toute la journée :
alors elle ouvre son frigidaire plusieurs fois par jour pour le plaisir sans
rien prendre en soupirant.
Aujourd’hui après une longue réflexion devant son frigidaire son choix
va vers un petit fromage blanc sans sucre. La conscience tranquille elle va le
goûter assise devant son bureau. Son
travail rythme ses jours : elle se distrait en regardant par la
fenêtre les blocs, les heures
passent... de la fenêtre à son bureau de son bureau à sa fenêtre ce va et vient
rythme sa vie.
Devant son bureau énervée, inquiète elle attrape une
photo de Tony sur l’étagère hésite à l’appeler, remet la photo en place. Elle
se lève arpente sa pièce en se tapant le front puis de nouveau à son bureau
tapote ses feuilles, rature, hoche la tête, relit approuvant, désapprouvant. : Les feuilles
s’empilent les unes sur les autres. Son portable la suit partout, la rassure
c’est le lien entre Tony, Manie, Papa,
Maman, tante Amandine.. Son stylo et son portable lui collent aux mains. La
visite régulière de sa tante les appels répétés de Tony de Manie de papa de maman et de tante Amandine
la réchauffent. Accablée par le couple de la grande surface elle pousse un
immense soupir regarde sa montre puis rapidement met de l’ordre, s’habille
en toute hâte, prend son sac ses clefs
de voiture, préfère l’escalier à l’ascenseur qu’elle dévale à toute allure, c’est
l’heure. elle va retrouver ce couple « ses ravageurs amis : le
couple de la grande surface » Ce besoin vital d’aller dans les
endroits publics à la rencontre de gens dans toutes ces sorties, dans tous les
lieux où elle va, ce contacte qu’elle veut trouver dans un échange de quelques mots la sort de son
isolement. Sans complexes elle est à l’aise dans la grande surface Cette ambiance lui sied à merveille, ces
quelques mots la réconforte, parfois il y a quelques déceptions : les
gens la regardent indifféremment,
contrite elle s’éloigne, s’accuse d’être maladroite mais ne renonce pas.
En général les gens sont courtois. Mais en ce moment son obsession c’est le couple de la grande
surface, elle ne pense qu’à lui. Sa mémoire visuelle des êtres et des choses a
souvent étonné ses parents ! Sa Manie s’étonne : Christie tu me
parles de personnes que j’ai vu il y a bien longtemps !
Comment veux tu que je m’en souvienne.
Tu es phénoménale de te souvenir de tout : tu me les décris comme si tu les avais devant
toi.
Christie
en soulevant sa poitrine afin de mieux respirer se lève va à la fenêtre. Je
dois achever mon roman rapidement. Mais pas plus à la fenêtre qu’à son
bureau elle n’arrive à trouver la concentration qui lui est indispensable pour écrire. Passant plusieurs fois sa main sur son front,
tassée, le regard vide devant ses
feuilles les yeux fermés avec efforts elle cherche à revoir le couple de la
grande surface. Tourmentée entre son roman d’une part et son
couple d’autre part elle frissonne, se lève va à son miroir. : Le
miroir lui renvoie une image qu’elle ne reconnaît pas, un visage défait, tendu,
aux traits tirés. Elle essaie de comprendre ce qui lui arrive, secoue sa tête
violemment pour ôter cette fixité étrange, respire plusieurs fois afin de se
détendre. : Enfin délivrée de cette obsession elle revient à son bureau
bien décidée à terminer son roman et à tourner une page sur cette histoire des
plus rocambolesque.
: Comme c’est surprenant de me
rappeler ce couple! Cela fait si longtemps… Elle se souvient d’avoir été interrogée sur la beauté si
parfaite qu’on ne la remarque pas, et lorsqu’elle vit ce couple son regard
avait glissé sur lui puis été revenu plusieurs fois et cela voilà longtemps…
bien longtemps… Elle se souvient très bien de cette pensée fugitive :
on en ferait un roman de ces deux
là …mais c’était floue… et
maintenant grâce au hasard extraordinaire de la vie elle le retrouve, quelle
coïncidence ! Elle a chercher à le revoir, entraînée par une
curiosité qu’elle n’a pas su maîtriser et
dont elle n’a pas eu conscience elle s’est attachée à ce couple qu’elle
retrouve le vendredi à dix huit heures dans la grande surface caisse 16 comme à
un rendez-vous d’amour. Et lorsqu’elle se prépare pour aller à la grande
surface elle est submergée de bonheur. Cette joie elle doit la comprendre
absolument. Elle s’interroge en permanence sur ce couple timide, effacé,
superbement beau. Elle peut le retrouver comme elle veut
virtuellement net, précis. Son image est si émouvante qu’elle en est bouleversée. Effondrée elle se rend compte
qu’il est le tourment de sa vie. Ensorcelée elle doit se secouer afin de
chasser ce « démoniaque
couple » qui la fascine.
Cheveux
ébouriffés, regard brillant, un panier
au creux du bras, Hector entre.
- Hector…Hector…Hector ! Crie Christie
en faisant des voltes faces pour l’empêcher
d’avancer, l’attrapant par la jambe
puis jetant un coup d’œil dans le
panier elle saisit une carotte, la
brandit sous les nez autour
d’elle : de Manie, de Nanette, de tante Amandine, de son père Hector.
Trottinant elle va de l’un à l’autre la carotte au bout des doigts.
- C’est
irrespectueux d’appeler ton Papa Hector, lui rappelle Manie, n’est ce
pas Nanette ? Laquelle hausse les épaules, s’en fiche éperdument.
- Moi,
je n’y vois pas d’inconvénient !
-
Jamais ton père n’aurait accepté
ça.
Hector s’en fiche comme d’une guigne ne pense
qu’à sa récolte qu’il brandit fièrement. Ces carottes sont bien petites mais au
moins elles seront tendres. Nanette pas
compliquée pour deux sous jette un regard sur la salade.
- Ce
soir au menue carottes et salade. Devant le regard de déconvenue de tout le
monde elle ajoute : qu’est ce qui ne va pas ? Un silence, seul un
petit roucoulement de Christie. Christie a tendrement enlacé le cou de sa
grand-mère qu’elle caresse de bisous, sa petite tête sur ses épaules elle
attrape son doigt qu’elle suce goulûment. Effondrée par tant de bonheur Manie
prie pour sa petite fille.
Des yeux clairs, vifs, un visage doux un
sourire séduisant Christie est un ensemble de
grâce, d’audace, de timidité.
Sans complexes elle va... Des habits originaux quelquefois extravagants une
démarche assurée elle va tête haute comme elle l’entend. (Au grand émoi de sa
grand-mère) Tenace, obstinée, lorsqu’elle a une idée en tête elle est installée
définitivement. Guidée par son instinct stimulée par la difficulté elle
s’accroche. Ses jugements hâtifs sont corrigés en général avec bon sens.
Eh bien là elle n’arrive pas à raisonner sainement . « Quelle terrible histoire
je me suis mis en tête, mon bon sens cette fois
ne me guide pas, je dois laisser faire le temps, au moment
opportun j’agirai. Malgré les
difficultés elle met son orgueil à vivre de son travail. Bien que son
travail ne soit pas très lucratif il lui permet cependant d’être indépendante.
Elle a bien accepté un moment l’aide de ses parents, déstabilisée, pour gagner sa vie elle travaille beaucoup de
longues heures enfermée dans sa
pièce.
Avec
Tony son ami, ses parents, ses amis, ses romans, Christie serait parfaitement
heureuse si elle n’était pas habitée par des rêves insensés.
Elle va
se voir devant son miroir, après un
moment de réflexion, d’hésitation elle défait ses cheveux glisse ses mains dans
la masse soyeuse cherche diverses coiffures, trouve un réel plaisir à
transformer son visage De nouveau devant
son bureau elle hésite, va se
faire un thé. Elle a cherché une réponse
à son problème avec son ami Tony en espérant être aidée, mais elle y a renoncé par peur d’être incomprise. Affalée sur son bureau, la tête dans les
mains elle est de nouveau envahie par des sombres pensées et doit faire des
efforts pour chasser le stress qui commence à la prendre. Préoccupée mordillant nerveusement son stylo elle corrige,
rature, relit plusieurs fois sa page, mécontente. Il lui faut beaucoup de concentration pour
écrire c’est quasiment impossible en ce moment , énervée elle va chercher
refuge devant sa fenêtre. Pensive,
mélancolique devant le spectacle
désolant de la pluie qui clapote sur les linteaux de la fenêtre, des
gouttelettes qui glissent doucement dans les
sillons, attentive, curieuse de ces arabesques que le vent et la pluie
tracent dans un mouvement continue le
long de la vitre elle s’amuse à suivre du doigt, cherche des figures, des
courbes. Le crépuscule estompe les
formes gagne la pièce. Paris apparaît entre les étroites fentes des
blocs où brillent une myriade de petites lumières : c’est le
spectacle qu’elle aime voir le soir lorsque les lampadaires s’allument. Son
regard glisse le long des tours une dernière fois avant de rejoindre son
bureau. Elle relit son travail de la veille.
Les mots viennent : enfin elle peut
travailler aucun bruit ne la
distrait, à peine si elle entend le
téléphone sonner, d’un geste vif elle
attrape son portable :
- Allô ! C’est la voix de son ami Johann
de passage à Paris.
-
Christie, bonjour mon amie. Comment vas-tu ?
- Ca
va bien
- Je
peux passer te voir sans te déranger ?
- Vous savez bien que oui, votre amitié m’est si précieuse. A quelle heure
voulez vous venir ? En fin d’après midi Bien.
De
retour à son travail heureuse à la
pensée de voir son ami d’entendre sa bonne voix amicale à l’accent
guttural : « devant la difficulté de la langue allemande elle a
renoncé à l’apprendre » : De passage à Paris il passe voir
Christie : ses grands parents l’ont connu sur une plage, ils se sont
salués puis quelques mots se sont
échangés pour que se forge une amitié durable. Il n’oublie jamais de
souhaiter les fêtes de passer voir les
parents de Christie, de prendre des nouvelles de la famille. Son travail
l’amène à voyager en France assez
souvent et chaque fois il passe voir Christie : tous les ans c’est un
rendez-vous avec Christie dans un restaurant de Paris. Il passe ses vacances
sur les plages d’Aquitaine. C’est un ami
fidèle tout prêt à l’aider si elle a des problèmes. Sans enfants, un mariage,
défait, refait ; ils se sont retrouvés, sa femme, lui et un frère célibataire ensemble. La famille
recueille les chats abandonnés ! Il a aussi deux chiens, des oiseaux.
Passionné par notre culture il connaît beaucoup d’écrivains français, la
musique aussi. Malgré ses soixante-dix
il est plein d’énergie, de larges épaules, massif,. Il ne manquerait pas ce
rendez-vous avec Christie.
Très
sensible à son amitié c’est avec enthousiasme qu’elle répond.
- Johann vous tombez bien j’étais envahie par mon travail vous venez
quand vous voulez je vous attends. Retrouvant son énergie stimulée à
la pensée de revoir son ami, Christie allègrement se remet au
travail. Attentive aux bruits elle
s’agite sur ses feuilles : rien ne va elle griffonne, rature, s’énerve.
Elle connaît son ami et sait qu’elle va devoir entendre ses remontrances « Johann ne comprend pas sa vie »
Christie trouve déplacé de sa part de se mêler de sa vie alors que lui n’offre
pas un modèle parfait. Elle médite sur lui. : la guerre…la France fut pour lui
une bouffée d’oxygène d’où sa fidélité pour « notre beau pays. » Christie les yeux entrouverts
cherche à le cerner : de rares cheveux, des petits yeux enfoncés gris, de
taille moyenne : un mètre soixante dix environ, massif, de larges
d’épaules. Elle tressaille à chaque bruit renversée dans son fauteuil elle
attend en essayant de se détendre, Les sens exacerbés le souffle coupé elle
sursaute devant elle virtuellement elle voit avec précision le couple de la
grande surface. D’un mouvement sec elle se lève effrayée se plaque contre le
mur pour se libérer mais éblouie par leur vision elle n’entend pas la sonnette.
La
sonnette lui arrache le tympan d’un bond elle ouvre la porte. .
- Ah! Christie! Il la prend par la main
l’entraîne vers le fauteuil la regarde avec attendrissement puis jette un
regard désapprobateur sur son bureau s’arrête près du bureau une lueur d’inquiétude de reproche dans les
yeux.
- Ma petite Christie comment vas-tu ?
- Comme vous voyez : bien.
- Je suis si heureux de te voir : que
deviens-tu ?
- Je
bosse : elle lui montre le bureau.
- Johann ne répond pas, la questionne la
regarde attentivement essaie de lire en elle lui prend les mains la fait
asseoir sur le fauteuil.
Ils se
regardent un moment sans parler goûtant ce moment si rare, plein d’émotion et
de mélancolie. Spontanément ils se prennent les mains la gorge serrée. Les mots sont maladroits ; la
distance les a éloignés ! Un an
déjà ! Il faut retrouver les mots
qui les ont quitté pendant cette longue absence.
- C’est un grand
plaisir pour moi aussi vous savez :
Christie est toute émue ( Johann est en ce moment sa bouée de sauvetage !) Un coup d’œil rapide montre à Christie qu’il a pris du
poids : elle le félicite sur sa bonne mine mais le sermonne aussi sur son
embonpoint, multiplie les explications
avec de longues phrases pour lui expliquer le danger qu’il encourt s’il
grossit. Il est simple, fidèle, tendre, intelligent; pourquoi le nier? Elle est
un peu amoureuse de Hans.
- Vous me sortez
de ma rêverie cher ami. C’est mon point
faible vous savez bien. Il la regarde
avec reproche désapprouve sa façon de vivre puis n’y allant pas quatre
chemins :
- J’aimerais aller
à ta noce Christie, mes jours sont comptés maintenant fais moi
cette :faveur.
- Mais vous en
avez pour trente ans mon ami ne parlez pas de ça ! Elle frissonne à l’idée de le perdre. Vous me désolez, pour l’instant c’est vous
Johann mon amoureux : ils partent d’un grand éclat de rire sans savoir
lequel est le plus jeune des deux.
- Une tasse de thé
nous fera du bien en voulez vous ? Elle installe sur la table, la théière, les
tasses, le sucre et les petits gâteaux : ce régal en bonne compagnie a une
allure de fête. : Il n’y a pas d’égal dans leurs rapports entre ce vieil homme
et cette jeune femme malgré leur différence d’âge. Cette amitié un peu
équivoque faite d’une admiration réciproque de la recherche d’une compréhension
de l’autre où l’un et l’autre essaieront de saisir l’insaisissable la partie
secrète qu’il y a dans chacun de nous. Fins certes ils le sont : leurs
rapports sont chaleureux, malicieux, c’est à qui sera le plus malin, le vieil
homme riche de son expérience ou la jeune femme riche de sa jeunesse. Pour elle
l’histoire ne peut pas s’écrire
d’avance.
Johann l’amène chaque fois au même restaurant
où il a ses habitudes...
- Voulez vous que
nous changions pour une fois ? Nous irions rue Saint- André des Arts, au
quartier latin par exemple, ou à Saint Michel ? Chez les Grecs ? Ca
fourmille de restaurants.
- Ma petite amie,
avec toi je suis bien partout.
- D’accord. On va
rue de la Huchette. Johann, est incapable de lui dire non : il dit
toujours : avec toi je suis
bien. Après avoir montré à son ami le
trajet sur une carte accrochée au mur dans un coin de la pièce ils partent
joyeusement prendre le métro direction place Saint Michel. Ils ont choisi
d’aller manger dans un restaurant rue de la Huchette : Les
restaurants abondent :. cette rue est grouillante de monde : portés
par le mouvement continu de la foule ils suivent, s’arrêtent pour lire les
menus.
Johann choisit une taverne
- ça va ? Tellement heureux : aucun
qualificatif ne peut dire ce qu’il est en ce moment.
- Oui Christie.
Il parait si satisfait de son choix qu’elle
ne peut le contrarier. Sans hésiter ils entrent, une bonne odeur les accueille.
Johann jette un regard inquiet sur son amie car il la connaît ! Comme
d’habitude la table où le patron les a installé n’est pas du goût de Christie
la carte dans les mains elle jette un coup d’œil circulaire.
- Nous serions
mieux là-bas ! Entraînant son ami.
- Oh ! Christie! :
Les années se suivent et se ressemblent étonnamment ! Son ami n’est pas
content mais il suit docilement, interrogatif, hésitant à s’asseoir, timidement
lui demande :
- ça va Christie ? Avec un soupir,
et un sourire de satisfaction Christie approuve en regardant son ami.
- Tu es belle Christie, d’une année sur
l’autre tu es de plus en plus belle.
- Toujours aussi galant avec les
femmes Johann!
- Comment pourrais je ne pas aimer être avec
toi ma petite amie, et il gratifie Christie d’un brave sourire.
Les
plats arrivent, odorants: Elle a choisi un magret de canard, son ami une
choucroute. Avec application ils mangent en savourant leur plat. Très peu de
mots s’échangent. Toujours les mêmes en général car quand Johann mange, il ne parle pas.
- Alors, mon amie
?
Comme vous voulez : un long soupir pour aider la digestion
soulève la poitrine de Hans. Un regard circulaire de contentement, un coup
d’œil sur Christie pour chercher son approbation : discrètement il appelle
le serveur. Ils s’interrogent du regard, puis se lèvent, et se quittent sur le trottoir. Encore quelques
recommandations ! Christie rassure son ami : ne vous inquiétez pas,
un jour je me marierai : c’est une
certitude.
- Hé ! bien
mon amie, à la prochaine. Il est heureux. En le suivant du regard Christie est
angoissée. Chaque fois
lorsqu’elle quitte son ami, elle sait ce qu’il va dire, ce qu’il va
faire : c’est toujours la même chose ; il va dire des paroles
rassurantes, encourageantes ! Puis ce sera
porte toi bien ! Puis, un bref salut, à la prochaine! Elle est
inquiète ; une année c’est long ! Et lorsqu’il dit Mon amie, je suis si heureux de te connaître ça la
bouleverse, mais lorsqu’il lance son vigoureux et énergique porte toi bien Christie lui
envoie un regard de reconnaissance. : Merci cher ami, merci de votre amitié.
Au dessous la Seine bordée d’arbres est un
lieu de promenade, un enchantement pour les touristes. Christie musarde sur les
quais attentive. Elle contemple ce splendide ruban nonchalant où les
bateaux glissent, variés, colorés ; elle observe les péniches
silencieuses, mystérieuses, les bateaux-mouches animés par des hauts parleurs,
égayés par les touristes. : juste un bruit confus : inutile d’essayer de comprendre
le guide. En face sur l’autre rive les somptueux monuments dont elle ne se
lasse jamais, au dessous la Seine paisible. Ses yeux fouinent, s’attardent sur
les berges où des touristes se promènent, des promeneurs solitaires, des
amoureux, au loin un orchestre de
grosses caisses. Pas un souffle, les peupliers figés bien alignés forment en toile de fond un feston,
un tableau…Aucun frémissement dans les arbres. Adossée contre la murette
Christie observe les passants, tous en jeans. moulés dans des t-shirts; joyeux, amoureux. Elle s’amuse à chercher
leurs origines : des yeux bridés, des yeux bleus, des yeux noirs, cheveux
blonds cheveux noirs crépus, joyeux, heureux…Tous ces gens d’horizons lointains, multiples sont un baume
pour ses doutes, ses hésitations, ses problèmes, avec regret elle s’éloigne.
Tout en méditant elle longe le quai
jette un regard vague sur les bouquinistes puis prend la direction du
métro, bifurque : conquise par la petite brise du soir elle prolonge
sa promenade, indifférente au monde au bruit elle flâne dans les rues jette un
regard sur les devantures des magasins, les boulangeries… ! les
pâtisseries... ! Elle tâte son fond de poche à la recherche de son ticket
d’autobus. Une nostalgie en songeant à Johann
qu’elle ne reverra que dans un an un regret de ne pouvoir aller le voir.
Ses voyages entre Paris et Londres pour
rejoindre Tony, les visites à ses parents, son travail, lui prennent son temps. Il y a aussi d’autres
projets : les vacances avec Tony, d’autres perspectives… :
Ses parents ont en banlieue
parisienne une maison avec un petit jardin potager que son père Hector cultive
avec amour. Encouragée par Hector qui l’approuve toujours « rien que pour
le plaisir de contrarier ses deux femmes sa femme et sa belle mère »
elle a fait ce qu’elle aime : écrire. Lorsqu’elle va en week-end dans sa
famille elle est accueillie, fêtée par les aboiements les caresses
réclamées violemment de Ketty, le chat s’étire sur ses pieds. C’est un régal
pour elle de faire un tour dans le jardin où son père s’applique à faire
pousser ses légumes, et chaque fois elle le félicite sur sa bonne forme,
sa ligne de jeune homme se plait elle à lui dire. Aussi cherche t-elle ces moments pour le surprendre
entrain d’arracher l’herbe courbé sur
ses plates-bandes, le voir se relever avec un sourire de contentement.
Respirer la bonne odeur des herbes coupées, écouter les bruits familiers du
soir sont un tremplin pour la semaine,
un régal. Elle retrouve toutes les senteurs, tous les délices de son enfance,
sa chambre d’enfant, d’adolescente, un brin de nostalgie, de connivence avec
ses parents, la résurgence de sa jeunesse avec les bons, et les moins bons
moments, entourée de Papa, Maman, tante Amandine, Manie..
Tâtant de nouveau sa poche pour
s’assurer qu’elle a bien son ticket, portée par l’activité autour d’elle, elle
décide de prolonger sa journée. Elle fait demi tour pour prendre son autobus
direction jardin du Luxembourg. Dans
cette fin de journée du mois de mai une
douce brise lui caresse le visage. La perspective d’aller dans le parc lui fait
accélérer le pas. Dans ce beau jardin elle longe les allées du parc,
décontractée par la visite de son ami Johann elle respire l’air léger,
s’arrête pour goûter pleinement le
paisible environnement. Autour d’un bassin les enfants jouent à faire naviguer
leurs bateaux. Bien que la soirée soit déjà bien entamée les gens encore
nombreux flânent ou se dirigent
lentement vers la sortie. Elle effleure
du regard les longues rangées d’arbres, les massifs de fleurs, les passants.
Christie offre son visage à la brise du soir, dégage son front, et dans une bonne respiration en soulevant sa
poitrine elle s’affale sur un banc
murmure c’est bon la vie. Les yeux fermés elle se laisse aller au
gré du vent lorsque soudain elle sent une douleur sur son bras, des petits
tressautements durs, des piétinements secs, saccadés, des griffes qui
entrent dans les chairs, des pincements
douloureux. La douleur lui fait serrer
les dents : elle a compris : retenant son souffle elle
surprend un petit moineau entrain
d’essayer ses ailes sur son bras qu’il triture sans vergogne puis, aussi
rapidement qu’il est apparu disparaît en lui pinçant méchamment la peau. Devant
cet insolent petit moineau Christie ne peut s’empêcher de gémir. Avec vigueur
elle frotte l’endroit douloureux un petit sourire contrit sur les lèvres elle
se lève, hésite, jette un regard alentour puis se rassoit. Prestement elle sort
son portable de sa poche pour appeler Tony.
- Allo Tony ? :
- Christie ?
- Je suis au Luxembourg.
- Tu dis ?
- Dans le jardin du Luxembourg. J’ai eu la visite de Johann.
- Comment va-t-il ?
Eh ! bien ma fois, je
l’ai trouvé en forme, solide,
- Il t’a sorti de tes romans.
- Oui.
- Quel temps fait il à Paris ?
- Super : Christie sait que son ami Tony est heureux, elle
reconnaît sa bonne voix aimante.
- Et toi, qu’est-ce que tu fais ?
- Je me balade au bord de la Tamise. Je regrette que tu ne sois pas là,
j’aimerais t’avoir près de moi, comme je te connais tu serais emballée et
émerveillée. C’est mon lieu de détente, mon nettoyage de cerveau.
- Je
dois partir Tony c’est l’heure, je vois le gardien, le jardin va fermer. Je
vais prendre le métro pour aller plus
vite. Mille bisous Tony. Je t’aime, je
m’ennuie sans toi.
- A bientôt Chris
Le métro est une mine d’idées
pour Christie : des regards discrets, rapides autour d’elle afin de ne pas
déranger. Comprimée, bousculée par la foule nombreuse à cette heure ci, ce
contacte de gens agglutinés qui cherchent leur équilibre, se regardent ou ne se
regardent pas, qu’importe elle les touche, elle aime leur histoire….
De retour dans son studio elle se
met rapidement au travail satisfaite de sa journée. Son roman avance, la visite
de son ami Johann lui a donné un regain d’énergie et puis la voix tendre
de Tony…Oh ! Cette voix si aimante qu’elle en frissonne encore. Sa plume
court sur le papier, son travail avance
avec tant de facilité qu’elle ne s’aperçoit pas du temps. La nuit est déjà
avancée. Dans le silence de sa pièce
elle écrit. Sur son bureau ce soir elle s’éclaire avec sa lampe à pétrole « elle l’installe de temps en
temps… » : c’est son secret,
une originalité qu’elle se garde
bien de dévoiler. Elle s’en sert
seulement dans ses jours fastes où son humeur a atteint son plus haut niveau
d’optimisme… alors elle s’amuse à retrouver la vie de ses ancêtres. Elle
l’aide et stimule son imagination
dit-elle. Amusée devant les formes fantasmagoriques, vacillantes sur le
mur, sa lumière tremblotante, sa plume gratte le papier nerveusement son encrier a porté de main. Des formes
fantomatiques se balancent sur les murs au moindre souffle. C’est l’heure où
Christie aime travailler, où, dans ce silence monacal enveloppée d’un châle sur
les épaules elle écrit souvent bien
au-delà du raisonnable. Pendant un long moment sa main court sur le papier sans
raturer. Avec un soupir de satisfaction elle pose sa plume. Renversée sur le
dossier de sa chaise elle regarde la vieille lampe de pétrole de son arrière
grand-mère. Je suis attachée à cet
objet ! Elle l’utilise de temps en temps malgré l’odeur : mais
tout de même elle ne s’encombre pas trop de sa lampe préférant l’électricité.
Pensive elle retrouve son stylo, tente de travailler, en vain. Elle connaît ces
moments où il lui est impossible d’écrire, et là, elle entend chaque fois la
chaude voix de sa Manie lui chatouiller les oreilles : Nanette regarde là,
sois vigilante, c’est une adorable enfant nous sommes sous son charme, méfie
toi elle est futée, effrontée, tu devrais lui apprendre les bons gestes, les
bons mots. Tu la veux accrochée à tes basques ? Prends garde, tu as fait une fille,
unique. Elle s’ennuie tu devrais la mettre dans une garderie pour
qu’elle trouve d’autres enfants de son
age, voyons.
Ah !! Que Dieu la protège !
Christie soupire, pensive devant
les catastrophes annoncées par sa grand-mère, indécise, hésitante, elle va faire un thé : c’est un moment de
détente où elle oublie ses contraintes. Installée dans son fauteuil elle étire ses membres les uns après
les autres trouve un réel plaisir dans cet exercice. Dans le silence de la
pièce règne une bienfaisante atmosphère,
dans une douce léthargie elle divague, s’assoupit. S’ébrouant comme un petit
chat, le regard vers la fenêtre, moitié endormie elle se secoue, se lève,
attrape son portable. Après quelques pas dans la pièce pour se réveiller elle
appelle Tony.
- Allô Tony ? Je
t’appelai seulement pour parler un peu... Je me réveille juste, je
m’étais assoupie. Tu vas bien ?
- Oui. En ce moment, je travaille
sur des statistiques.
- Je pensais aux Harrisson…
- Ils te réclament, sans cesse. Je ne sais plus quoi leur dire…
- Ne t’en fais pas Tony je vais
apprendre l’anglais.
- Si ma mémoire est bonne tu me
l’as déjà dit plusieurs fois ! Moi,
je trouve que tu ne t’en sors déjà pas si mal !
- Non, mais tu veux rire, tu es
vraiment gentil Tony ! Tu devrais me donner des leçons pour
l’apprendre.
- D’accord, mais je te ferai remarquer que
lorsque je te le propose tu as toujours d’autres choses à faire. Tien au fait ils te rappellent à leurs bons
souvenirs, ils aimeraient bien te voir. qu’est ce que je dois dire ?
- Tu dis rien. La prochaine fois
quand j’aurai amélioré le peu d’anglais que j’ai nous irons les voir. Ils sont
toujours aussi hospitaliers ?
- Adorables.
- Mets toi à ma place un peu, je
baragouine l’anglais d’une part, et je le comprends très mal aussi.
- O. K. Christie, prochaine leçon
samedi.
- Je vais bûcher l’anglais : je doute de mes dons, mais on peut
toujours essayer ; la prochaine fois je te promets nous irons les
voir.
- Tu as toujours ton histoire Christie ?
- Quelle histoire ? Peut être fais tu allusion au couple de la
grande surface.
- Ne fais pas l’innocente.
- Oui, ne sois pas inquiet, je suis bien
de t’entendre Tony. Mille
bises.
Comment expliquer à Tony que
sa vie est bouleversé par le simple fait
d’avoir vu dans une grande surface un couple qui passe inaperçu ! La vision obsetionnelle de ce couple la
poursuit partout malgré elle. Le chambardement qu’il lui provoque, la panique
qui la prend la torture lorsqu’elle y pense sont tout à fait irrationnels. Ces
rencontres avec ce couple dans une grande surface est la trame de son existence
pense t- elle, elle le sent. Pour se
changer les idées elle fait quelques courses dans les petits commerces en bas
de sa résidence ; le patron est
charmant, sympathique, elle
bavarde avec, flirte un peu aussi. .
Munie
de son calepin, de son sac à dos elle tourne dans sa pièce à la recherche de
ses clefs de voiture, après avoir tout déranger en maugréant les
trouve enfin. Voiture parquée, claquement de portière, démarche
assurée, Christie se dirige vers
l’entrée principale Un coup d’œil à sa montre lui montre qu’elle a du temps
devant elle. Assise sur un banc dans l’allée principale Christie munie de sa
pointe bic et de son carnet travaille.
Elle gratte sa feuille nerveusement sans voir la pâtisserie en face, les pains
dorés de toutes les formes qu’elle aime
tant regarder d’habitude. Elle est insensible à l’odeur du café à tout ce
qu’offre le magasin. Les gens passent, rapides, nerveux, nonchalants, préoccupés ils poussent leurs
chariots, s’arrêtent devant les commerces, grignotent des gourmandises. ;
des éclats de rire, des éclats de voix, des démarches assurées, des bruits de
pas... L’agitation lui convient. Les
mots se posent les uns après les autres, de temps en temps elle lève la tête pour
regarder autour d’elle, tonifiée par
l’énergie qu’elle puise dans la grande surface. Un coup d’œil sur sa
montre : il faut partir. Elle range rapidement son stylo, son carnet. Elle ne peut résister d’appeler
Tony.:
- Allo ! Tony ? Ca va ?
- Ca va, toi ?
- Je suis tourmentée en ce moment : je
ne t’embête pas ?
- Ou
es tu ?
- Dans
la grande surface : je fais mes
courses. Je t’appelle pour te dire que je t’aime, entendre ta voix. Tony
pourquoi ce ton bourru ! Je te connais trop pour savoir que ce n’est pas
toi. Ah… ! Voilà…! Tu me manques Tony.
Mille bisous, à bientôt.
Revigorée
par son appel avec légèreté elle se
faufile entre les rayons pour aller à sa caisse 17. Son couple est
présent : comment le voir et l’observer sans être vu : c’est
pratiquement impossible. Cette séduction, cette relation amoureuse qu’elle a
avec lui depuis plusieurs semaines ne diminue pas, elle s’en rend compte car
elle est toujours en quête de son attrait.
Curieuse
de savoir où va mener cette histoire elle regarde autour : en toile de
fond les autres où l’acteur
principal serait le couple de la
grande surface.
Peut être vont ils se décourager tous les trois
pense Christie.
Chaque
fois ils se regardent, s’observent : est-ce un jeu où l’on
attendrait malicieusement lequel cédera
le premier. Chaque fois il y a un effet de surprise, d’étonnement,
d’interrogation. Christie est attirée
indiscutablement et la question lancinante, éprouvante se répète : mais
pourquoi ? Pourquoi ? Elle
fouille dans sa mémoire : rien de
semblable lui est arrivé.
Immobiles
dans la file d’attente Marie et Théo patiemment attendent leur tour, fragiles
au milieu de cet enchevêtrement de caddy leurs yeux furètent, cherchent, leurs épaules se tassent.
Christie
tête inclinée pour mieux capter, mieux
comprendre cette quête qui la pousse vers ce couple jette un dernier coup d’œil, rebrousse chemin
en direction de son banc près de la librairie.
Préoccupée par ses pensées elle
ne cherche pas à profiter du spectacle des rayons qu’elle aime tant regarder
d’ordinaire : les rayons ménagers, les téléviseurs, les dernières
nouveautés. Aujourd’hui son idée est d’aller s’asseoir sur son petit banc,
inquiète de ne pas trouver sa place habituelle elle accélère le pas, bousculée
par un caddy la douleur intenable lui fait pousser un cri le
monsieur fautif troublé se confond en
excuses. Les larmes aux yeux elle frotte énergiquement sa cheville.
- J’aimerais tant
faire quelque chose pour vous ! Je suis vraiment désolé, Oh ! excusez
moi, je suis malheureux, puis-je vous aider ? Excusez-moi.
- Ne vous
inquiétez pas, ça va aller. en boitant
tant bien que mal elle va à son banc occupé par une dame.
- S’il vous
plait ?
Hébétée,
vidée. Le sourire de sa voisine la réconforte. Que ça fait mal un caddy !
La prochaine fois je ferai attention. L’endroit est calme. Elle saisit son stylo,
son calepin. Devant ses yeux le couple : il sera toujours près d’elle,
dans l’espace qui l’entoure si petit soit- il ! Et pourtant il ne sera pas un sujet de roman. Elle n’arrive pas à comprendre la motivation
de cette histoire. Christie pousse un soupir déchirant, lève la tête puis la
replonge dans son carnet, relit, s’arrête, réfléchit, son stylo gratte à
nouveau le papier avec rapidité.
- Alain ! Regarde là bas ! Sur le banc !
Tu te souviens pas de cette personne ?
Nous l’avons connu sur le bateau : nous allions à
Ouessant ! Nous passions notre temps ensemble, tu te souviens
pas ?
- Tu es sûre ?
Ah ! Oui…! Oui…! je me souviens elle écrivait…Oh ! Mais ça fait déjà un moment … Plusieurs
années …Tu la reconnais de si loin !
- N’approchons pas
trop près. Je t’assure c’est elle : ils avancent à pas de loup.
- Ta raison, c’est
elle.
- Bâ ! Le
bousculant, haussant les épaules, le
repoussant du bras, attends laisse moi réfléchir à ce qu’on va dire. Elle était
si sympathique.
- Oh ! Ca
m’embête, elle était romancière tu comprends , ça fait si longtemps, ici c’est la grande
surface ! C’est autre chose…un autre environnement. Bâ ! Qu’est-ce
que tu te mets en tête encore, laisse… laisse tomber. Les vies changent ! Allez, bon… si ça te plait.
- Que
tu es bête ! On va lui dire bonjour.
Le
gros, le lourd, le volumineux Alain au regard toujours inquiet forme avec Ynès
un couple sain, vigoureux. Alain est déménageur : un solide gaillard
qui emploie son temps libre à
s’entraîner dans un ring. Ynès elle , est monitrice
d’auto-école.
- Laisse moi faire, toi tu manques
d’habileté. On va s’asseoir près d’elle. Tu me laisses parler, compris.
Ynès
toute grasse dans son petit short, son
corsage entrouvert laisse entrevoir deux beaux petits seins tout ronds
est la vision du bonheur. Son copain Alain qu’elle appelle mon petit bijou ou
mon Loulou ce qui n’est pas sans ébahir l’assistance est
toujours de son avis aussi pour se venger il l’appelle ma boulotte
ou ma bis Nès, ce qui met Ynès dans une colère noire ; alors elle
le martèle de coups de poings ; imperturbable il laisse faire… Plusieurs
fois déjà elle l’a menacé : je divorce si tu continues : bof… Il est
habitué. Alain sait se faire pardonner ...
- Et moi ?
- Reste derrière.
Ce retour en arrière met une bouffée d’oxygène
dans le cœur d’Ynès.
-
S’il vous plait.
Christie
se pousse légèrement pour donner la place.
- Excusez moi,
vous êtes bien Christie? Nous avons voyagé ensemble sur le bateau en allant à
Ouessant, vous souvenez vous? : Comme l’effet d’une bombe la
voix suave de Ynès la ramène à la vie.
- Oh! Quelle surprise ! J’étais si
loin... Quelle bizarrerie... Inès, bonjour, Alain, mon Dieu c’est si loin
! Asseyez- vous. Vous êtes à Paris ?
- Oui, seulement
pour trois jours : Alain avait un déménagement. Maintenant nous rentrons, nous
habitons Lyon. Après s’être regarder ébahis n’en croyant pas leurs yeux, les
souvenirs plein la tête : tu te souviens de nos sorties à bicyclette, et
des moments que nous passions à inventer des jeux, c’était qui aurait le plus
d’originalité. Que de parties de rire avons-nous eu ensemble ! Tu t’en souviens Christie ?
Tu ne peux savoir comme cette rencontre me fait plaisir, je suis vraiment
heureuse de te revoir. Que de bons souvenirs avons-nous, comme la vie a
changé : ma vie a changé, et toi ?
- Après tout pas tant que ça, j’écris
toujours
Ynès pousse un long
soupir ne sachant plus quoi dire.
-
C’est sur notre passage alors
nous nous arrêtons pour acheter
nos provisions de toute la semaine : voilà trois ans déjà ! Tu n’as pas
changé.
- Mais vous non
plus, tu es ravissante Ynès, et toi Alain toujours tonique. J’ai la même vie,
je continue d’écrire. Hé ! Oui, voilà trois ans déjà. Quelle
coïncidence, je n’en reviens pas. Je revois les moments où nous faisions la
course à bicyclette, quel plaisir de vous revoir, vous ne pouvez savoir comme
je suis heureuse. Vous y êtes retourné depuis ?
-
Non, toi ?
- Non plus.
J’essaie de me souvenir… c’est si loin de moi : les dîners
au bord de la plage… les parties de rire
que nous avons eu … ! Oh ! que ça me paraît loin…! Christie
n’arrive pas à faire l’effort pour retrouver ses amis d’un été, à rassembler
ses pensées tellement sa surprise est grande,
- Tu
écris toujours alors.
- Oui.
- Tu
vois ce que je veux dire...
- Non, précise.
- Tu nous as mis
dans un roman ? Christie ne s’attendait pas à cette question, elle
balbutie :
- Oui…J’ai des
personnages qui vous ressemblent. Attends, je réfléchis…mes personnages sont
pris dans la vie courante tu comprends bien ! Dans mon roman :
histoires imprévues ; vous y êtes : ce sont plusieurs histoires.
- Nous
l’achèterons.
Comme nous étions bien là bas… leurs regards sont vagues pleins de
nostalgie, ils se regardent soudés dans ce temps passé avec un peu d’anxiété
dans les yeux vite disparue pour laisser place à la joie de s’être
retrouvés .
- Je n’arrive pas à réaliser, mais
quelle bonne surprise. Je te touche Ynès pour m’assurer que c’est bien
toi, je n’en suis pas encore revenue.
C’est si loin, nous étions si jeunes…
- C’est vrai nous étions très jeunes
dans nos têtes.
- Sans soucis !
- C’était les vacances !
- Je vous souhaite Ynès, Alain de
passer d’excellentes nouvelles vacances.
- Et toi ma belle, aussi ; elle
lui flanque une bise. Christie habituée avec tante Amandine se laisse faire,
elle est habituée aux bises qui claquent sur ses joues sans qu’elle le
veuille.
- Promets, tu viens nous voir un
week-end chez nous.
- C’est
promis, certain.
-
Allain mon Loulou passe lui notre adresse.
- Excuse nous il faut qu’on y aille, nous
sommes en retard : Alain doit livrer sa marchandise tôt demain matin. Tu te
souviens… Je suis monitrice dans une auto-école, Alain est déménageur.
- Tiens Christie : Alain lui donne
l’adresse, Ynès lui flanque plusieurs bises : à bientôt.
- C’est promis.
Encore toute émue, Christie doit faire des efforts pour se remettre à écrire.
Les moments où ils étaient ensemble à
Ouessant sont si loin ! : Elle se revoit à bicyclette sillonnant l’île
dans tous les sens, le bon air marin lui
fouettait le visage. Tous ces souvenirs
resurgissent avec nostalgie. C’était de joyeux lurons. Dans un profond soupir elle reprend son stylo mais perturbée par ses
copains elle ne peut plus écrire. Devant elle
quelques personnes arrêtées en
face des rayons de livres, un couple passe… Elle se secoue pour retrouver
ses idées : un homme, une femme... en ce moment il lui est impossible d’écrire.
Décontenancée par ces retrouvailles elle range son travail, regarde à nouveau
autour d’elle, un autre couple passe, tous deux sont jeunes, hardis, plus loin
un homme feuillette un livre, deux jeunes filles se tiennent par la main un
couple âgé cherche….Autour de ces rayons la vie est ralentie, paisible : un autre couple
passe… Tout à coup elle est reprise par l’envie d’écrire, sans hésiter elle
place les mots les uns à coté des autres avec facilité. Un dernier coup d’œil à
sa montre, le cœur léger elle va vers la sortie
La perspective est brouillée par une petite bruine, un souffle humide lui caresse le visage, étirant son cou pour mieux sentir la caresse
du vent elle ferme les yeux, s’entend dire : c’est bon. Le
lendemain un besoin irraisonné la fait revenir dans la grande surface.
Contrairement à ses habitudes elle tourne dans le magasin sans rien chercher
sans fixer son attention, le cerveau
vide. Elle marche comme une automate. Prise de vertige elle tressaille,
s’arrête, la terreur dans les yeux, paralysée, par une pensée qui la
terrifie « je suis attirée par
ce couple, parce qu’il me ressemble. Non, ce n’est pas possible,
il y a autre chose que je découvrirai un jour.
- Allo
Tony ? Où es tu en ce moment ?
- Je
suis dans le train, j’arrive, je dois voir un collègue : nous avons trois
jours à nous ma petite Christie.
Christie
rougit de bonheur.
- Tu
es le meilleur des meilleurs, mon très, très aimé Tony. Je t’aime.
-
Réconfortée par l’arrivée de Tony, avec assurance elle jette des regards
autour d’elle, et dans le mouvement ininterrompue de la grande surface, de
nouveau tout l’intéresse. Mille fois heureuse, elle se dirige vers la
sortie : dehors, paniquée, elle ne se souvient plus où elle a parqué sa
voiture : Voyons, elle est…Oh ! Je ne m’en souviens
plus ! Horreur; Elle jette un regard désespéré sur la marée de
voitures, les larmes aux yeux. Ah ! Je me vois…elle est dans l’allée13 ou 14. Une fois installée dedans elle
réalise avec un soupir de soulagement combien une voiture est utile. La clef de contacte, le démarrage toujours
très lent, prudente elle avance soucieuse de bien fair
CHAPITRE 6
Théo le
nez collé à la vitre, subjugué par les
trombes d’eau qui clapotent violentes, rageuses, tressautent dans tous les sens, soupire. Ne
sachant pas quoi faire il s’approche de
Marie, désemparé. Marie s’occupe. Elle écrit à sa mère connaissant le
bonheur qu’elle a de lire une lettre de sa fille.
- Tu
comprends Marie, une lettre je peux la lire, la relire…
Marie aime écrire, mais pudique elle ne
se laisse pas aller : le stylo en
suspend elle regarde Théo.
- J’écris à maman. Puis retrouvant sa lettre
lui envoie mille bisous, ne t’inquiète pas nous allons bien, ne t’en fais
surtout pas pour nous c’est bon. Elle insiste : surtout sois rassurée tout
va bien Maman à bientôt.
Aujourd’hui
jeudi. : Marie tracassée par cette jeune femme qu’elle rencontre chaque
vendredi dans la grande surface voudrait trouver un moyen de s’en libérer.
- Théo si nous allions faire nos
courses ?
-
Mais c’est jeudi !
-
Eh, alors !
-
Mais pourquoi ?
-
J’ai envie.
-
D’accord, puisque tu y tiens.
Elle a choisi ce jour spontanément elle
éprouve un soulagement, un sentiment de liberté. Soulagée de ne pas voir cette
personne, cette audacieuse qui la trouble et qu’elle voit régulièrement tous les vendredis dans la
grande surface, amusée de lui jouer un tour, une farce, elle se prépare
gaiement. Elle va essayer de l’oublier, de se libérer. Théo est là, solide, aimant. Ne pas être
demain vendredi à ce rendez-vous est d’une audace qu’elle ne soupçonnait pas.
Leur départ est précipité, nerveux, leurs mains si précises d’habitude sont
maladroites. Les objets tombent, il faut chercher les clefs, le foulard. Ils ne se font pas de reproches, seulement
surpris par cette situation inhabituelle nerveux ils tournent, s’agitent.. Si
timides au point d’éviter le regard des autres ce changement inhabituel de leur
vie les perturbent. Aller aujourd’hui jeudi faire les achats dans la
grande surface ! Marie est émue, crispée. Ce contacte avec cette personne
la tourmente elle voudrait ne plus la voir
Marie
et Théo vont faire leurs courses dans la grande surface aujourd’hui jeudi.
Visages tendus ils achètent, se faufilent discrètement autour des rayons se jettent des regards malheureux. Ils
paraissent si préoccupés que l’on ne
sait pas lequel suit l’autre tant ils se ressemblent. Préoccupés ils marchent
mécaniquement. Cette décision hardie ne
leur ressemble guère, elle leur montre comme ils sont fragiles, comme ils sont
atteints par cette rencontre avec cette personne. Maintenant il doivent en convenir elle est
entrée dans leur vie, comme… une amie... plus peut-être… elle est leur vie leur
goût de vivre. Devant cette situation nouvelle ils sont comme deux orphelins,
et tout leur paraît terne, triste, sans intérêt. Avec de profonds soupirs qui
démontrent bien leur profonde tristesse, chacun est isolé dans ses propres pensées.
La
pluie continue martèle la voiture, l’essuie-glace fonctionne à fond, les formes
s’estompent sous les rafales de pluie mêlées au vent. Marie assise à coté de Théo prend son
mouchoir fait semblant de se moucher pour cacher une larme. Dans leur
appartement sans un mot ils rangent les
denrées. Désemparé Théo les bras ballants fait la constatation navrante qu’il
manque la moitié des choses. Marie est désemparée en mettant les denrées dans le frigidaire. La mauvaise
humeur s’installe. Comment peut on être si peu attentif ! C’est presque insoutenable,
une vraie tragédie pour Théo. Les larmes aux yeux, assise par terre Marie est
inerte. C’est un drame dont Théo
est acteur et témoin à la fois. Enfin il
décide de l’aider.
- Eh
bien, nous irons demain dit Théo, ce n’est pas gênant ! Tu fais un drame
de tout, écris ce qui manque ! J’irai. L’espace d’un éclair elle a vu
ses yeux rire.
- Je veux y aller aussi, je veux t’accompagner. J’ai tant de plaisir d’être
avec toi Théo. Je suis si bien avec toi dans ces endroits là, si tu savais
comme dans la grande surface je me sens tendrement aimée par toi. Théo est ému : c’est un tendre : il
aime Marie, et ne veut pas la contrarier.
- D’accord.
Il y a
dans la vie des moments riches en émotions ; en cet instant Théo et Marie le
perçoivent confusément. Marie à la cuisine chauffe sa pizza, Théo navigue dans
internet. Le martèlement de la pluie sur
la rambarde de la vitre,
régulier, monotone, brise le
silence.
Sale
temps fait remarquer Théo tout en soupirant
se dirige vers la fenêtre. Je suis fatigué, pas toi ?
- Un peu.
- Tu as des nouvelles de tes parents ?
- Je les appelle.
Les pas nerveux de Marie heurtent le
sol de petits coups secs, le temps passe :
amollis par le bruit de la pluie, nonchalants, ils doivent faire des
efforts pour reprendre pied. Marie s’installe devant la télévision avec sa
pizza. Théo devant son ordinateur grogne
quelques mots incompréhensibles. Il arrive que les soirées sont lourdes, les murs se rapprochent, les oppriment, la respiration est plus
difficile, alors, il faut ouvrir la fenêtre pour respirer à fond.
- Et,
si nous allions chez Maman, demain ?
Théo
installé devant son ordinateur, les mains en suspends n’arrive pas à réaliser.
Il fait pivoter son siège regarde Marie, abasourdi. Bonne pâte il se plie à ses
désirs : chaque fois l’effet de
surprise le laisse pantois. Il ne
comprend plus Marie si paisible, si
tranquille n’arrête pas de lui créer des surprises en ce moment, pire, des situations qu’il doit assumer tant
bien que mal.
- Tu rêves ! Nous en venons il y a à
peine quinze jours, et puis demain c’est demain ! Théo s’approche d’elle perplexe en se
grattant la poitrine s’installe dans le fauteuil en face d’elle, attend.
-
J’aimerais partir demain, Théo.
Théo
rassemble ses pensées avec peine. Depuis quelque temps devant les idées
incongrues de Marie il est dépassé. Il
ne reconnaît plus Marie, sa Marie si paisible.
- Et
pourquoi demain ?
- Je
languis de mes parents.
- C’est loin… tu imagines toute cette route,
encore !
- J’ai
tellement envie de partir, si tu savais.
- O.K.
C’est entendu nous partons demain.
- Théo
? Je téléphone à maman : je peux lui annoncer notre arrivée pour demain ?
En ce moment ce sont les vacances de ma petite cousine.
- Tu
fais comme tu veux.
Madame
Etienne, Monsieur Etienne et leurs enfants, Marie et Thomas mènent la vie de
tout un chacun. Monsieur : chauffeur routier est absent les trois quart du
temps. Madame dut laisser son travail pour élever ses enfants. En cette
chaude journée de juin où le soir les cigales font entendre leur chant
strident, Madame Etienne profite de cette calme après midi pour se reposer,
lire son hebdomadaire : car les enfants de retour de l’école vont la
réclamer, l’occuper.
Les années ont passé, les enfants sont
devenus des adolescents. Madame Etienne a repris son métier qu’elle
affectionne : fleuriste. Elle travaille dans une jardinerie non loin de
chez elle. Monsieur Etienne dans ses moments libres s’occupe de remettre de
l’ordre dans l’esprit d’indépendance des enfants. Puis Marie et Thomas sont
devenus de beaux jeunes gens.
Assises
à la terrasse d’un café devant le port
de Marseille en dégustant leur jus
fruit, Marie et son amie Nicole profitent de cette belle après midi. Elles
jettent des coups d’œil vers les garçons, pouffent de rire en se cachant
derrière leurs mains.
- Puis
je m’asseoir à votre table s’il vous plait ? S’informe poliment un
jeune homme à peine sorti de l’adolescence. Arcades sourcilières levées, Nicole
après l’avoir observé un moment opine de la tête, d’un signe de main elle lui
montre la chaise. Gênées, et curieuses à
la fois elles le regardent interrogatives. Après les échanges de politesse
Marie enhardie par son amie se hasarde à lui poser une question.
- Tu
es seul à Marseille ?
- Non, je suis avec un groupe d’étudiants.
Nicole
plus hardie le jauge : elle aimerait bien sortir avec lui. Elle tente le
coup.
- Si
tu veux nous pourrons te servir de guide, nous connaissons bien Marseille et
ses environs.
- Vous
êtes extrêmement aimables, mais je suis avec un groupe. Si vous voulez mon
numéro de téléphone…
- Oui, nous vous promettons de
t’appeler.
Tenez.
Après s’être échangés leurs numéros de
portable ils se sont quittés en se jurant de s’appeler bientôt.
Cette rencontre
fortuite fut le déclencheur qui a réuni Marie et Théo.
Adeline
est une belle adolescente, joyeuse, folâtre, elle les attend toujours avec
impatience, c’est un vrai petit diable, un boute-en-train, un tourbillon de
vie, son exubérance est génératrice d’énergie. Pétulante, remuante, elle
préfère s’amuser plutôt qu’étudier ce qui lui vaut un carnet de notes
déplorable. Elle plaît énormément avec
son sourire hardi dont elle sait profiter. Sa maman lui choisit toujours des
robes aux couleurs vives qui lui vont à ravir. Quelques taches de rousseurs par
ci par là sur son visage, un petit nez retroussé juste au bout lui donnent un air mutin.
Théo et Marie aiment aller à Marseille. D’habitude lorsqu’ils décident
ce voyage ils en parlent à l’avance,
c’est un sujet de discutions qu’ils aiment C’est une aventure !
Aujourd’hui,
sans préambule Marie annonce qu’elle veut aller à Marseille voir ses
parents !
- Je meurs d’envie
d’être à demain Théo. Nos courses sont faites ! C’est bon. Théo regarde si tu à bien mis ce qu’il faut
dans ton sac, remue toi un peu.
-
C’est bien loin pour si peu de temps…
- Nous partons vendredi, et nous
revenons dimanche : c’est ce que
nous faisons d’habitude !
- Je te l’accorde, mais il n’y a pas
longtemps que nous y sommes allés, tu
n’es pas fatiguée ?
- Ca
va. .
- Théo, arrête la conduite principale du gaz,
jette un coup d’œil aux fenêtres, les clefs ! Bon, allez dépêche toi,
grouille un peu. Comme des machines bien huilées Théo et Marie ont tout préparé
en un clin d’œil.
J’ai hâte d’y être. J’ai téléphoné à maman que
nous arrivons ce soir : elle est restée
muette de surprise et d’inquiétude aussi : elle avait peur que nous
ayons des problèmes : elle jubile évidemment Après avoir bien éteints le
gaz, bien fermés la porte, un sac dans chaque main, Théo et Marie, partent pour
Marseille.
Les
petits villages avec leurs clochers, les prairies, les coteaux, les vastes
étendues qui s’étirent jusqu’à l’horizon défilent devant leurs yeux Dans la
voiture Marie le regard perdu est prise d’une douce léthargie De temps en temps elle jette un coup d’œil sur le paysage qui
défile à une allure régulière. Théo conduit bien, il est respectueux du
règlement, Marie peut lui faire confiance. Ses yeux cillent, le bruit régulier
du moteur l’endort : elle se laisse aller. Le relais se fait plusieurs
fois dans le voyage : lorsque Théo est fatigué, il cède le volant à
Marie : ils se font confiance.
- ça
va Théo ? Je peux dormir ? Elle s’installe commodément sans attendre la
réponse : elle n’a pas pu résister au ronronnement du moteur.
C’est
une coquette maison entourée de fleurs, d’arbustes, d’un gazon bien
entretenu : on aime s’y retrouver en famille. Elle a un aspect agréable,
ses boiseries bleu pastel donnent envie de connaître les hôtes tant elles sont
soignées, délicates. La maison juchée en
haut d’une colline est pour le passant la maison où l’on aimerait vivre. Un
magnolia étire son ombre bienfaisante, joue avec les couleurs, tantôt bleues,
mauves, claires, foncées. Des parterres avec des fleurs aux couleurs variées,
aux parfums délicats entourent la maison, Marie et Théo accélèrent le pas :
encore quelques marches à monter... Maman et Adeline les ont aperçus,
elles accourent vers eux avec des exclamations de joie et des gestes de
tendresse. Marie ne peut détacher de ses yeux sa chère Adeline. Seulement un an a suffi : dans un
souffle elle lui dit:
- Tu es belle !
Théo
n’ose pas la prendre dans ses bras ;
Elle
l’attrape.
- Tendre idiot !
Lui flanque quatre grosses bises.
- Maman ? : Thomas n’est pas là ?
- Ton frère passe
le week-end chez son ami. Il viendra faire un saut à la maison. Aujourd’hui il
y a Amélie la copine d’Adeline, tu la connais ?
- Oui.
Dans la
maison règne un silence inhabituel. Par la fenêtre entrouverte une odeur
entêtante de magnolia engourdit les cerveaux ; l’air lourd, chaud et
pesant annihile les forces. Ne voulant pas troubler l’atmosphère d’un commun
accord ils baissent le ton, leurs voix sont plus feutrées. Un charme envoûtant
paralyse les cerveaux. Maman silencieuse regarde, elle si volubile d’habitude
se met à l’unisson. Le temps tourne au ralenti. « Qui est donc ! Qu’est-ce donc ? troublent à ce point. Les mots sont dépassés…les
respirations sont ralenties, les regards sont timides devant Adeline
»
-
Qu’avez-vous à me regarder ainsi ? Allez on part. Comme un cheval fougueux ils retrouvent leurs voix qui raisonnent
gaiement autour de la table. Tous sont rayonnants de santé : encore
quelques petites histoires… puis ensemble ils se lèvent avec l’lenvie folle de bouger :
Marie
est pleine d’enthousiasme.
-
Allez, on y va ?
-
Où ?
- Eh
bien ! Aux calanques, tous ! .
.
Elle ne tient pas en place, accroche
Théo par le bras, attrape Adeline au passage. Maman viens ! J’ai tellement hâte
d’y être. Allez…Allez… Ah ! Le bon air des calanques, je le respire
déjà : Théo… Maman… Adeline… Dépêchez vous ! Maman viens nous allons chercher des
coquillages. Tout le monde est prêt ? (Maman fait de très
bonnes omelettes aux coquillages, aux rascasses) J’ai une envie folle de voir la mer. : » Marie rêve de voir la mer le soir au coucher du
soleil ». Vite… vite… dépêchez- vous, elle se remue se trémousse dans tous
les sens pour activer les autres, Marie
retrouve sa bonne humeur. Théo, fatigué par la route se rassoit, voûté, inquiet
de voir Marie si énervée : elle d’habitude si calme, si paisible : ce
départ précipité… Beaucoup de choses…il ne comprend pas.
- Théo
enfin, qu’est-ce que tu fais, là,
assis : si tu te secouais un peu.
-
Maman laisse la cuisine allez, viens… viens… !
-
Après tout, tu as raison. Je viens.
- Conquis par l’enthousiasme de Marie ils
s’équipent en vitesse, chaussent leurs pieds dans de bonnes chaussures :
seul Théo montre une lassitude. Assis sur le banc accoté contre la maison,
soucieux il observe Marie.
Au pas
de course ils vont vers les voitures.
Maman
est au paradis : son mari chauffeur routier est souvent absent. Elle vit
sa liberté comme une gamine avec ses enfants : son souhait serait de voir
Marie et Théo plus souvent, mais, c’est aller au delà de ses espérances, aussi, lorsqu’ils viennent
les fenêtres s’ouvrent en grand . Les
jours ne sont pas assez longs pour tout
ce qu’ils veulent faire. Aujourd’hui Maman mijote ses meilleurs petits plats
aidée par Marie. Théo fait son jogging, Adeline se trémousse par ci, par là,
avec son amie Amélie. Elles apparaissent de temps en temps, juste le temps de
voir leur jolies petites robes multicolores. On entend seulement le crissement
du tissu, le bruit léger de leurs petits
pieds : elles tourbillonnent dans
tous les sens. Leurs voix juvéniles résonnent dans la maison.
Adeline
entraîne sa copine avec elle
- Viens écouter mon dernier C.D, elle
l’entraîne dans sa chambre grimpe les marches quatre à quatre ayant hâte de lui raconter ses
histoires. Dans la maison le calme est
enfin revenu. …
- Tu
es amoureuse de Thomas ?
- Oui,
mais il est si lointain…
.
- Tu connais Paul ?
- Non.
- Si tu savais ce qu’il me plait ! Mes
parents, ma tante, me surveillent comme le lait sur le feu.
- Tu
lui plais ?
- Il
me regarde à peine.
- Tu
crois qu’il est libre ?
- Je pense qu’il est timide : je devrais
peut-être faire les premiers pas... !
- Tu
devrais t’intéresser à ce qu’il fait, l’inviter chez toi, essaie, tu verras
bien…
-
J’hésite, j’ai peur qu’il refuse.
-
Essaie.
Dans sa balade dans le quartier Marie s’immobilise devant
l’enclos de madame Freynel -
Hou ! Hou !
Marie ! Que je suis heureuse de te voir ! Attend s’il te plait, je vais me laver les mains : sûr que tu es belle !
- Vous êtes gentille madame Freynel :
c’est toujours magnifique chez vous.
- J’essaie de faire du mieux que je peux :
à mon age c’est dur tu sais ; je vais devoir me faire aider. Toi tu es si
jeune ! Tu as tant de choses à faire….
- Nous sommes là pour deux jours seulement,
nous repartons demain.
- Ta maman doit être contente. Elle s’ennuie sans
toi.
- Nous venons
souvent. Eh bien ! Madame Freynel
au revoir, à une autre fois.
Assis
sur un banc Théo la tête dans les mains n’entend pas les pas feutrés de Marie,
qui, immobile devant lui le contemple. Soudain, prise d’une bouffée d’anxiété elle murmure : Dieu je
l’aime, je l’aime éperdument!
Un
éternuement malencontreux fait lever la tête de Théo.
- Je crois bien que je dormais. Qu’est-ce que
tu fais ?
- Je te regardais.
Je viens de faire un tour dans le quartier, j’ai vu madame Freynel qui
jardinait. J’ai croisé personne : ce quartier est désert. Puis je suis
allée voir les oliviers, et comme je
passais devant la maison de Claudine j’ai sonné, elle n’était pas là.
- Viens ! Théo
la prend par la main, l’entraîne. Ils sont fous tous les deux, ils courent dans
le vent jusqu’à épuisement, s’enlacent, rient aux éclats.
Devant
son bureau, la tête dans son bras replié Christie voit l’avenir sous de sombres auspices. Se sentant
abandonnée par son couple elle est égarée. Mille soupçons l’envahissent. Ils se
sont moqués d’elle tous les deux. Dotée d’une imagination féconde elle invente
mille scénarios invraisemblables. Elle n’arrive pas à croire qu’elle ne les
reverra plus. Son portable dans sa main elle cherche qui appeler pour trouver
du réconfort, découragée le pose. Après avoir souffert le martyre, avec sa bonne nature elle se secoue pour enlever les
frissons qui la paralysent, se réjouit à
la pensée de retrouver son couple caisse 16 vendredi prochain. Avec une
énergie neuve elle s’habille en toute hâte pour faire son jogging.
Une
odeur d’épices, de petites galettes, les rires d’Adeline, d’Amélie accueillent
Théo et Marie. Rayonnants de bonheur, épuisés s’affalent sur les sièges. Une fatigue bienfaisante les
engourdit. Sur le pas de la porte, en tenue de sport Thomas s’immobilise, amusé
de la surprise qu’il provoque il s’avance vers sa sœur. Marie lui tend sa joue
émue par ce beau garçon.
- Ca
va Thomas ? Que tu es grand :
chaque fois il la surprend.
- Ca va.
-! Maman, quand revient papa.
- Dans huit jours.
En ce moment il est en Roumanie :
téléphone à son portable, tu verras bien, il sera content.
- Ca marche, si loin ?
- Tu verras bien
...
Maman a
mis sa robe de fête aujourd’hui. Elle parait si jeune au milieux de ses enfants
qu’on la prendrait pour leur grande sœur. Ils s’occupent tous avec passion afin
de l’aider. Marie se charge de mettre la table,
Théo cherche à se rendre utile,
Adeline veut aider tout le monde,
Amélie balai en main fait des yeux
langoureux à Thomas, Thomas fait de son mieux pour aider, jette des
regards amoureux à Amélie.
- Et, si on ajoutait un couvert.
- Pour qui Maman ?
- Pour Madame Freynel
- Vas la chercher,
elle est seule ça lui fera plaisir.
- J’y
vais
- Non, c’est moi.
- C’est moi.
- Ne vous disputez pas :tu y vas Adeline.
Adeline
ne désire que ça, quelques pirouettes et d’un bond la voilà partie. Tout le
monde participe à la fête : surexcités par cette invitation, ils veulent que
tout soit parfait. Gratifiés par le sourire de madame Freynel ils
entonnent ensemble une chanson de
bienvenue.
Ces
réunions sont des moments merveilleux qui transportent maman au paradis. Le papotage avec madame
Fresnel sur les dernières nouvelles du quartier engourdit Marie et Théo,
fatigués leurs yeux papillotent. Amélie
ne voit que Thomas, Adeline taquine un peu tout le monde : cet
instant est précieux pour maman. Les heures passent vite, minuit
sonne.
- Thomas
tu devrais ramener madame Freynel chez elle.
- je
ne sais comment vous remercier, vous êtes tellement gentils. Au revoir mes
amis.
L’aube naissante laisse entrevoir une belle journée. Les
dernières embrassades, un dernier regard autour d’eux, le cœur serré, quelques
signes d’adieu encore ils partent pour Paris.
Marie muette regarde Théo conduire. Théo visage hermétique s’applique à bien
conduire. Les kilomètres défilent
régulièrement, Marie la tête appuyée contre l’appui tête n’a pas envie de
parler elle jette de temps en temps des regards à Théo, maussade, mécontente
elle pense aux jours qui vont lui paraître interminablement longs avant
d’aller dans la grande surface, avant de revoir la jeune femme.. Elle avait cru
pouvoir effacer de sa mémoire cette personne.
Son retour sur Paris la tourmente, son esprit est encore plus préoccupé. L’attente de ce moment lui
paraît en ce moment insoutenable.
- Théo, j’aimerais conduire.
- Attend, encore quelques kilomètres.
Rompant le silence : nous étions bien n’est-ce
pas chez Maman.
- Quelle question Marie, tu en doutes ?
- Thomas est un
beau jeune homme maintenant.
- C’est vrai : Théo attentif au virage qui
arrive, répète : c’est vrai.
La route sinueuse requiert toute l’attention de Théo. Théo
lève le pied de l’accélérateur pour éviter le coup de frein
- Tu t’arrêtes à la prochaine station.
- Oui.
Marie au volant ne pense plus, attentive elle conduit.
CHAPITRE 7
Des banderoles avec des prix intéressants, de la musique, des
hauts parleurs c’est le bruit qui accompagne Christie dans la grande surface,
car c’est la semaine des soldes. Elle
écoute les annonces vantant la qualité et les propriétés d’articles, les bons
prix. Il y a aujourd’hui dans la grande surface un monde impressionnant.
Accompagnée par cette fanfare bruyante, accueillante et rassurante à la
fois qui l’invite aux bonnes affaires
Christie va… fouine un peu partout, cherche un article bon marché : la
bonne affaire. Devant
le rayon de pantalons après en avoir essayé plusieurs devant la glace sans
trouver ce qu’elle veut elle remet tout en place, cherche plus loin. Des
caddies plus ou moins remplis remuent dans tout les sens créent des
embouteillages, Christie les yeux braqués sur son caddie entraînée par le
mouvement, avec énergie pousse son caddie croise, frôle les gens. Ces
moments sont pour elle facteurs de détendent. Nulle part ailleurs elle ne
trouve cet équilibre que lui procure la grande surface. Voilà dix minutes qu’elle est à sa caisse 17
à attendre le couple. Torturée à l’idée de ne pas le voir elle sent une
profonde fatigue, son moral est au plus bas. Ce piétinement, cette attente, la
peur de ne pas le voir l’épuisent C’est son deuxième vendredi sans, démoralisée
elle part s’asseoir dans son coin préféré : la librairie :
le passage est obstrué, enfin avec
beaucoup de patience elle arrive à son banc. Christie s’assoit, regarde
sans voir… Dans un profond soupir pour évacuer son stress elle palpe son carnet
son stylo elle furète, fouine, cherche. Ses yeux s’écarquillent devant les couples : elle voudrait comprendre,
Devant elle un garçon une fille main
dans la main, charmants tous deux, jeunes, amoureux, si innocents qu’elle en a
le cœur serré ; à force de regarder son cou s’allonge, puis se
ressaisissant elle médite .c’est bien eux, tous les deux, si gauches,
si discrets, si pudiques qui m’émeuvent. : Elle offre un spectacle
bizarre à qui l’observerait, un regard tantôt vague ou vif, quelques soupirs se
mêlent à quelques murmures puis elle prend enfin la décision d’écrire.
Depuis
un moment Marie attend Théo elle est au bord des larmes, voilà un moment
qu’elle attend Théo ; mais au milieu de ce labyrinthe de rayons qui
l’entourent, tous plus opulents les uns que les autres elle ne sait pas quoi
faire, elle a envie de courir autour des rayons pour retrouver Théo ! C’est un
véritable tourment ! Quoi… faire… Attendre… Elle n’a qu’une envie courir dans tous les sens, à défaut elle
regarde autour d’elle désespérée de ne pas
voir Théo. Son imagination
galope, elle a peur de ne plus le voir. A cette idée elle sent ses jambes mollir. Enfin Théo
arrive, décontracté, souriant.
Pale,
les larmes aux bords des yeux elle apostrophe Théo :
- Mais enfin où étais tu ?
- J’étais au rayon des nouvelles
technologies, c’est très intéressant, tu devrais venir voir.
- Moi je t’attends là.
- C’était entendu que l’on se
retrouvait là.
- J’ai eu peur Tony. C’est
tellement grand ici
tu ne penses qu’à toi ; je ne te croyais
pas comme ça : les larmes aux yeux : imagine si on s’était perdus à
tout jamais ! Théo stupéfait n’en
croit pas ses oreilles, piteux il ne répond pas : cette fois la dispute
est sérieuse. Marie est blessée dans son cœur, dans son orgueil : Théo est
plus sérieux d’habitude, plus attentif envers elle, cette légèreté la peine
profondément.
Théo tente de
reprendre ses esprits.
- Mais pourquoi t’inquiètes- tu ? Que
crois tu qu’il peut m’arriver ici, voyons !
- Enfin Théo, te
rends tu compte de tout le temps que j’ai passé à t’attendre, je ne sais pas,
un quart d’heure au moins ! Si je faisais comme toi nous ne nous
retrouverions jamais ! :
Théo culpabilise, contrit il courbe le
dos : fautif aux yeux de Marie il se tait : c’est mieux, ainsi.
« Marie est obsédée par l’idée qu’elle aurait pu ne jamais le revoir, elle
n’arrive pas à sortir de cette obsession
»
- Comment veux tu que je te
trouve si on se sépare tout le temps, dans toutes ces allées, au milieux
de tout ce monde, de tous ces rayons, de
tous ces articles qu’elle balaie de son bras, avec tout ce bruit, tout ce
monde, que j’en ai la tête qui tourne.
Après ça ! Tu voudrais que je sois calme ! Et tu t’étonnes que je
sois inquiète ! Tout peut arriver tu comprends bien. Accablé, par toutes les catastrophes que
lui fait entrevoir Marie, Théo sinistre essaie en poussant un long soupir de
voir plus clair en lui.
- Enfin Marie tu vois les choses
en catastrophe ! Ton imagination te joue des tours.
- C’est comme ça, que ça arrive; toujours. Théo
n’en croit pas ses oreilles : il essaie de
raisonner Marie qui délire complètement.
-
Qu’est ce qui doit arriver : toujours.
-
Tout. .
Après
l’avoir regardé longuement il lui prend la main, l’entraîne vers les caisses.
Déçus, ils vont à leur caisse. La file est longue. Ils cherchent, s’épient
discrètement, péteux, malheureux.
L’inquiétante
personne n’est pas là.
Qu’est ce qui peut bien l’attirer ! Elle ne peut pourtant pas s’empêcher d’être fidèle
à ce moment : ce désir
d’aller à la caisse 17 à la même heure tous les vendredis pour rencontrer un couple est quelque chose
qu’elle n’arrive pas à contrôler. Sa caisse bien aimée « la 17 », lui
offre un moment qu’elle ne veut surtout
pas manquer, ces moments qu’elle s’impose avec le couple, cette communion
qu’elle a avec lui est incompréhensible. Et tous les trois ils se
retrouvent à leurs caisses respectives, la 16 et la 17 Elle accélère le pas vers la sortie :
dehors un brouillard poisseux la suffoque, lui brûle les yeux, l’oppresse.
Arrivée dans son appartement elle prend sa douche, enfile son pyjama, ébroue
ses cheveux, les sèche, se frictionne pour se réchauffer, prend son portable.
Fatiguée
par ses doutes, par son imagination galopante « car elle se pose mille
questions » par ses scénarios qu’elle aime inventer qui la font vivre, certaine qu’un jour
ses craintes seront résolues, que ce jour viendra, et, avec cette certitude elle retrouve des
forces.
Elle pense à
ses amis Stéphane et Julie : Stéphane peint dans ses moments de
loisirs. Devant ses tableaux elle cache sa déception afin de ne pas blesser son
ami. elle lui fait des compliments se compose un visage satisfait.
- C’est ton dernier tableau ?
- Je travaille plusieurs à la fois afin
qu’ils sèchent
- Tu m’en donneras un : celui-ci me
plait
- Je te le donnerai lorsqu’il sera sec.
Elle
revoit le bonheur qui rayonna dans ses yeux .
Christie
est démangeait par l’envie de lui dire ce qu’elle en pense. Devant ses
tableaux, navrée, sans jamais lui formuler une critique, jamais lui faire une allusion sur la pauvreté de ses
couleurs, son manque d’imagination, sur la banalité de ses sujets, sur des
copies retouchées ! Il est si heureux ! Si fier de lui.
Elle
connaît ces moments où elle entend la voix de Manie, étonnement elle s’efforce
à retrouver les grincements entre sa mère Nanette et sa Manie.
Christie écoute Maman allons, regarde les bêtises que tu fais. Nanette
comment peux-tu la laisser faire, tu lui prépares une vie difficile avec cette
éducation. Comment Hector peut-il accepter ça, il la gâte outrageusement, je m’inquiète
pour ma petite Christie. Mais ne t’inquiète pas
Maman, je la connais, je sais qu’elle ira tout
droit ves la voie qu’elle va se
tracer, que rien ne l’arrêtera. Ne t’inquiète pas Maman. Et Manie,
pauvre Manie en désaccord avec sa fille prie la Sainte Vierge d’aider sa petite fille.
Elle
écrivait pendant les cours, dessinait sur les marges de ses cahiers. S’amusait
avec la copine plutôt que d’écouter le professeur, des notes désastreuses, personne ne la contrariait, sauf Manie. Elle
a passé ses examens de justesse. Elle s’amusait à écrire des nouvelles. Ne
trouvant d’intérêt dans rien elle a écrit . Plusieurs essais infructueux, puis
un hebdomadaire c’est intéressé à elle.
Devant la
fenêtre en face des blocs, les
lumières vives s’avancent vers elle comme pour l’ensevelir. Elle
s’accroche aux rideaux qu’elle tire d’un mouvement sec. Préoccupée par
cette étonnante situation dont elle n’arrive pas à se dépêtrer elle prend une
sage décision : attendre à demain pour réfléchir. Elle s’effondre dans son
fauteuil, épuisée, s’endort. La sonnerie du téléphone la réveille : c’est
son ami Stéphane.
- Christie, c’est Stéphane. Bonjour comment
vas-tu ?
- Bien.
- On pourrait se
voir : demain peut être ?
- Demain si tu veux.
- Tu parais
endormie, je te réveille ?
- Je dormais. Je ne suis pas encore réveillée,
je somnole encore mais je t’entends quand même. D’accord pour ce que tu vas
dire, tout ce que tu diras sera bien. C’est bien que tu m’aies réveillé, d’accord ?
- Ah ! J’en suis désolé.
- C’est bon !
Tu ne me déranges jamais.
- Tu connais un restaurant pas trop
cher ?
- Il y
en a un pas loin de chez moi, correcte, j’y suis déjà allée, bien.
-
Eh ! bien, d’accord. Nous arrivons à midi..Il y a un film pas mal
en ce moment, il s’appelle : le désert dans la nuit : la critique est
bonne.
- O.
k.
-
Julie, ça va ?
- Elle n’est pas rentrée, elle m’a chargé de
t’appeler. Elle va bien.
-
Bisous à vous deux, à demain.
- Tu viendras voir mon dernier tableau.
- Oui Stéphane.
CHAPITRE 8
Installées sur la terrasse dans de
confortables chaises en rotin tante Amandine et Christie profitent de la tiède
atmosphère de cette fin de journée d’automne pour bavarder ensemble.
Christie
ne se lasse pas d’admirer sa tante Amandine, cette belle femme : moulée
dans un short, ses longues jambes posées
sur la murette, décontractée, élégante, nonchalante, elle lui rappelle le chat
de son arrière grand-mère. D’un gracieux mouvement du buste elle se tourne vers
Christie.
- Je
boirais bien un thé, pas toi ?
- Si, si.
- Alex ? Peux
tu nous faire un thé s’il te plait ? Alex
ne fait que quelques apparitions, quelques mots, quelques blagues
quelques plaisanteries pour se faire pardonner de ne pas être avec elles. Il
apparaît puis disparaît, juste à peine le temps pour Christie de l’admirer.
-
Alex ! Viens avec nous.
Professeur de tennis Alex est un très bel
homme, d’un pas élastique et souple il passe devant elles. Christie mécontente
veut le voir.
- Alex ! Viens t’asseoir.
-
Je termine.
Il astique son vélo.
- Tu peux t’arrêter tout de même.
Viens t’asseoir.
-
Je dois terminer.
- Nous venons admirer, ensuite tu
viens.
- Quelle belle bicyclette.
- Elle m’a coûté cher c’est un des
dernier modèles.
- Allez tu fais le thé.
Alex se décide enfin il arrête La préparation du thé prend toujours un petit
moment, Christie en profite pour confier à tante Amandine ce qu’elle n’a jamais
dit à personne.
Tante
Amandine, j’ai fais un rêve bizarre, il y a longtemps. C’est une hallucination,
un rêve tu vois qui me poursuit.
- Non je ne vois pas, qu’est- ce que
c’est ma chérie.
- C’est
inutile.
- Pourquoi
tu m’en parles alors ! Tu as donc
des choses à cacher à tante Amandine ?
Amandine
aimerait comprendre, elle regarde Christie interrogative : l’arrivée d’Alex met
fin à leur conversation. Christie ne s’étonne pas qu’ils soient ensemble depuis cinq ans, il sont
vraiment assortis, c’est un recors pour
tante Amandine Christie aime voir ce bel homme si différend de Tony.
- Nanette ? Manie installée dans le salon
son endroit préféré pour se reposer accroche Nanette au passage, C’est toujours
la même chose, toutes les histoires de famille y passent : son mari
Alphonse, ses filles Amandine et Nanette, sa petite fille Christine, et Dieu sait
quoi encore ! Car Manie est mécontente elle cherche toutes les occasions
pour passer sur sa fille sa mauvaise humeur.
Avec un
air innocent.
- Qu’y-
à- il maman ?
- Viens t’asseoir près de moi.
Nanette
sors son tablier s’installe près de sa mère.
- Je pense souvent à ton père ...
Alphonse était un bien brave homme, on s’entendait si bien ! Il me
manque, tu ne peux pas savoir : jamais une dispute.
Nanette
n’en croit pas ses oreilles, elle explose :
-
Quoi ! Je pourrais te rappeler toutes les fois où tu as claqué la
porte rouge de colère. : Manie reste perplexe devant les remarques de sa
fille.
- Il
faut que tu te rappelles ces disputes ! Je te ferai remarquer que j’avais
raison : ton père le reconnaissait d’ailleurs, puis, préférant changer de
conversation : tu as des nouvelles
de Christie ?
- Elle
a téléphoné jeudi comme d’habitude.
- Il y
a quelque chose de changer en elle, tu ne trouves pas ?
- Elle
fait sa vie !
- Oui, bien sur, mais je crains le
pire !
- Ah ! Mais tu ne vas pas
recommencer !
- Je te confesse seulement mes inquiétudes
Nanette. Son regard est absent, elle semble être ailleurs, je la saisis mal, je
ne la comprends pas, elle ressemblerait à Alphonse, tu ne trouves pas ?
-
Eh ! Bien ce pauvre Alphonse prend tout, et pourquoi elle
ressemblerait à son grand père plutôt qu’à sa grand-mère ! Et puis c’est
ta petite fille, tu ne peux pas t’en passer, c’est tout. Elle ressemble à toi
voilà.
(Cela fait longtemps qu’elle s’entend dire
qu’elle lui ressemble : elle n’y fait plus attention) Elle écrit : je comprends ! C’est
son dada, ce métier est bien difficile, et encore je suis gentille en le
nommant métier, car pour moi ce n’est pas un métier. Tu vois j’aurais aimé
qu’elle ait une place stable, comme toi ! Comme ta sœur Amandine ! Je
suis chagrinée de la savoir seule des heures entières dans son studio. Nous
faisons notre possible pour la distraire, elle a l’air bien…de qui tient-elle
ce besoin de solitude, ce coté bohème, tu vois ses habits comme ils sont ?
Sa coiffure, cette liberté qu’elle affectionne, moi, je pense qu’elle est
prisonnière d’une idée.
- Elle
fait la vie qui lui convient, toute sa vie sera comme ça Maman.
- Oui.
Ton père était un grand sensible, un grand rêveur : il aurait mieux
compris Christie.
- Viens
Maman nous allons boire le thé.
Dans la
cuisine, assises près de la table elles
regardent Alex préparer le thé.
Manie
habite prés de sa fille où elle passe la
plupart de son temps : elle l’aide
dans ses travaux ménagers. Annette sait
que chaque fois elle va avoir droit aux
jérémiades de sa mère : Que fait Christie…que devient elle, etc.…etc.…
Christie
doit se secouer : car c’est un vrai duel entre Christie et sa
paresse, (Christie est une
paresseuse) elle aimerait attendre
tranquillement dans son fauteuil, rêver, ne rien faire est son plus cher désir.
Elle échappe à cette léthargie avec des petits gâteaux, des gourmandises. Il y a bien des fumeurs
autour d’elle beaucoup qui lui
montrent cet exemple auquel elle n’a
pas succombé, mais elle a remplacé ce vice par une gourmandise qui hélas
est bien réelle. Hélas, trois fois hélas elle est gourmande, très gourmande et
il lui faut ces compensations pour trouver le courage de se remuer, elle
s’accroche à son travail comme à une bouée de sauvetage, elle fonce.
Quand
elle revient de la grande surface elle déballe sa marchandise, tout en
grignotant lit ses lettres, met son pyjama, puis écoute son répondeur.
Régulièrement son ami Tony l’appelle : il travaille à Londres dans une
société d’Import – Export, ses activités l’obligent à vivre à Londres. Dans son
dernier message son ami l’assure de son arrivée pour le week-end prochain. Ils
se sont connu par hasard près de l’ascenseur :
celui ci était en panne, Ils ont engagé
la conversation sur les ascenseurs qui ne marchent pas : « ce qui est
très gênant lorsqu’on a plusieurs étages
à monter avec des sacs » puis ils se sont regardés, se sont jaugés,
quelques coups d’œils en coin,
- Nous pourrions faire plus ample
connaissance, voulez vous ? Au restaurant par exemple. Christie n’a pas
hésité, d’un coup d’œil à peine perceptible elle a vu un jeune homme un peu
guindé, un peu dandy, un tantinet coincé
Malicieuse :
- Je suis libre, quand vous voulez.
C’est bon, ne m’en dites pas plus. Puis avec un bon
sourire, laissez moi deviner s’il vous plait. Ils se sont donnés rendez-vous dans un
restaurant place Saint Michel, ils ont noté
le nom du restaurant et se sont
quittés sur un large sourire.
Puis se fut un nouveau rendez-vous. Depuis ils ne se sont plus quittés
et se retrouvent soit à Paris soit à Londres. Ces rendez-vous espacés sont
chaque fois des retrouvailles pleines de passion, difficiles aussi car Tony est discret, très british. Devant lui
elle bégaie, cherche ses mots Les débuts furent difficiles avec des quiproquos
qui les mettaient dans des situations gênantes, comiques, mais qui se
terminaient toujours par de grands éclats de rire.
D’une curiosité insatiable, avec de
longues enjambées il entraîne Christie qui trottine près de lui avec peine. Chaque fois ils partent ensemble à la
découverte de nouveaux quartiers « c’est un régal pour
Christie ». Toujours cravaté,
élégant, Tony est style dandy, et chaque fois en le voyant elle est attendrie
par ses manières, sa tenue vestimentaire. Ils vont tous les deux d’un pas
vigoureux par les rues de Paris.
Tony
est passionné par l’histoire de Paris, il ne peut pas s’empêcher de raconter
les évènements qui ont marqué les monuments. Il veut intéresser Christie doit faire d’énormes efforts pour
l’écouter car chaque fois lorsqu’elle
rentre sa tête est lourde, elle doit
évacuer retrouver son compagnon. De son coté son ami est fier de Christie si
surprenante. Pensif, il s’interroge : comment faire pour mieux la comprendre, elle est
si différente des femmes que j’ai connu. . Porté par le bel enthousiasme
qui caractérise Christie il oublie les convenances. Satisfait de sa promenade
il rentre avec pleins de projets en
tête, mais comme toujours Christie a de la peine à le suivre. Elle est une
énigme pour son ami, aujourd’hui sous son charme, il ne pense qu’à
l’embrasser, la caresser.
Devant
l’enthousiasme juvénile de Christie, ému,
il s’interroge devant les nouvelles facettes de son caractère qu’il était
loin de soupçonner, lui, si rigide se laisse aller. De temps en temps il
s’amuse à lui dire : tu m’encanailles ! Christie.
Elle
lui vole un baiser au coin d’une rue et, devant son regard offusqué le taquine,
- Je t’aime Tony.
Tony
dépassé ne comprend rien à cette relation qui lui semble rocambolesque entre
Christie et son couple, toutes ces « bizarreries » lui paraissent
enfantines alors en souriant il lui dit : mon quotient intellectuel n’est
pas assez fort.
Isolée Christie est seule, alors pour se
rassurer et essayer de comprendre elle va à la grande surface où les
rayons parfaitement alignés, les
aliments soignés, bien disposés, bien sélectionnés sont un plaisir des yeux.
Elle a choisi un jour calme car elle veut traîner dans le magasin. : c’est son
plaisir, trouver l’article rare celui qu’elle ne voulait pas acheter mais
qu’elle achète. Nonchalamment, un peu hautaine, séduite par cette orgie
d’articles qui l’entourent Christie se
laisse aller achète une petite lampe d’ambiance en forme de bougie. Réjouie par
son achat, impatiente de l’essayer,
rapidement elle va vers sa caisse. Dans son appartement, après un moment
d’hésitation elle s’assoit devant son bureau. Le dos bien calé sur le dossier
de sa chaise, débordée par tout le fatras qu’il y a dans sa tête elle se lève va à sa fenêtre : son coin
privilégié. Un long soupire, elle allume son poste, se rassoit puis se relève,
revient à sa fenêtre songeuse. Elle ne peut pas se concentrer. : Ce
soir je m’éclaire avec ma lampe
d’ambiance.
-
Allo ? Tony ? Pourrais-tu me ramener du thé de Londres s’il te plaît ?
- Crois tu que ce soit raisonnable de me
demander d’acheter du thé Christie !
- Et
pourquoi pas ! J’ai envie d’une marque, je ne me souviens plus le nom. Tu
le choisiras, je suis sure que ce sera le meilleur.
- Du
thé !
- Et
oui ! Du thé. Qu’est-ce qu’il y a de si drôle à ça ?
- Bon
d’accord, je t’achèterai du thé.
- Tu
n’oubliera pas ?
-
Quelle marque ?
- Je ne
sais plus.
-
Ah ! Bon.
- Du
thé Tony, n’importe….
- Je
n’oublierai pas : ma chérie comment vas-tu ? Ce n’est pas son genre de l’appeler, ma chérie,
il faut qu’il soit sacrément inquiet.
Sa voix
tendre chavire Christie.
- Ca
va très bien. Tu me ramènes du thé de Londres,
il sera meilleur choisi par toi. .
- S’il
te plaît, voyons je ne te comprends pas.
Dans ta grande surface tu trouveras ton thé !
- J’ai
oublié la marque, le nom ne me revient pas.
Il est excellent, je n’arrive pas à retrouver le nom. Oh ! C’est
trop bête ! C’est stupide. Tu prends le meilleur, vas chez un spécialiste,
il te renseignera.
- J’ai quelques jours Christie, je viens, ne
m’attends pas à l’aéroport j’aime te retrouver dans ton studio : je t’appelle,
surtout ne te fais pas de souci ma belle
Christie, à bientôt ma chère : jamais Tony n’avait été aussi
expansif.
- Merci Tony, tu n’oublieras pas le thé. Beaucoup de bises de ta Christie.
Elle
est inquiète à la pensée qu’ils ne vont pas se comprendre, qu’il y aura entre
eux cette histoire de couple. Elle devra trouver les arguments pour
l’intéresser, essayer par petites touches de lui faire prendre au sérieux son
histoire, alors qu’elle est pleine de bonnes résolutions et après avoir trituré
ses méninges elle en conclue : c’est impossible de lui expliquer
l’inexplicable ! Il est tellement éloigné de cette histoire, de mon
histoire. Je vais le tracasser
inutilement, et me tracasser aussi.
C’est un cœur généreux, il est attentif à mon travail, à mes sorties, à
mes amis : je l’aime. Mais là : c’est l’incompréhension : Il
y a en ce moment dans la vie de Christie un moment difficile dont elle n’arrive pas à émerger.
Devant cette situation inextricable Christie soupire. Elle connaît Tony !
Il va l’écouter plein d’indulgence, faire semblant de comprendre afin de lui plaire, mais il sera dépassé! Alors elle lui
dira avec philosophie : « Ne te fais pas de souci, ça s’arrangera
tout seul. Mon travail n’en souffre pas ! je dois même
y mettre un frein. Puis elle ajoutera
philosophiquement : cette situation au fond est banale, n’y
attachons pas d’importance. » C’est justement la banalité de cette
situation qui la laisse pantoise, la banalité des personnages… Pourtant
l’attirance est là, et chaque fois elle a le même plaisir, la même sensation.
Ils ont envahi sa vie tous les deux au point qu’il n’y a pas un seul instant
sans qu’elle en subisse leur magnétisme. Alors, pour s’en libérer sac au dos
elle arpente les rues de Paris. Son désir d’aller vers le monde, ses promenades où elle croise toutes sortes de
gens, si divers, actifs, nerveux,
qui vaquent à leurs occupations, le bruit, les devantures, tout
ce mouvement lui fait oublier son problème : le couple de la grande
surface. De retour dans son appartement, fatiguée elle se
vautre dans son fauteuil,
épuisée par sa journée elle voudrait se détendre mais naturellement l’image de son couple resurgit : De tous les moments de ma
journée, c’est celui qui me donne le plus de bonheur, de joie .
Un
cliquetis de verres un bruit de chariot, l’hôtesse offre ses services. La tête
appuyée contre l’appuie-tête du fauteuil, jambes à moitiés tendues (elles sont
interminables...) Tony dort, seul de
temps en temps un petit mouvement nerveux secoue son corps. Empêtré par
sa grande taille il doit se contorsionner pour se positionner le mieux
qu’il peut, jovial il accepte les
problèmes de bon cœur. Tony à peine réveillé clignote des yeux, regarde vers le
hublot : partout des nuages vaporeux, ouatés, effilochés, dispersés dans le ciel, puis du bleu et de
nouveau des nuages blancs, très blancs, épais, moins épais, lourds. Il regarde
ces formes fantasmagoriques aux allures de monstres, de drôles de curieuses
créatures. Tony moitié endormi regarde au loin, très loin une ligne tirée au
cordeau, violette. Devant ce spectacle il se réveille doucement avec un long
soupir, se tourne vers sa voisine discrètement « qui ma fois n’est pas
mal » : l’ambiance de l’avion le met dans une léthargie, il replonge dans
le sommeil... Dans son demi sommeil Tony
voit Christie qui apparaît puis disparaît. Bercé par les bruits feutrés.
- S’il
vous plait ?
L’hôtesse arrête
son chariot offre avec une voix suave, thé, café, boissons rafraîchissantes, petits gâteaux
-
Monsieur ? Tony écarquille les
yeux essaie de réagir, étire son cou.
- Un
thé s’il vous plaît.
Dans l’allée, l’hôtesse jeune, belle, élégante, joliment
maquillée offre son service avec un beau
sourire en poussant son chariot, Tony aime la voir. Ankylosé il cherche
la bonne position. Il se distrait en regardant à travers le hublot, s’en
éloigne, pense à Christie. Dans peu
de temps je vais avoir une explication avec elle : nous essaierons de nous voir plus souvent aussi. Le front plissé,
soucieux il commande un autre thé. Il voudrait comprendre pourquoi elle est si lointaine par moment ! Si
rebelle ! Il ne peut pas s’empêcher d’être inquiet, ce flou le met mal à l’aise, jusque là tout était
simple ! Mais maintenant il est
dépassé, lui si précis dans ses actes a du mal à comprendre. Il essaie de se mettre à l’aise, se cale le mieux qu’il
peut, pousse un profond soupir ferme les yeux Une magie, une image floue se
précise, silhouette élancée, cheveux noirs, vivante, riante, moqueuse c’est
Christie. Tony essaie de prolonger son sommeil, ses bras l’entourent, puis plus
rien. .
Lorsque Tony est
en compagnie de Christie ses pensées vagabondent, très amoureux d’elle il
aimerait lui clamer son amour, lui si pudique perd son aplomb devant elle. Comment
lui faire comprendre ce qu’il a dans le cœur, tout ce qu’il voudrait
dire se fige ! La peur d’être ridicule le paralyse Pour le moment il nage dans la béatitude. Porté par la douce
ambiance de l’avion il dort bercé par des rêves pleins de Christie… : Il
voit son petit regard en coin, sa
démarche assurée, ses cheveux qui ondoient autour de son visage, ses formes
délicates, son sourire charmeur qui aime séduire, son visage expressif,
sensible qui l‘émeut : il voudrait vivre avec elle. Réveillé en sursaut il écarquille les
yeux : c’est bientôt l’atterrissage. Impatient de sentir son
haleine sur sa figure, de la serrer dans ses bras, de sentir la chaleur de son
corps, la retrouver, l’enlacer, chaude, vibrante, Tony est nerveux : le
moment tant attendu qui l’amène vers Christie approche.
Le R E R s’arrête,
repart, avale, crache dans un tourbillon la
multitude ; les gens, lisent, dorment, regards las, visages
marqués, de brefs échanges de
politesses, aujourd’hui il y a un joueur d’accordéon, ses doigts agiles
courent sans effort sur les touches, enlèvent un air de musette, égaient le
trajet, des amoureux jamais las, jamais fatigués… Les gens entassés compriment
Tony : il n’est certes pas novice
mais aujourd’hui il est mal à l’aise. Dans les couloirs le martèlement des pas
résonnent sur le sol ; des vies multiples se côtoient, se croisent au pas
de course. Encore quelques rues,
quelques marches : chaque fois il panique : aujourd’hui il est
plus anxieux que jamais.
La tête collée à la porte Christie s’énerve au moindre bruit, impatiente elle fait sans
cesse des allées et venues de son bureau à sa porte, des va et vient. Un regard autour d’elle,
remet plusieurs fois le même objet à sa
place, s’assure bien que tout est en ordre : connaissant la maniaquerie de
Tony elle s’est appliquée à bien ranger
sa pièce : Tony est pointilleux
sur l’ordre.
Des petits coups qu’elle connaît si bien contre la
porte, d’un bond elle va ouvrir. Les gestes sont gauches, les mots s’étranglent
dans la gorge, l’émotion est trop forte. Ils se prennent les mains sans un mot
se regardent, et dans leurs yeux on peut lire tout le
bonheur du monde. Elle l’enlace ;
certaine, à ce moment là qu’il sera
toujours près d’elle, et que rien, rien,
ne l’éloignera d’elle : c’est une conviction profonde. Leurs retrouvailles
sont pudiques. Christie l’entraîne timidement vers le canapé. Enfin installé
commodément Tony peut étirer ses
jambes.
- Tu
as fait bon voyage ?
- Excellent.
Il se lève, la
contemple, du bout des doigts la soulève, l’approche de lui, l’enlace
délicatement, tendrement lui lève la tête,: dans un souffle il murmure, de jour
en jour tu es plus belle. Silencieux, ne souhaitant pas rompre ce moment ils se
taisent : puis, la ramène sur le canapé.
- Que
fais tu en ce moment ?
- Regarde : l’entraînant vers le
bureau : tu vois je ne chôme pas. En ce moment je suis en pourparler avec un éditeur : je t’en ai déjà parlé je
crois. Tony la regarde tendrement, puis
la rassoit. Je ne te comprends pas Christie, comment peux tu trouver
toutes ces idées ! C’est tellement à des années lumière de moi. Je n’ai aucune imagination, je m’étonne
parfois d’être si peu créatif : sur ce il se lève, soulève Christie, l’enlace
de nouveau : ce contact doux lui fait tout oublier : nonchalamment il pose la boîte de thé
- Tiens.
-
Merci. Je ne connais pas cette marque ! Tu en veux ?
- Non,
non, une autre fois. Qu’est ce qu’on fait ? - Nous pourrions
aller à Montmartre, si tu veux.
-
Pourquoi pas.
- On fera un détour sur les bords de la
Seine ; tu verras tes bouquinistes : c’est ce que tu aimes. Puis nous
dînerons à Montmartre. C’est bon
? Ils se comprennent à demi mots, ne se
lassent pas de se regarder. .
- Hello !
pas si vite.
-
Prends les tickets.
Tony se plait dans ce petit une pièce, il y
resterait plus longtemps : Christie
l’arrange avec goût. Il connaît
l’agencement qu’il regarde chaque fois comme si c’était nouveau : Sur un guéridon dans l’angle de la pièce une
petite statuette de bronze, une tapisserie est accrochée au mur, (la dame à la
licorne) sur la table un bouquet de fleurs aux délicates couleurs, pastelles,
roses, jaunes pâles striées de rouge, égaient la pièce. Christie s’est
appliquée à décorer la table pour accueillir son ami. Elle s’est attachée au
plus petit détail avec soin et minutie tout comme un peintre ferait avec son
tableau en cherchant l’harmonie des
formes, des couleurs. Tony respire le délicat parfum. Il resterait bien, mais
Christie l’entraîne. Installé devant son bureau il caresse du doigt les
feuilles, plein de respect pour son travail, puis retourne s’asseoir dans le
fauteuil sensible à cette atmosphère subtile.
Pendant ce temps Christie tourne à la recherche de ses clefs :
quelques éclats de voix, enfin les trouve.
- Tony tu es prêt ? Elle hésite à
regarder Tony le connaissant et sachant d’avance qu’elle y verra un petit
reproche amusé car Tony est l’ordre personnifié. Mais aujourd’hui tout est bien il la couve
des yeux.
- J’aime bien ton histoire sur les chats.
- Peux tu m’aider
à enlever le sac de la poubelle, il s’est accroché.
- Mais quelle
idée, nous partons, ce n’est pas urgent !
- Viens m’aider !
Ils n’attendent pas l’ascenseur préférant les escaliers
qu’ils dévalent à toute vitesse.
Dans les couloirs du métro ils vont aux pas de course.
D’un saut ils sont à l’intérieur, amusés de l’avoir eu. juste avant la
fermeture des portes. Assis l’un en face de l’autre ils s’épient gentiment, se
sourient: Tony élimine ses soucis lorsqu’il est avec Christie quant à Christie
elle essaie d’oublier le couple de la grande surface, sans y parvenir tout à
fait ! Tony afin de la rassurer se penche pour lui prendre les
mains. « ce qui est de sa part une grande preuve d’amour car il
n’est pas démonstratif » Arrivés à
leur station ils s’engouffrent dans les couloirs, vont bon train en suivant le rythme de la
foule. Enfin dehors ils vont bras dessus bras dessous, gaiement par les rues de
Paris, n’hésitant pas à s’allonger, à
s’égarer : qu’importe ils sont bons marcheurs... Notre Dame les
accueille dans toute sa splendeur. Ils vont indécis…les bouquinistes alignés le
long de la Seine, Notre Dame au fond... Tentés par l’étalage d’un bouquiniste
qui expose des plans, des photos du Paris ancien Tony s’arrête. Les bateaux
animent la Seine. Notre Dame est d’une majesté à vous couper le souffle :
parfaite. De tous les pays les gens viennent l’admirer. Appuyée contre le
parapet Christie passe son temps à regarder. Tony nonchalamment
furète, feuillette les revues, fouine un peu partout. Les touristes traînent le long du quai, s’arrêtent devant les marchants,
cherchent les vieux bouquins, les vieux
livres : les bouquinistes au bord de la Seine sont un pôle d’attraction où
Christie aime aller. Attirée par les affiches publicitaires elle s’étonne du
talent de l’artiste qui a su exprimer sa
pensée d’une façon aiguë. Chaque fois elle s’arrête pour les regarder, s’étonne
du talent de l’artiste qui avec seulement quelques traits, quelques couleurs a
su donner tant d’intensité à sa publicité. Appuyée contre le parapet, soupirant
d’aise elle se tourne pour aller trouver Tony , indécise elle reprend sa place : chaque
bouquiniste a sa spécialité. Tony passe de l’un à l’autre, s’arrête fait signe
à Christie de venir pour lui montrer une publicité particulièrement cocasse,
clownesque, si drôle qu’il se paie le luxe de l’acheter.
- Comment la trouves-tu ?
- Super, elle la saisit pour mieux la
voir.
Les péniches glissent sur la Seine, les ferry bondé lm
de touristes
joyeux mettent un air de fête : appuyée sur la balustrade du pont elle les
suit du regard Sur la berge, des gens
isolés, méditatifs sont assis sur des bancs de pierre, des touristes pressés
appareils de photo en main, des amoureux, des artistes en recherchent
d’inspiration, des poètes, des gens viennent tout bonnement se détendre ou
seulement faire leur promenade quotidienne ; au loin un groupe de jeunes
essaient leur batterie. Chacun à sa
façon profite pour un temps de ce magnifique spectacle qu’est la Seine: Tony et Christie sont perdus dans
leur contemplation.
La rue et son flot ininterrompu de voitures, un va et
vient sur le trottoir, des gens divers, un bruit sourd, des éclats de
voix, des accents étrangers, Christie doit faire un effort pour se libérer de
ce spectacle. Elle ne voit pas Tony près d’elle, une petite pression sur le
bras, un sourire encourageant il l’invite à continuer leur promenade. Après un
long soupir, un dernier coup d’œil, elle attrape Tony et d’un pas vigoureux
l’entraîne vers le métro. Tony naturellement
ne peut pas s’empêcher de lui raconter l’histoire d’un monument, Christie doit
faire d’énormes efforts pour l’écouter, car curieusement elle est attirée par
les toits de Paris. Lorsqu’il lui explique l’histoire des monuments elle
attrape des maux de tête car elle doit écouter et regarder en même temps.
- Tony, tu ne trouves pas curieux ces fenêtres
dans les toits ? Tony jusque là n’y avait pas fait attention, jette un
coup d’œil rapide. puis continue son histoire.
L’attrapant par le bras :
- Regarde Tony, j’aimerais vivre la haut :
Avec une moue
- Pas moi. Puis découvrant ce que jusque là il
n’avait pas remarquer spécialement, sourcils froncés il convient que c’est
intéressant…
- Tu vois …là…
Tony devant l’intérêt qu’elle lui montre est ravi,
alors il continue inlassablement, et
c’est épuisée qu’elle l’écoute jusqu’au bout.
Rapidement ils vont directement à leur métro :
d’habitude lorsqu’elle prend le métro elle furette, regarde les
publicités : c’est un endroit où elle laisse aller son imagination, mais
lorsqu’elle est avec Tony elle ne pense qu’à lui. Une fois à l’intérieur,
discrètement ils se prennent la main, aperçoivent à peine les stations défiler,
chacun s’installe commodément. Une fois sortis à Barbès – Rochechouart la foule
est si dense qu’ils ont de la peine à se frayer un chemin. Au pas de course ils
attrapent la navette pour aller sur la butte.
- C’est du sport.
Ils aspirent profondément ce
mélange d’odeurs de tabac, de sueur d’hommes, de bière, de cuir, de
choucroute un mélange aigre, âpre leur prend la gorge. Après de multiples
contorsions Christie a choisi sa meilleure
table. Assis face à face sur des banquettes rembourrées de cuir, émerveillés par le magnifique point de vue
sur Paris, encore quelques frissons ils
s’installent commodément. Ils hument la bonne odeur, respirent goulûment, jettent un
regard autour d’eux, un regard circulaire, dans cette bonne ambiance,
dans ce cadre chaud, accueillant, le patron dans sa belle tenue bavaroise les
reçoit comme si il les connaissait depuis toujours ; la salle est grande,
bondée, l’ambiance est chaleureuse, le patron
jovial vous met tout de suite à l’aise.
Les plats fumants odorants leurs
chatouillent les papilles
Place du Parvis du Sacré-Cœur
appuyés contre la murette les yeux écarquillés ils s’amusent à reconnaître les
monuments. Muets, émus, dans un silence impressionnant ils admirent le coucher
du soleil sur Paris. Un voile translucide s’étend sur la cité, le crépuscule
doucement enveloppe Paris, la brise caresse leurs visages, les sons
s’évanouissent dans la nuit,. Dans la demi obscurité les gens immobiles,
silencieux devant cet enchantement lentement s’éloignent. La nuit arrive ils
vont rapidement ; préoccupés par leurs estomacs qui réclament ils
bifurquent vers les restaurants. La brise est de plus en plus fraîche. Les rues
éclairées par les lampadaires, les lumières des devantures sont égayées par le rire des jeunes filles et des jeunes
hommes, par les voix joyeuses et vibrantes des hommes et des femmes
Elle défait son paquet, retire
délicatement l’enveloppe, fait glisser légèrement son doigt sur la peinture
juste sèche .
Place du Tertre au milieu des
peintres Christie cherche un petit tableau. En se faufilant parmi les artistes
elle a remarqué deux petits tableaux, cherche des yeux Tony pour lui demander
son avis : il la surprend souvent par son analyse concise. Elle lui fait
remarquer un petit tableau avec des
taches bleues délicates qui pourrait être un bouquet de myosotis
- Regarde, qu’en penses tu ?
- C’est très joli.
- Et celui-là ?
- Bien, il est différent
- Choisis.
- Celui là représente bien la
butte, il n’est pas mal. L’analyse de Tony devant un tableau est intellectuelle, sa vision est nette et précise,
son analyse est complémentaire riche
d’enseignements pour Christie. chez elle, c’est plus instinctif, aussi avec
attention elle l’écoute. Christie pousse un long soupir devant l’incapacité
qu’elle a de choisir, et c’est au bout d’un long moment qu’elle se décide
enfin. Elle a choisi le bouquet de
myosotis. Bien emballé, bien protégé
Christie s’en saisit comme d’un trésor.
Les gens sortent les yeux
brillants, des habitués se retrouvent là régulièrement à la taverne de la butte
Montmartre. Ils échangent des mots
pleins de verve, jouent aux cartes. D’emblée lorsqu’on rentre on fait parti de la grande famille des clients,
gâtés, choyés, et dans ce cadre
sympathique on a envie de s’installer d’engager la conversation avec le patron
.
Tony face à la glace qu’il
effleure à peine ne se lasse pas de regarder Christie. Je suis timide pour te
dire ce que je ressens avec toi, les sensations que tu me donnes, j’ai peur de
te choquer, tu as tout d’une grande amoureuse Christie, tu m’attires.
-
Allons Tony, tu blagues… Je ne sais pas comment je dois prendre ça,
comme un compliment où…
- Ne cherchons pas, je
t’aime. Je suis jaloux du couple.
Christie fond sous les regards de
Tony : comment lui expliquer son tourment avec le couple de la grande
surface ! Elle lui prend la main, veut
lui exprimer son amour. La chaleur bienfaisante, l’atmosphère accueillante, les
mets odorants la met en confiance.
- Sois
persuadé que je serai ta compagne fidèle.
Je ne sais pas où nous allons…Elle
frissonne...Ces moments où je suis avec toi Tony sont si
rassurants, si bons, nulle part ailleurs je n’aurai cette
confiance que tu m’apportes.
Christie est troublée elle aimerait avoir l’esprit libre,
mais elle est tourmentée. Le patron d’un pas rapide, nerveux, « malgré une
stature hors du commun et un beau tour de taille » leur apporte la carte,
plein d’attention il leur conseille le plat du jour (la choucroute) Mêlant
leurs bras ils lisent, relisent la carte
font durer le plaisir, puis un
signe au patron qui
s’approche,
- Une
choucroute.
Après
avoir choisi ensemble leur choucroute,
leur verre de bière ils n’ont d’yeux que
pour eux. Oubliant les trophées
accrochés au mur, les portraits d’artistes, les coupes de champions, les
instruments de musique bizarres, la barrique, au-dessus un petit bonhomme
qui clignote des yeux en leur jetant des coups d’oeils, d’autres petits êtres
burlesques amusants et très colorés
Tony, les mains de Christie dans les siennes pour les réchauffer (car
elle les a toujours froides) n’arrive pas à trouver les mots. Affaiblis par la
faim, le regard éteint , chacun s’isole,
se protège : émue devant Tony, devant son beau visage elle le couve des yeux, des yeux plein d’amour.
Silencieux, les membres engourdis ils ne réagissent plus. Les plats arrivent rapidement. Le serveur
avec application leur sert la
choucroute. Les assiettes fument, ils hument la bonne odeur, réconfortés. Les
coups de fourchettes sont vigoureux. Leurs estomacs calés ils se regardent un
moment sans parler, ébahis de leur appétit (Une vision animalière effleure
leurs esprits) Ouf ! Tony est tout remué devant le bon appétit de
Christie.
-
Leur bière est bonne, j’en prendrais bien une autre : d’un signe de main
il appelle le serveur : s’il vous plaît !
Si tu savais
comme je regrette que nous soyons si éloignés l’un de l’autre. C’est un moment
béni Christie lorsque je suis avec toi. : Tony l’aime et c’est sans hésiter
que pour la énième fois, il lui
clame son amour, son infini bonheur
d’être avec elle, partout. Lui si pudique montre son désespoir !
-
Pourquoi ne viens tu pas plus souvent à Londres.
- Oui
bien sûr, mais je te dérangerai. Mon boulot me
prend beaucoup de temps. Le temps passe sans que je m’en aperçoive, J’ai
de la chance, je t’ai Tony. Au fait, Madame Bompon m’a mis en contacte
avec un journal, je verrai avec eux, je
t’en reparlerai.
-
Bien, mais sors davantage, vois
des amis, ne t’isoles pas !
- Que
veux tu ! C’est mon travail, je fais de
sorte que tout se passe bien :elle regarde Tony
perplexe : : Christie a vu une
ombre passer sur le visage de son ami. Tony la regarde longuement, il cherche
comment s’y prendre pour la libérer de son histoire.
-
Christie nous pourrions parler tous les deux, du …du couple : Tony
bégaie. C’est curieux, ça me tracasse,
j’y pense que veux tu. Si nous en parlions ensemble ! Explique moi de quoi
il s’agit. Veux tu que nous en discutions ? Christie la tête appuyée sur sa
main, les yeux dans le vague attend la suite : Tony insiste : je ne
sais rien de cette histoire, ce que tu me dis seulement : c'est-à-dire,
rien. Si seulement tu faisais un effort pour t’expliquer, au lieu de soupirer
comme tu fais en ce moment ! Bon. Je vois que je parle dans le vide; c’est
trop tôt encore, un jour ça va se déclarer, tu verras. Dans ce monologue il préfère changer de
conversation.
-
Comment vont tes amis ? Christie se déride, balaie d’un coup de
couteau la table, attrape le rythme d’un air en frappant des petits coups, puis s’appuie de nouveau sur son
dossier dans le mouvement d’un navire en perdition qui tangue
dangereusement.
- Je
les ai vu il n’y a pas longtemps, ils sont bien, Julie toujours bien ronde, Stéphane toujours
sec. Elle regarde Tony avec une fixité étrange, moitié coquine, moitié
langoureuse.
- Tu
visites des expositions ?
- Je n’ai pas tellement le temps…je suis nonchalante par nature, je dois me secouer tu
sais, c’est un vrai problème, je ne rêve que de ne rien faire, un vrai drame ,
et comme tu vois je travaille, je bouge, je t’aime, elle lui lance des regards langoureux la tête appuyée sur ses mains elle goûte
l’instant, le plaisir d’être avec Tony.
- Et
les spectacles, tu as une idée ?
- Oui, on ira à Montparnasse, il y a un
kiosque on les a moitié prix nous verrons. Tu sais comme je suis paresseuse
lorsqu’il s’agit de distractions. Tu me secoues, c’est bien : au fait tu
as pensé aux vacances ?
- Christie, tu n’es pas sérieuse, et tu me rends
jaloux.
- Ne
sois pas bête : tu vois du monde avec ta profession : mon travail est
solitaire. Je veux bien suivre tes conseils, je vais faire des efforts pour me
distraire un peu plus. Ce que j’aime avant tout c’est me balader dans les rues
de Paris. je m’assois à la terrasse d’un café si il fait beau, je me délasse, je regarde passer les gens.
J’ai besoin de ces marches : je suis si longtemps assise devant mon
bureau.
- Je ne te comprends pas lorsque tu me présentes la grande surface comme
une distraction.
- Oui, pour moi cet endroit
compte beaucoup, j’y puise des forces, j’y trouve des idées, je me détends, je
me distrais. J’en sors plus forte. Qu’est-ce que tu en penses ?
- Qu’est-ce que tu veux que j’en
pense, tu es si bizarre, Tony appuyé sur ses mains regarde Christie, ne cherche
pas à comprendre, tellement absorber dans la contemplation de Christie.
Avalant par
petites gorgées Christie avec nonchalance remue avec sa petite cuillère dans un
mouvement circulaire son sorbet quelle transforme en mayonnaise. Elle le savoure.
–.
J’aime te regarder Christie, tu as une grâce enfantine qui me ravit, il y a
quelque chose de puéril de maladroit, de si jeune, j’en suis bouleversé, et si
ému. Je voudrais t’attraper, mais tu
m’échappes, et tu t’échappes, je suis sans filet avec toi. En ce moment pour
moi c’est un moment béni Christie, nous pouvons parler, nous confier. Viens
vivre à Londres, tout s’arrangera si nous vivons ensemble. Christie le regarde
l’écoute, songeuse elle se frotte le front afin de mettre ses idées en place,
le regarde longuement en hochant la tête. Elle n’a aucune envie de se faire du
mouron en ce moment. Philosophe Tony pense que l’essentiel eh ! Bien,
c’est d’être avec elle, de lui prendre les mains, de la voir rire, oui pour
l’instant c’est bien de la voir rire.
- Un
jour quelque chose se produira, j’en suis convaincue. Essaie de me comprendre
Tony : je n’ai pas encore trouvé ma voie, c’est le problème. Ce n’est pas
sans conséquences que nous nous retrouvons tous les vendredis, tous les trois à
la même heure, à la même caisse, j’en suis vraiment consciente.
- Mais
tu te mines avec ça.
- Je suis navrée Tony !
Vraiment désolée, je t’aime, tu es là, et quoiqu’il puisse
m’arriver, avec toi j’aurai toujours ce bon équilibre qui m’est
nécessaire, indispensable, et puis, je
crois en ma nature positive. Tu vois en ce moment tu me pousses à réagir c’est
bien de ta part, mais évitons d’en parler ; si tu veux bien ; tout
est flou dans sa tête. Je ne suis jamais seule, je t’appelle, il y a aussi mes
amis qui me détendent lorsque je les vois, mes parents. Tony l’instant est
court quand ton rêve t’emporte loin… bien loin…il faut préserver ce moment à
tout prix, il est si précieux. C’est un
soutien dans ma vie, j’aimerais que tu me comprennes.
Quand tu ris Christie c’est tout le bonheur
du monde que j’ai en moi, te prendre dans mes bras, caresser tes cheveux,
t’écouter, ta façon de t’habiller, ta démarche, tes hésitations, tes
maladresses, tes inquiétudes ! Et aussi toutes les devinettes que tu me
poses, tu es si intéressante que je ne m’ennuie jamais avec toi. Sentir ton
corps près de moi, me fondre en toi Christie. Christie est au comble de l’émotion, elle tourne
la tête pour se cacher : Tony lui prend la main l’amène à se lever.
. Des milliers
de petites étoiles scintillent dans le ciel des petits points lumineux,
inaccessibles, fascinants. Assis sur les escaliers de la butte Montmartre
enlacés ils regardent les étoiles en essayant de leur donner un nom,
frissonnant Tony presse son amie de rentrer
Le Sacré Cœur rayonne : un
dernier coup d’œil Christie murmure,
c’est beau. Allègrement ils marchent, traversent les rues, regardent les
vitrines éclairées : des trottoirs bruyants, une foule colorée , des
touristes : les gens s’agitent. Ils vont
bras dessus, bras dessous prendre
le métro. A cette heure tardive le métro est calme : quelques noctambules,
des travailleurs fatigués. Bercés par le bruit du métro ils doivent lutter pour
ne pas dormir. Arrivés dans le studio
ils s’affalent sur le divan.
Il est un petit café dans un petit coin de Paris qui
s’appelle le petit Futé pas loin du canal St Martin, c’est là où ont échoué
Christie et Tony.
Assis au comptoir de ce petit café devant un verre de
bière, accoudés sur le zinc, apparemment heureux dans ce petit café où ils ont
échoué fatigués après une longue marche, le dos courbé ils trinquent. Les machines grondent, sifflent, tous ces
anciens bruits de comptoir que nous aimons on les retrouve ici, dans ce petit
café. Alignés devant le comptoir, des hommes, des hommes du coin. Dans la salle
quelques tables, des banquettes trouées, rapiécées, des hommes lisent leur
journal la tête appuyée sur leurs mains ou bras croisés sur la table, jambes
repliées, dos fatigués, courbés, d’autres parcourent la salle de regards
indifférents, éteints ou réfléchis. Les gens se regardent, s’observent,
quelques uns avec avarice savourent leur bière, d’autres l’avalent d’un trait :
une odeur de tabac, de vin prend la gorge. Christie et Tony ont vite ingurgité
leur demi, d’un bref coup d’œil ils s’interrogent, tapotent leur verre,
impatients d’en avoir un autre. Une allure nonchalante, une silhouette de
rugbyman le patron aux gros bras musclés s’approche d’eux., jongle avec les verres trinque avec les clients, de sa voix grave les interpelle.
Nullement déplacé dans la grande métropole qu’est Paris ce petit café nous
rappelle ceux de nos villages. Le patron est jovial, un accent méridional…
Christie et Tony intéressés l’écoutent, le questionnent, se renseignent sur le
coin, se mêlent aux conversations, détendus, Tout parait si
simple qu’on aimerait y rester. Christie
et Tony d’un équilibre instable cherchent
une table pour savourer leur demi, assis. La bière aidant ils voient tout en
rose .
- S’il vous plaît ? Une bière.
Ses yeux brillent comme deux phares, sa peau a pris une
couleur écrevisse inhabituelle, il regarde Christie avec insistance et
gaillardise. Christie ne le reconnaît pas : lui si raide, si à cheval sur les
principes aujourd’hui col ouvert, coudes sur la table, un large sourire sur le
visage regarde Christie singulièrement,
il n’a qu’une envie c’est de la prendre dans ses bras. Tu n’as jamais été aussi
belle Christie, je t’aime, tu me fais souffrir. Le soleil glisse sur la table,
la poussière voltige dans l’air, l’atmosphère enfumée, l’odeur de
bière, leur demi presque ingurgité ils
se regardent avec convoitise les yeux brillants. Aujourd’hui Christie béate
voit Tony sous un autre angle, son image vacille dans ses yeux.
- Tony ça tourne !
- Ne
t’inquiètes pas, tu boiras un café.
- Ne
t’affoles pas Tony : elle
lui prend la main une fois encore pour
le rassurer. Ses yeux chavirent
Holà ! Tony, je te vois double.
triple. Elle respire à fond, trois,
quatre inspirations, expirations, la poitrine bombée elle avale la vie. Ne te fais pas de soucis Tony, ne t’inquiètes pas bafouille Christie. C’est une évidence en ce moment Christie n’est
pas très réaliste avec son ami Tony : elle présente son histoire avec
beaucoup de légèreté ! Un peu partie elle bredouille : tu es ma
vie Tony, je t’aime bafouille Christie d’une voix à peine perceptible. (Christie
bafouille), elle frissonne, lui prend les mains, les glisse sur le rayon de
soleil qui colore la table. Après plusieurs verres de bière Tony est enclin à
tout comprendre. Plusieurs bonnes respirations amènent Christie à reprendre ses esprits, (le petit
café aidant) Elle se laisse aller, membres décontractés, bras ballants, yeux à demi clos elle contemple Tony. Autour
d’eux, ankylosés, une dernière cigarette, les hommes se lèvent péniblement,
cassés, un dernier salut au patron.
Confiante en Tony
Christie un peu éméchée n’arrête pas de le regarder.
- J’ai
vu les Harrisson dernièrement ; ce sont des gens charmants, ils viennent
en France bientôt. Tu les connais ? Ils pourraient passer te voir ?.
Ce sont de bons vivants, tu leur es très sympathique, ils s’informent souvent
de toi : qu’est-ce que je dois leur dire. Ils t’invitent souvent.
- Je veux bien. Arrange toi pour être là !
Ils sont à la retraite ? Tu leur a mentionné l’hôtel près de chez nous, ils
viennent quand ?
- Je vais m’en
occuper. N’importe comment nous nous
arrangerons pour leur faire connaître
les plus beaux monuments de Paris ! Ils sont charmants, je vais
souvent les voir. je suis accueilli comme un membre de la famille. L’ambiance
est très british, je te l’ai dit déjà ils ont proposé de me loger, c’est très
chaleureux de leur part.
- Tony, je veux
bien les recevoir quand tu es là : tu ne réponds pas. .
- je t’ai dit
qu’on serait tous les deux. Ah ! Comme tu t’inquiètes inutilement.
- Je baragouine l’anglais.
- Je parlerai
pour nous deux
- Madame
Bompon attend beaucoup de moi, je vais
m’arranger avec elle autant que je peux. Allez, tu leur dis que nous les
attendons : C’est vrai ils sont sympathiques : après tout ça me fera
plaisir de les voir. Je les trouve un peu guindés : tu vois ce que je veux
dire…
- Non, ton avis changera en les voyant.
- C’est bien
vague tout ça
- Qu’est ce qui est vague ?
- Nous irons le
week-end prochain, si tu veux, pour me
rassurer. Je suis timide. Ils étaient profs je crois de fac, je ne me sens pas
à leur hauteur, je vais être malheureuse, j’ai peur qu’ils me sous-
évaluent ; je suis une autodidacte moi. J’ai peur qu’ils s’ennuient avec
moi, qu’ils soient déçus. Ma vie est si différente, je m’inquiète de ce qu’ils
vont penser de moi, et si ils se moquaient de moi !! Tony n’en revient
pas, il n’en crois pas ses oreilles, il est interloqué.
- Christie, j’ai mal entendu : malheureux
devant ses tourments, abasourdi il lui presse les mains, les embrasse. Tu es
française, tu les surprendras, c’est bien.
- Je suis mal à l’aise avec eux, tu pourrais
faire un effort pour m’aider à améliorer mon anglais.
- Ne te fais pas de souci, un regard plein de
tendresse, d’amour. Tony patient cherche à décomplexer Christie.
- Je parlerai
pour deux.
- Après tout ça
mettra du piment de baragouiner l’anglais. Malgré mes efforts, je n’arrive pas
à m’améliorer : je n’ai aucun don pour les langues, et toi tu ne cherches pas à m’aider :
c’est un vrai désastre : et
Christie de nouveau effrayée à l’idée de recevoir ces anglais part dans
des lamentations sans fin. Elle qui a tant d’aplomb est prise de frayeur à la
pensée de paraître ridicule.
- Tu n’as pas à t’inquiéter ils parlent
français.
- Ca va faire des
quiproquos, leur français est si
mauvais. .
- Ne sois pas
méchante, je t’assure ils sont charmants, tu es injuste envers eux. Vois comme
tu réagis, je t’assure que tu es une sauvage.
- Je suis un peu
sauvage c’est vrai. Après tout j’ai besoin de voir du monde. Leur jardin est toujours ce fouillis bien
ordonné ? Je m’étonne qu’ils
arrivent à s’y retrouver, c’est très bien agencé, leur coin est une petite
merveille. J’admire le travail et le bon goût qu’ils mettent à cultiver leurs
légumes, leurs fleurs. J’ai remarqué, il y en a pour toutes les saisons, c’est
très étudié, comment arrivent-ils à tout faire ? Helena chaque fois me montre ses fleurs aux
noms compliqués … certes être avec eux
au milieu de leurs fleurs est un réel enchantement. Et leurs chats ? La
dernière fois il y en avait trois qui dormaient, plus un qui s’est frotté à mes
jambes, combien elle en a ?
- Cinq.
- Et, quand ils partent ?
- Les voisins
s’en chargent. Ils ont de charmants voisins.
- Ils ont de la chance, mais tu parles d’une
sinécure.
Tony ne se lasse pas de regarder Christie, ses
yeux pétillent, sa tendresse est impalpable mais Christie en est toute remuée,
elle fond littéralement. Encore quelques aspirations, quelques expirations, un
regard circulaire ils se lèvent lorsque Christie soudain se lance dans un
long discours qui n’entame en rien la patience de Tony. Elle lui prend la main
pour la énième fois, d’une pression forte l’invite à se rasseoir : comment se fait il qu’il y ait entre eux
deux, un amour si fidèle, une amitié si
profonde, une si grande tendresse, alors
qu’ils sont si différents. Christie lui montre son amour à sa façon, souvent
discrète, trop discrète peut être, un petit contacte de main, un frôlement, un
regard, un mouvement du corps. Comment se fait-il qu’il puisse y avoir ce petit
grain de sable qui fait faire des ratés à
ce magnifique assemblage que sont Christie et Tony ! Pourtant,
devant le front soucieux de Christie, Tony retient les paroles qu’il allait dire. Elle lui presse la main voyage dans
ses souvenirs. Je me souviens de gens qui se sont imprimées dans ma mémoire et
qui m’ont marqué, tu vois aujourd’hui j’ai une réminiscence de personnages hors
du commun. Je me suis trouvée un jour à la gare à la descente du train, abasourdie
je vis un homme, un africain immense, il se pliait en deux, le pauvre diable
mesurait deux mètres cinquante sans exagérer,. Curieuse comme tu me connais, je
l’ai suivi : il vivait plié !
- Tu n’exagères pas un peu
De nouveau songeuse les yeux vagues.
- Et toi ?
-
Tu continues, je sens que tu en meurs d’envie.
-
Encore dans une gare, j’étais en province, une petite gare de province, figure
toi devant moi un couple Oh ! Une lilliputienne, une minuscule jeune
fille, son mec était de taille normale il paraissait immense à coté d’elle.
Tony dis moi si je t’ennuie.
Pas du
tout, je t’écoute. J’imagine encore des choses extraordinaires Revigorée par l’intérêt
que lui porte Tony elle se lance.
- J’ai devant moi cette jeune femme : c’était
à la poste, j’attendais : une jeune femme était au guichet, elle se
retourne j’ai eu tout juste le temps d‘apercevoir des yeux d’une beauté à vous
couper le souffle. Tu ne peux pas oublier ces moments, ils te marquent. Je
revois aussi un jeune homme, une jeune femme, et j’en passe….
Tony
bien calé sur sa chaise écoute.
- De ton coté, as-tu
vécu des instants que tu n’oublies pas ? Il m’arrive de les raconter à mes
amis…j’aime les revivre… elle murmure : mais pour eux c’est différent.
Tony
méditatif devant Christie conclue, pragmatique :
- Si nous allions faire
notre promenade qu’en penses tu ? entraînée par son ami en soupirant
devant l’inévitable temps qui passe Christie se lève, confuse. Ankylosés ils se lèvent un salue au patron,
ils vont se prenant par la taille, s’enlaçant, s’embrassant goulûment.
-
Tu as vu cette résidence, viens.
Elle me rappelle une station balnéaire
avec ses balcons fleuris en espaliers. Regarde chaque balcon donne l’impression
d’être suspendu en l’air. Dans le parc serpenté par des sentiers bordés d’arbrisseaux en fleurs ils
s’assoient, enlacés. Les enfants jouent poussent des cris joyeux.. .
- Tu as vu la hauteur des tours : trente
sept étages : il doit y avoir une vue de la haut ! Tony est dubitatif
devant l’enthousiasme de Christie :
- Tu te vois monter
tous ces étages lorsqu’il y a une panne d’électricité! En ce qui me concerne je
préfère mon deuxième étage. J’aimerai tant que tu sois avec moi Christie. Quand
je suis sur les bords de la Tamise je souffre de ne pas t’avoir près de moi
pour me raconter la beauté du cite, tu sais si bien faire.
D’un pas vigoureux ils longent le
bord du canal Saint
Martin ; l’endroit est calme, quelques passants, quelques personnes sont
assises sur des bancs, des promeneurs solitaires promènent leur chien. Ils jettent
des regards vagues autour d’eux. Des péniches sont accostées, bien entretenues. Ils vont vers
les écluses, Christie curieuse court
vers la passerelle pour voir un bateau franchir l’écluse, accoudés contre le
parapet ils observent la manœuvre
délicate. Au loin, d’autres passerelles, d’autres écluses : un pécheur
lance sa ligne : l’endroit est paisible, reposant. Ils prennent leur temps
pour profiter pleinement du cite. Revigorés, d’un pas assuré ils vont prendre
le métro. Dans le brouhaha du labyrinthe du métro en pleine effervescence ils
se prennent la main pour ne pas se perdre : C’est la mauvaise heure, en jouant
des coudes, catapultés à l’intérieur, après des bousculades ils sont enfin
dedans. Par chance une place se libère : Christie s’assoit, Elle ne lit pas dans le
métro, elle regarde, elle observe. Aujourd’hui,
une famille africaine aux habits bariolées, aux coiffures très étudiées :
celles des enfants sont des petits chefs-d’œuvre d’architecture, des petits
cheveux tressés, des petits noeuds au
bout de toutes les couleurs lancés dans tous les sens sont d’une fantaisie où
les mères font preuve de beaucoup d’imagination. Un regard confiant vers
Tony un regret de ne pas l’avoir plus
souvent avec elle, autour d’elle le va et vient des gens “ Je n’arrête pas de les chercher une fois qu’ils sont descendus du
métro je ne sais pas comment et pourquoi, je les perds de vue. Ils ont disparu
comme ils ont apparu, j’en ai le
vertige. » En face un monsieur
vient de s’asseoir, prestement il déplie son journal avec l’habileté de
quelqu’un qui fait ça tous les jours. Autour d’elle des gens somnolent,
d’autres lisent. Les yeux sont fatigués par une dure journée, des bousculades,
des mains qui s’accrochent un peu partout pour garder l’équilibre, des
frôlements, des frottements, des gens agglutinés, projetés les uns sur les
autres, secoués par l’arrêt sec. Le bruit du métro assourdissant entraîne
Christie à rêver, elle pense au couple de la grande surface, cherche à
comprendre. Etrangement lorsqu’elle est entourée de monde, sa concentration est
décuplée. Elle a tout essayé pour s’en
libérer, les ballades dans Paris avec Tony , les visites à ses parents,
les voyages à Londres ne peuvent la libérer du couple de la grande surface.
Un sourire de Tony.
Tony passe son temps chez Christie. .
- Tu
attends, je descends ! Je n’en ai pas pour longtemps : lis ma
dernière nouvelle !
Le
temps gris assombrit la pièce, l’air est lourd suffocant. Appuyé contre la
fenêtre grande ouverte Tony essaie de reprendre sa respiration en
s’épongeant le front. Penché vers
l’extérieur il scrute le ciel, essaie de trouver un souffle d’air. Le temps
lourd, le manque d’air rend l’atmosphère irrespirable, un timide courant d’air
lui envoie une bouffée d’air chaud. Une vapeur monte du balcon, puis un bruit
sec de papier froissé, de grosses gouttes frappent la rambarde, Tony écoute, il
ouvre sa chemise, relâche d’un cran sa
ceinture, soupire. Une odeur âpre rentre dans la pièce. Dans un soupir
de soulagement il va s’asseoir devant le bureau de Christie la tête dans les
mains.
La première fois qu’ils se sont rencontrés, il
fut pris par son coté mystérieux un peu étrange, ses yeux brillants,
pétillants, légèrement moqueurs, cette indifférence aux choses, son rire, son
sourire séduisant diable, puis aussi cette pudeur, cette pudeur dans les
sentiments, si secrète, et avec ça cette coquetterie qui le trouble, son charme
enfin ! En ce moment il a une envie folle de la prendre dans ses bras, de la
serrer contre lui…Il la désire follement. Enervé, soucieux il retourne à la
fenêtre, soupire d’aise, respire à fond
plusieurs fois. Le bruit de la pluie sur la rambarde raisonne dans sa tête,
perdu dans ses pensées, pensif il retourne s’asseoir, murmure : Je
n’arrive pas à la cerner. Emu par
le délicat bouquet sur la table, apaisé. il va à son bureau lit sa
dernière nouvelle, c’est bien comme ça. Il lit pour la énième
fois la même page, se lève, n’arrivant pas à se concentrer, lui, si rigide sur
le maintien, si british, s’étonne du désordre de ses pensées. Il se tape sur
les cuisses : bon Dieu comment elle était habillée aujourd’hui, il se tape
le front, cherche à voir Christie dans ses habits mais il n’arrive pas à la
revoir dans ses habits. Mon Dieu, elle était si belle, tapant le sol de ses
pieds, ah ! Oui, elle avait une jupe voyons.. vert pâle, légèrement
froncée aux hanches, agrémentée d’un pantalon visible juste au bas de la jupe.
Fronçant le front Tony doit faire un autre effort pour trouver la couleur de
son t- shit, oui… il était jaune paille. il retourne à la fenêtre, jette un
regard sur les nuages immobiles, tente une respiration profonde. Dans la pièce,
il tapote les cloisons, les murs, regarde le plafond, le sol, va à la cuisine,
regarde la douche : constate : c’est bien fait « son appartement
est identique »: il passe son temps…
l’oreille aux aguets il écoute : vaguement, très vaguement un léger
bruit : c’est bien insonorisé. Pas un souffle, la chaleur
accablante malgré la fenêtre ouverte lui coupe la respiration. Il tente de
respirer plusieurs fois à fond : n’y tenant plus il va prendre une
douche.
:
Christie s’amuse à faire tinter la petite clochette accrochée à la porte en la
secouant plusieurs fois.
- Tony… ? L’oreille tendue Christie entend le
bruit de la douche : elle va faire une belle table, installer une nappe
blanc écru sur laquelle elle mettra des assiettes finement décorées, des
serviettes assorties, un délicat bouquet de fleurs des champs. Tout à été
étudié avec soin ; c’est une vraie table d’amoureux. Elle révise son menu : tomates, jambon
de parme, confit de canard : (c’est le plat préféré de Tony) au dessert, une
glace ; et sur le bord des assiettes une rose rouge vermillon.
Christie a tout prévu, elle a placé non loin de la table un petit ventilateur
pour rafraîchir l’atmosphère :
connaissant la difficulté de Tony à
vivre la chaleur.
-
Oued… Tony à pas de loup s’approche la saisit par la taille,
l’enlace, la transporte sur le divan.
Enlacés ne sachant qui est l’un qui est l’autre, transportés…
- Mon
amie je suis si maladroit, que je ne sais comment vous exprimer mes
sentiments : pathétique il se livre tout entier. Je vous aime Christie, je
voudrais vous épouser (Tony emploie la
troisième personne lorsqu’il est grave) Avec un regard pathétique, sans retenue
il lui clame son amour. Il n’a jamais été aussi grave. Je ne pourrai jamais me
détacher de vous Christie, malgré les zones d’ombre qu’il peut y avoir, je
voudrais être toujours auprès de vous. Vous êtes ma sève, mon bol d’air frais,
l’inexplicable, le mystère, le rayon de soleil de mon cœur, le merveilleux, l’espoir,
vous êtes mon diamant à l’état brut, je ne sais comment vous le dire ! Les mots sont impuissants ! Tony est
cramoisi, avec un sourire timide, il balbutie, je t’aime. Viens vivre à Londres, nous prendrons deux studios si tu
veux ! Nous pourrions aussi habiter ensemble, pourquoi pas ! Christie est émue,
elle ne comprend pas : la commotion est trop forte, elle baisse les yeux,
baisse la tête, essaie de se ressaisir. Soudain sa vie défile devant elle : si
elle voulait elle pourrait sortir de
cette obsession qui la traumatise, ôter
de sa pensée le couple de la grand surface.
La tête dans les mains, elle est loin,
très loin de Tony… son corps est pris
d’un tremblement qu’elle a peine à contrôler,
avec beaucoup d’efforts elle tente de s’expliquer, cache son visage dans
les mains de Tony, se reprend : elle voudrait se faire comprendre sans le
blesser. Le léger tremblement de ses lèvres a disparu, elle peut affronter le
regard de son ami, elle lui prend les mains se caresse la figure avec, les embrasse.
Son émotion est telle qu’elle a de la
peine à s’expliquer, à lui faire comprendre la difficulté qu’elle aurait à
vivre avec lui pour le moment. Ne plus voir le couple lui parait insupportable. Elle regarde Tony si présent, si vivant, son cœur se serre,
ses sentiments contradictoires la déroute. Elle se lève va à la fenêtre :
son refuge,
- Je ne suis pas prête pour
l’instant Tony : nous avons nos familles à Paris, je voyage avec toi, je
suis avec toi à Londres, je suis avec
toi partout où je vais, je suis avec toi dans l’avion. Et puis j’ai mon travail, mon éditeur, je t’aime Tony, je t’aime
tellement que la distance ne change rien, et, lorsque tu viens, nous sommes
heureux d’être ensemble, attendons, je ne me sens assez solide. Le temps lourd,
la pluie interrompue, l’air raréfié, la
respiration est dure. Christie le dos contre la fenêtre apparaît à contre jour
immatérielle : Tony est songeur, ses yeux la cherche dans ce contre
jour : elle lui paraît si lointaine ! Soudain pris de panique il
l’attrape de peur de la perdre : en ce moment il est prêt à faire n’importe quelle
concession…
En ce
début de matinée Tony les bras repliés
sous la tête fait d’énormes efforts pour se réveiller.
- Aujourd’hui c’est l’anniversaire de ta sœur
Clarisse ?
- Oui.
-
Comment tu t’habilles ?
- Oh ! Je met mon costume.
- Bon.
- Accompagne moi ! Ils
aimeraient tant te connaître.
- Moi aussi j’aimerais les
connaître ! Nous ne sommes pas prêts Tony, je préfère que nous
restions !en dehors de nos familles pour le moment. .
- Comme tu veux.
- Dépêche-toi, tu as vu l’heure !
D’un
bond, Tony se lève, jette un coup d’œil sur
la glace, d’un geste de main remet de l’ordre dans ses cheveux, d’un
bond il attrape Christie la serre contre lui.
- Allez, vas te doucher : Sa poigne est
ferme, il insiste troublé, d’un mouvement rageur la repousse. En deux enjambées il est dans la salle de
bain :
Aujourd’hui
c’est l’anniversaire de sa sœur Clarisse. Ses parents habitent dans le sixième, et il
lui faut bien une bonne demi heure pour
y aller.
- Vers quelle heure tu reviens.
- Je pense dix sept heures.
Qu’est ce que tu vas faire ?
- Je vais t’attendre : non je vais écrire,
nettoyer un peu, un petit ménage, tu trouveras nickel en rentrant. J’irai dire bonjour au patron de
l’épicerie en bas « il est charmant » : C’est un tunisien, jeune, bel
homme, beau, grand, et en plus très sympathique.
- Méchante, tu me rends jaloux.
Malgré le plaisir qu’il a de retrouver sa
famille il est préoccupé par l’insistance qu’elle met chaque fois à ne pas
vouloir l’accompagner. Il insiste à nouveau.
- Allez… fais un effort.
J’aimerais que tu connaisses le mari
d’Irène il te plairait, c’est un gars très ouvert, très zen, tu vois, un pince
sans rire, plein d’humour. Tu es vraiment trop sauvage, je t’assure que tu
serais bien accueillie.
Ses trois sœurs Irène l’aînée, Agathe la seconde, Clarisse
la cadette, son père, sa mère, l’attendent chaque fois impatients de retrouver
leur grand frère, leur fils.
- C’est bien
ainsi : nous aurions des contraintes : je t’assure qu’il faut
attendre qu’on soit plus raisonnable. Nous sommes trop fantaisistes pour eux.
Ils nous connaîtraient sous un mauvais jour. Sur ce elle l’attrape pour mieux le voir, s’étonne du pouvoir qu’il
a sur elle
Allez Tony vas t’habiller.
- O K. Prestement
avec l’habileté, la rapidité de quelqu’un qui va au travail Tony se présente
parfaitement vêtu devant Christie. Elle le recule, le tourne dans les tous les
sens, puis arrange sa cravate, lisse les revers de sa veste, et après l’avoir
becqueté plusieurs fois le repousse pour mieux le voir. Houé… ! Tu as
assorti ta cravate c’est bien. C’est celle que je t’ai offerte ? Ma
préférée. Christie bécote encore son ami
l’accompagne à la porte. Nous l’avons achetée en sortant d’une brasserie « après un verre de bière en trop…! Tu
te souviens ?
je cherche dans quel restaurant nous irons ce soir. Ça te plairait un restaurant à la
Bastille, tu verrais l’arsenal.
Je m’en remets à toi
Christie.
C’est
un appartement cossu dans le sixième arrondissement. Aujourd’hui la famille est
réunie pour fêter l’anniversaire de
Clarisse ? Monsieur, Madame Burton leurs trois filles Yrène, Agathe,
Clarisse et leur fils Tony offrent l’image d’une famille bourgeoise. Dans ce
duplex, le salon, belle pièce où en entrant le regard se pose sur une superbe
commode Louis XYI, au milieu, une table du même style, autour, les chaises assorties. La famille les
verres à la main entoure Clarisse : les parents de Tony sont de bons cadres. L’apéritif, le repas,
l’animation des conversations, Tony connaît ! De sa mère anglaise il a le
flegme : hors des fêtes, des anniversaires il y a toujours des chaises
vides. Le temps a passé vite, discrètement Tony se prépare à partir, accaparé
par ses sœurs il ne sait comment s’en dépêtrer.
- Tony ? Quand tu amènes Christie, on
aimerait la connaître, cachottier : C’est Clarisse l’espiègle
qui le taquine. Tony cramoisi fustige sa sœur du regard, toussote pour se
donner contenance : quelle impertinente ! Ne sachant pas quoi dire,
embarrassé il va vers ses parents pour
les saluer, mais le regard affectueux de sa mère le remet de bonne humeur.
- Excusez moi, je
dois partir, j’ai rendez-vous avec un collègue à cinq heures. La famille
unanimement lui souhaite beaucoup de bonnes choses. Accompagné des œillades de
ses démons de sœurs il part, confus.
Le
tintement des petits grelots signalent
gaiement son arrivée
- Pourrais-tu m’aider à fermer ma fermeture
éclair s’il te plait, tu te changes. Moi, je suis prête. Avec la même habileté pour s’habiller qu’il a
fait preuve le matin il se présente devant Christie, en jean, col ouvert,
chaussures de marche. Christie ébouriffe ses cheveux pour leur donner plus de
souplesse.
- Alors ?
- A Bastille. Je veux te montrer quelque
chose : c’est beau, tu en auras le souffle coupé. Voyons…
il est dix huit heures … le temps d’y aller... : nous aurons le temps de
faire un tour avant d’aller au restaurant : c’est bon : tu es bien
chaussé, on marche à Paris . j’ai rien
oublié… C’est bon. Sac au dos, un dernier regard vers la glace, quelques bisous
à Tony : Tu as des tickets ? Christie tâte ses poches entraîne Tony
vers la porte. Avec la même vélocité ils attrapent le métro. En descendant du
métro à Bastille, Tony est surpris de voir l’arsenal (le port de Paris).
- je ne m’attendais pas à ce spectacle en
descendant du métro, étonné, Tony qui ne pense qu’à Christie l’attrape pour la
prendre dans ses bras, mais trouvant inconvenant dans le métro il lui file un
baiser discret. ils n’entendent pas le bruit des pas derrière eux, Christie le prend par le bras, l’amène vers
la sortie.
-
Attention où tu mets les pieds. Tu vas voir un spectacle très beau. Depuis qu’ils se sont
entendus sur leur façon d’envisager de vivre tout est devenu simple pour
eux. Ils descendent à vive allure les
escaliers en direction des quais. Ils longent les quais, admirent les bateaux,
imaginent leur vie sur le fleuve. Vainement ils essaient d’apercevoir les
habitants à travers les hublots. Un peu partout les lampes s’allument,
éclairent les intérieurs. Discrètement
ils regardent. Tony entoure Christie de
ses bras, échafaude des histoires rocambolesques qui font voyager Christie. Ils
rêvent de partir, se posent mille questions, et déclarent d’un commun accord
qu’ils aimeraient vivre sur un bateaux. Un léger clapotis rompt le silence, une rumeur lointaine sourde , Paris, un
frémissement d’eau, un doux roulis. Dans leurs yeux ils vivent de grandes aventures.
- Tu ne trouves pas impressionnant cette vie si
différente de la notre.
- J’ai
de la peine à me l’imaginer.
- Peut
être pourrions nous en louer un, Ca me donne envie j’aimerais essayer et
toi ? On pourrait se
renseigner !
- Ce n’est pas dans nos moyens. .
- Il faudra se renseigner, regarde celui
là comme il est beau ; j’aimerais faire une croisière avec. Dans un soupir de découragement elle
regarde ces bateaux de rêves… Arrivés au bout du quai ils franchissent un
passage interdit pour aller sur le bord de la Seine.
Au
loin, Notre Dame s’élance vers le ciel ;
elle rayonne magnifique dans la pénombre du coucher du soleil.
- Regarde ! elle prend tout le
ciel : j’avais envie de te montrer Notre Dame, je voulais qu’on la voit
ensemble. Ce soir tu verras le
magnifique éclairage. subtilement éclairée rayonne dans le ciel. Tony serre
Christie contre lui, l’amène vers un banc. Christie
rompt le silence la première.
- C’est un endroit isolé qu’il faut
trouver. Regarde l’éclairage comme il est beau, tout est en demi teinte,
en harmonie. L’éclairage de Paris m’émerveille toujours. Ce sont de grands
professionnels, des artistes !
-
A Londres aussi tu verrais de
belles choses.
- Je
n’en doute pas.
-
C’est sainte Geneviève là bas ?
- Oui, partout dans nos voyages j’ai pu
admirer les éclairages. C’est un beau
métier : Christie hoche la tête pour ponctuer sa pensée.
: Ils
respirent la douce brise, Christie
semble ne plus avoir le souci quasi permanent du couple de la grande surface
lorsque soudain sans que rien ne laisse prévoir Tony s’emballe et se met à
critiquer l’idée saugrenue de Christie pour ce couple.
- Ecoute : arrête ton histoire de couple,
tu vas tomber malade, sois sensée, enfin ! C’est une histoire
abracadabrante, qu’est ce que tu veux en faire… Christie est pétrifiée,
littéralement sans voix, elle lui murmure : ne recommence pas. En ce
moment Tony est le plus malheureux des hommes, il ne sait pas comment se faire
pardonner, la tête baissée il est sous le choc.
- Je ne voulais pas
t’offenser. Je t’aime tellement ; pardonne moi, je cherchai à t’aider.
- Je
dois faire face à mes problèmes, seule. Tu ne me connais pas
vraiment. Ma nature est
positive, je m’en sortirai, ne crains rien
CHAPITRE 9
Un bruit métallique, un
clapotis léger caresse les flancs des
bateaux, le chatoiement, le miroitement de l’eau réfléchissent les formes et
les lumières c’est ce que Thomas voit les yeux rivés sur l’eau. La lumière
aveuglante du port de Marseille lui fait cligner les yeux.. Les mains en
visière pour mieux voir, aveuglé par la trop grande luminosité Thomas furète,
déambule sur le bitume, cherche un copain. Après plusieurs allez et venues, et
après un moment d’hésitation il va s’asseoir sur une borne. L’agitation de
l’eau, le balancement des bateaux, les bruits lointains, sourds, les
crissements des drapeaux, les voix
chaudes des hommes lui donnent envie de rester : Il veut être pécheur,
mais son « cher petit papa comme il l’appelle» veut faire de lui un
lettré. La tête dans les mains il entend ses parents : Manou tu devras le conseiller, toi, il t’écoutera.
Il n’est pas pensable qu’il soit routier avec une musculature si fine, et un si
beau visage ! Tu m’as fait des enfants trop beaux Manou, Tout est délicat chez lui, sa
musculature n’a rien à voir avec la mienne. Il a un visage d’ange. Il est
tellement beau que j’en ai le cœur serré. Il te ressemble Manou, il ressemble
beaucoup à Marie aussi ! Moi j’aimerais qu’il soit un lettré… Manou
le regarde avec malice :
-
Et, tant que tu y es !
Pourquoi ne serait il pas… président de
la république aussi ? Pourquoi pas. Et puis qui te dit qu’il veut
être routier, ce n’est pas son désir non plus, je pense.
- Ne
ris pas amie ! Il aura toutes les femmes ; je suis sûr qu’il a du succès auprès des
filles. C’est un trop beau garçon grand,
bien bâti : ce qui me tracasse, comment t’expliquer… c’est sa retenue… tu
ne le trouves pas timide ?
- Peut
être, c’est un garçon il ne se confie pas.
- Ah ! Vois-tu, j’aurais préféré qu’il soit
plus commun. Marie est belle aussi mais si en retrait qu’il faut être un
connaisseur pour la remarquer, son délicat visage fait penser aux vierges de
Botticelli. Tu m’as fait de trop beaux enfants Manou, j’ai peur. Maintenant
Thomas doit faire un bon choix ; ça vie en dépend. Il faut qu’il ait une
situation faite pour lui, pour sa sensibilité, sa délicatesse, son
intelligence : comme Marie il est trop secret ... je le trouve bien
effacé…il faut des yeux exercé à la beauté, des connaisseurs pour les remarquer
tous les deux, la beauté de l’âme est invisible… Toi Manou c’est ton rôle
de voir, de prévoir tout ce qui peut arriver : ne sois pas surprise par ce
que je te dis.
-
Surprise ! ça tu peux dire
que je suis surprise. Tu caches bien ton
jeu, toi, mon homme, noueux, dur comme du béton, dur au travail. Regardez moi
ce tas de muscles placé là où il faut, se transformer en ce délicat personnage…
Je suis ébahie, ça tu peux le dire, il faut qu’il y ait nos enfants pour qu’on
se connaisse. Elle le contrefait. Ah ! Tu m’as fait de beaux enfants…ce
délicat visage fait penser aux vierges de Botticelli. Son regard, Manou, c’est
le regard d’un ange. : Vois tu Igor, tu es entouré de gros tas de
muscles de ton genre, alors tu ne vois pas tes enfants tels qu’ils sont :
Thomas n’a rien d’un ange, c’est un beau garçon je l’admets, sûr qu’on pourrait
fonder des espoirs. Maintenant il est grand, c’est à lui de choisir, tu
comprends ! Les parents ont des ambitions qui ne correspondent pas à celles de
leurs enfants, qu’ils soient heureux c’est notre souhait.
Il
était puéril, naïf ! Et en se remémorant cette scène il est encore tout retourné. Ce jour là sa vie a
basculé, il se revoit montant les escaliers à toute allure, poussé par une
jalousie féroce qu’il ne soupçonnait pas, blessé dans son cœur, découvrant
qu’il n’est pas le seul détenteur de l’amour de sa mère, qu’il n’est pas le
centre de la maison. Abandonné, désespéré, en retenant ses larmes il est allé
se cacher dans sa chambre.
Un regard lointain sur les bateaux, pensif,
isolé, il a de la peine à comprendre cette tragédie qui l’a fait basculé de
l’adolescence à l’âge adulte. Ce jour là il s’est fait une carapace qu’il
gardera toute sa vie ; se promettant que, seul, désormais il gérerait sa vie. Les vagues doucement clapotent dans
ses yeux, ses yeux ont la nuance de l’eau la douceur de la brise. Il caresse
l’endroit, l’endroit encore lointain où personne ne l’empêchera d’aller. Dans
peu de temps il aura dix sept ans :
il vient d’avoir son bac, un bac dont il n’a rien à faire, pourquoi un bac
quand on veut être pécheur ! La tête levée il regarde sans voir autour de
lui, pensif. Ce retour en arrière l’a ému, il doit faire des efforts, se
secouer pour retrouver la vigueur qui le
caractérise lorsqu’il est là, sur le port de Marseille. Il aimerait bien
trouver son copain Paul. Il s’approche
du bord, s’approche des laborieux pêcheurs prompts à réparer les filets. Enervé
il déambule aux alentours, puis décide enfin de partir. Le besoin de se confier
le taraude. Timide, maladroit devant les filles qui le cherchent, il ne sait pas quoi faire, aussi il aime en parler à son
copain Paul. Sa première cigarette l’a
écœuré, pris d’une quinte de toux qui a failli l’étouffer il s’est arrêté.
Quelquefois les filles l’arrêtent mais devant leur audace il file, confus,
accélère le pas en rougissant, tout malheureux, insatisfait. Aujourd’hui ne
trouvant pas son copain il va à la recherche de Mathieu. : il a connu Mathieu dans un petit port de pêche voisin de Marseille. Mathieu est un ami depuis longtemps, il le
rencontre parfois sur le port de Marseille. Il est pêcheur, fort d’une grande
expérience il représente pour Thomas le pêcheur tel qu’il l’entend ;
Thomas le rencontre dans le petit port à coté de Marseille et, lorsqu’il traîne
autour des bateaux. Mathieu parle du
métier, de ses aventures, lui explique la dureté du travail, les durs moments
sous les tempêtes, les creux des vagues
où on croit ne plus revoir le ciel : il cherche à intéresser Thomas qui
l’écoute, bouche bée. : Mathieu est un pêcheur bien bâti avec de larges
épaules, musclé, hâlé, ridé par le vent,
le soleil du grand large. Son visage expressif, ses yeux bleus rapetissés par
les embruns, son corps solide, sa
démarche lente, son assurance tranquille, Mathieu est tout à fait le type
d’homme que Thomas aimerait être ! Et pour Thomas il faut être pêcheur
pour acquérir toutes ces qualités. Déjà
il apprend le métier en écoutant Mathieu, cet homme qu’il admire. Il écoute
religieusement ses aventures, rêve d’être comme lui, libre, solide, fier,
vaillant, dur.
Mélancolique, il jette un regard autour de
lui, déçu. Mais aujourd’hui est un jour
néfaste, les choses se liguent contre lui pour le contrarier, et il a beau regarder, et regarder il n’y a ni
Mathieu, ni son copain Paul. Je vais
aller à Paris voir Marie, je discuterai
de mes projets avec elle … Il jette
un dernier regard sur les bateaux amarrés le long du quai, se dépêche
pour aller faire un tour aux calanques. Il ramènera à sa mère des crevettes, des crabes, des coquillages..
Rentré chez lui, grincheux, Thomas tourne en rond, la faim le tenaille :
comment faire pour aller au frigidaire sans être remarqué. Penché sur la rampe
de l’escalier il tend l’oreille, tente d’apercevoir la silhouette de sa mère,
il descend une marche, la remonte, puis dévale l’escalier à toute allure :
le grand air lui a ouvert l’appétit. Il remonte dans sa chambre, s’étend sur
son lit pour écouter sa musique préférée. Goulûment il mord dans son
sandwich, manque de s’étouffer, se
relève mécontent. Au bout d’un moment n’y tenant plus il redescend les marches.
- Maman ?
- Oui ?
- Paul est venu ?
- Non.
Il y a
une trotte d’un kilomètre par des sentiers abruptes pour aller chez Paul, aussi
Thomas l’appelle avant d’aller chez lui. Paul est un bon copain, tranquille et
paisible qui passe des examens pour
faire un travail de bureau
stable, rentrer chez lui à heures fixes tous les jours, enfin, une vie quiète,
sans surprises. Il cherche à calmer les ardeurs de Thomas, trouve bizarre son
goût pour la pêche.
Il
prend son portable.
- Paul ? J’ai besoin de te parler :
ça ne te dérange pas trop ; je suis dans de sérieux problèmes en ce
moment, je dois prendre une décision.
- Viens
quand tu veux, je suis à la maison.
-
J’arrive . Dans le chemin sinueux qui l’amène chez Paul Thomas marche, fougueux, emporté par sa passion il enjambe les obstacles sans les
voir. Devant la porte il reprend sa
respiration, se prépare, pour lui annoncer la nouvelle pour la quantième
fois, et chaque fois, car ce sont les mêmes questions… ! les mêmes
réponses… ! Rajustant ses habits
en désordre il frappe à la porte ; prenant un air désinvolte devant son
ami Paul autant qu’il peut en lui tapant sur l’épaule
Thomas
s’affale sur une chaise épuisé ferme les yeux un instant, pousse un long soupir
pour évacuer ses problèmes, Paul, j’ai des raisons d’être tracassé ;
tu sais quelle est ma décision : je veux être pêcheur. Pour mon père c’est hors
de question, ma mère est plus coule, elle sera avec moi.
-
Eh ! bien alors de quoi tu te plains ! C’est ta mère qui aura le dernier mot :
les mères comprennent mieux leurs enfants . Tu te bats contre qui ? Alors.
- j’avais besoin de t’en parler, mon tourment
c’est l’idée de leur annoncer . Je vais en parler à ma sœur : qu’en dis
tu ?
- En
effet, elle sera un lien entre toi et
ton père que tu crains. : Paul,
garçon fluet à peine sorti de l’adolescence se campe devant son copain,
l’observe avec un sérieux qu’on ne soupçonnerait pas chez un si jeune garçon, le jauge un moment,
puis avec un geste d’énervement lui
déclare tout bonnement qu’il doit se comporter comme homme, car la vie d’un
pêcheur est faite pour les vrais hommes, durs. Et puis tu es majeur, fais à ta
guise.
- Tu
as raison, excuse moi, c’est trop bête, je suis entrain de me comporter comme
un gamin. : sur ce il se lève, attrape
le trophée du match de football de fin d’année gagné avec les
copains puis retrouve son entrain. On l’a bien mérité celui là : Avec
fougue ils analysent, décortiquent le match dans des explications savantes sur
le match de football de fin d’année.
- Ma
décision est prise, j’arrête mes études. Comment annoncer à mes parents que je
veux être pêcheur ? Quelle déception pour eux, ils en sont tellement
loin ! Je ne sais pas comment faire, tu as une idée ? Et Thomas
rabâche la même histoire.
- Eh bien, tu leur dis tout simplement je veux être un pêcheur du grand
large. C’est ce que tu veux ? Alors fonce !
- Je vais aller voir ma sœur, elle arrangera
ça.
- Tu
es sûr de toi Thomas.
- Oui
- Méfie toi tout de même : c’est un dur
métier.
- Je l’apprendrai sur le tas. Je connais une
école payante : il n’en n’est pas
question, je n’aime pas les études. Je connais quelqu’un qui me l’apprendra.
J’aimerai ce travail, je le sais. Je sais aussi que je décevrai mes parents,
surtout mon père qui a des ambitions pour moi, il voudrais que j’ai un bon
bagage pour être ingénieur, ou autre chose, ou qui sait quoi ! Fier de son
fils devant ses amis. : un ingénieur, ça le monterait tu vois, moi j’en ai rien à cirer.
- Oui, mais les
bateaux que tu vois, qui se balancent joliment, c’est bien beau ! Ils sont
amarrés, quand tu seras sous les
tempêtes avec des vagues géantes qui recouvriront le bateau qui se fracassera dans les flots, ou contre des
rochers : quand tu auras froid au point de ne plus sentir tes mains, ne
plus pouvoir bouger, tu verras ! Ce sera l’enfer que tu vivras !
- Tu es
un bon et généreux ami Paul. Mais il y a
en moi une volonté farouche que rien n’arrêtera. Mon ami Mathieu est
bien portant, bien vivant, alors ! J’aimerais que tu le vois, je te le présenterai. Imagine un homme hâlé,
un visage où tu lis des milliers d’aventures, et sa masse de muscles. Quand on
le voit, on a envie de l’aborder pour lui
parler. Sa démarche est assurée, calme, lente : tu vois Paul ! C’est
ce que je veux être, je veux avoir sa paix, son calme, sa sagesse, tu me
comprends ? Si un jour tu le vois,
parle lui de moi,
- Comment veux tu
que je le vois ! Paul regarde la fine musculature de Thomas, l’élégant
jeune homme, songeur, il se demande s’il doit continuer à l’encourager :
tu es sur de toi, réfléchis, ne te jette pas dans cette aventure. J’aimerais
bien voir Mathieu, comment je vais le reconnaître.
- Ce n’est pas un problème, dans le petit
port, un jour tu le verras sur les quais...je ne peux pas t’indiquer le jour,
ce n’est pas régulier. Son bateau s’appelle « les matins joyeux » Je
ne sais pas ! Je ne peux pas te donner un jour, ça dépend du temps, tu
comprends ! Son bateau est le
troisième.
Allez,
bay.
De retour chez lui,
en catimini il monte les escaliers, sans bruit rentre dans sa chambre avec
un désir de silence et de calme. Assis
sur son lit, la tête dans ses mains il pense à Paul. Enervé il se lève fait
quelques pas, prend son baladeur s’installe à nouveau sur son lit, mais ne
tenant pas en place, d’un bon il se lève, dévale les escaliers à toute allure,
s’arrête net, fait demi tour, les
remonte aussi vite.
- Allo ? Marie ! : Ah ! Personne.
Ce voyage à Paris il y pense depuis longtemps. L’argent durement gagné par ses parents lui a
appris à être économe. Tout l’argent que lui donnaient ses parents ses grands
parents au moment des fêtes, il l’a économisé. Pensif, il revoit les réunions
de famille avec ses grands parents. « J’ai
pas mal d’argent après tout : ce
sera mon voyage : il
est loin le moment où il allait à Paris avec sa mère en trottinant près
d’elle comme il pouvait.
- Allô ? Marie.
- Thomas! Toutes mes
félicitations ; j’allais justement t’appeler.
- Ca va ?
- Ca va.
Et toi ? Et les parents ?
- Bien, tout le monde va bien. J’aimerais venir
vous voir.
- Quand tu veux.
- Tu as des vacances bientôt ?
- Dans quinze jours. . Maman est au courant ?
- Non pas encore.
- Quel bonheur de
t’entendre, je pense très souvent à vous tous.
- Théo ?
- Il n’est pas
encore rentré.
La conversation avec sa sœur l’a encouragé. Sa
mère l’intimide, il est ému par cette belle femme, jeune encore, belle, douce,
vaillante ; Thomas est encore sous l’influence de sa mère . justement
il veut faire face à ses propres valeurs et évacuer la douce emprise «
croit il » de sa mère. Il s’entend
dire : tu es si belle maman que jamais je ne pourrai trouver une femme
t’égaler, et chaque fois elle répond : quel petit sot tu fais, puis ponctué
d’un petit haussement d’épaule elle le renvoie. (Dans le fond elle est très
touchée par ce compliment) Pensif, le portable dans sa main, perplexe, il
descend. Thomas d’un air détaché demande à sa mère ce qu’elle fait, puis va se
laver les mains, s’approche d’elle pour l’embrasser.
.
- J’ai téléphoné à
Marie, je pense aller la voir pour les vacances, dans une quinzaine.
- Bien,
tu me diras ce qu’il te faut.
- Je pourrais t’aider ? :
- Non, merci
Vive,
svelte elle court partout maman d’une
pièce à l’autre : la cuisine étant sa
pièce de prédilection. Elle aime préparer ses petits plats bien à elle
et jamais elle n’est aussi heureuse que lorsqu’elle les voit dit-elle :
dévorer goulûment. De temps en temps pourtant elle ronchonne entre ses
dents : tout de même ils pourraient me faire un compliment
- J’y réfléchirai, merci.
- Elle est en
vacances ?
- Dans quinze
jours.
-. Elle va bien ?
- Elle a l’air en forme.
- Ca me fait
plaisir que tu vois ta sœur. Si tu savais comme je me languis de ne pas aller
la voir. Comment convaincre ton père,
son travail de chauffeur routier est fatigant, aussi lorsqu’il est là il ne
souhaite que retrouver sa vie de
famille. Parles en à ton père ; il t’écoutera peut-être ! Bâ… tu me
secoues, il rentre la semaine prochaine : ton exemple va peut être le
stimuler. Tu sais, lorsqu’il est là, c’est la pétanque avec les copains,
comment veux tu l’enlever de ça ! Je me languis de ta sœur. Elle vient
bien sur, mais c’est pas ça Thomas, c’est pas ça : comme ça tu me donneras
de ses nouvelles toutes fraîches. Ton
départ me réjouit, Marie me
tracasse elle est si fragile si
sensible, trop fine, trop douce. Je
crains qu’elle ne se fasse avoir un jour, elle est si naïve, si crédule. Cette
grande ville n’est pas faite pour elle, j’ai peur. Théo est solide lui.
- Que veux tu qu’il lui
arrive maman ?
- Tant de choses peuvent arriver…
- Théo est très amoureux aussi.
- c’est vrai.
CHAPITRE 10
Un espace avec des panneaux d’affichages, des escaliers,
des escalators, des entrées des sorties, plus loin des espaces réservés aux
voyageurs, des guichets, une immense ferraille bien organisé, c’est la gare :
lieu impersonnel où Thomas est projeté
seul. Il suit les indications avec
application, hésite puis s’engage vers l’escalator qui le projette une fois de
plus sur une plate forme où il va franchir l’espace qui le mène sur le
quai
Thomas planté
devant le panneau d’affichage attend, jette un regard sur sa montre se
félicite d’être en avance. Dans le
hall (c’est si nouveau pour lui)
curieux, avec cran il s’adapte à sa
nouvelle situation. Des kiosques à journaux, des marchands de
sandwichs, de boissons. Thomas respire un bon coup, car contrairement à son
apparence il est angoissé par ce mouvement inhabituel. Plusieurs fois il lit le
panneau d’affichage et encore le panneau d’affichage pour être bien sur de ne
pas se tromper. Quelques pas vers une devanture, puis vers une autre, Il
cherche dans le kiosque à journaux,
feuillette un livre, regarde les plans de Paris, tout compte fait en achète un.
Depuis toujours il a appris à être économe, comprenant le travail, la peine
qu’ont eu ses parents à gagner leur vie.
Thomas n’est pas attiré par tout ce qui s’offre à lui, il regarde, tourne dans
cet espace remuant et bruyant se faufile au milieu de gens encombrés de leur bagages,et découvre avec curiosité toute la
panoplie d’une gare. Encore un regard sur le panneau d’affichage, Il a encore
un bon quart d’heure devant lui. De son sac pendent ses chaussures, une allure
décontracté, des regards curieux, Thomas prend de l’importance. Protégé jusque
là par ses parents il n’avait pas
réalisé qu’il avait une propre existence. Il jette des regards autour de lui,
des regards sérieux. Des jeunes assis par
terre sur leurs sacs, des groupes, des familles avec leurs enfants, des hommes
et des femmes seuls. Il regarde les filles : des regards entendus Thomas
devant cette audace sent le rouge lui monter aux joues. Il scotche son regard
sur elles, encore plus troublé ! Il se tourne. Entouré de toute cette
agitation il cherche un coin pour se réfugier, finalement il s’appuie contre la
balustrade de l’escalier qui mène au métro. Le regard dans le vague il se
revoit petit enfant avec ses parents, pense à ses calanques… Il doit faire un effort pour
sortir de cette torpeur qui l’envahit, le projette dans son enfance où il était
protégé par sa mère son père. Il regarde
autour vaguement, retrouve les moments où il avait sa main dans celle de sa
sœur, pousse un profond soupir. Il cherche à s’échapper de cet endroit froid,
sévère. Paris l’effraie, il pense au copain en vacance chez sa grand-mère qu’il
retrouvera. Quelques pas vers un groupe de jeunes, intimidé il fait une volte
face regarde le panneau d’affichage une nouvelle fois ! Un bruit de voix
incompréhensibles : c’est l’annonce de son train.. Avec un soupir de
soulagement il se dirige quai quatre.
Jette un dernier coup d’œil sur ces jeunes freluquets aux regards insolents qui
n’arrêtent pas de le reluquer. Il a bien oblitéré son billet, retrouvé son
numéro de wagon, le numéro de sa place. Rétréci il va dans cette masse de
ferraille. Il précipite son allure, tâte ses poches. La bousculade dans le
couloir, les mains tendues vers les
portes bagages, le frôlement des gens qui passent, Thomas n’est pas habitué.
Il est grave, attentif, poli, prêt
à rendre service. Embarrassé il descend sur le quai, regarde les voyageurs
nerveux accompagnés de parents ou d’amis. Afin de se donner une bonne
contenance ses mains dans les poches il
fait quelques pas le long du quai.
C’est son
première voyage, seul. Il regarde les allées et venues des voyageurs,
tout ce monde soucieux de prendre son train : les mains poussent les
valises les soulèvent, avec peine les hissent à l’intérieur du train. Le
contrôleur observe, renseigne, vient en aide aux voyageurs étourdis. Thomas
retourne à sa place, aide à placer la valise d’une dame puis s’assoit, grave : il a pris conscience de l’existence des autres.
Le train
avale les kilomètres. La tête appuyée
contre l’appui tête il regarde le paysage curieux,. Il voudrait lutter contre
une léthargie qui l’envahit. Bercé par le bruit lancinant, le léger mouvement
du train, il tombe dans une apathie, une somnolence qui l’amènent dans des rêves où son père sa mère, sa sœur
l’entourent. Il meurt doucement.
Ces
parents se sont privés afin de payer les études à leurs enfants, une vie sans
problèmes... Marie studieuse réussissait, lui rêvait. Depuis toujours la mer
l’attire et aux fils des années en côtoyant les hommes de la mer il s’est pris
de passion pour ce métier : qu’importe tous les désagréments. Son grand
tourment est de l’annoncer à ses
parents. Il entend son ami Paul, Eh bien ! Tu leur diras tout de go : je
serai pêcheur : c’est mon futur métier, et tu insisteras.
Ce besoin
inextricable de vouloir aller sur un bateau vers les mers lointaines pêcher de
gros poissons est une vocation. Se réveillant de sa torpeur il voit le paysage
défiler. Les mains posées sur son livre il se rendort, et dans son rêve il est
un petit enfant entouré de son père, de sa mère, de sa sœur : une
sensation de bien être infini, une mort douce vers un sommeil profond.
-
Théo, pourrais tu me dire l’heure s’il te plait ?
- 16 heures
-
Merci
- Pourquoi tu t’énerves ? Théo regarde
Marie qui n’arrête pas de bouger dans tous les sens, elle est sous pression,
enfin elle s’arrête.
- Tu ne trouves pas sa lettre bizarre. Théo son journal dans les mains n’aime pas
être dérangé quand il lit.
-
Quelle lettre ?
- De
mon frère.
- Non ? Marie hausse les épaules puis
retourne à ses occupations.
- Tu
veux que je te la relise.
- Non !! Tu l’as lue déjà plusieurs fois, je la connais
par cœur. Je ne te comprends pas, qu’est-ce qu’il y a de curieux ? Ton
frère vient, un point c’est tout.
- Je
ne m’inquiète pas, au fond…
Tout est
prêt pour l’arrivée de Thomas. Marie a choisi sa plus belle robe puis un petit
collier assorti pour compléter.
Perturbée. Elle veut être belle pour accueillir son frère. Après s’être
regardée dans tous les sens, plusieurs fois en se tournant se retournant,
de dos, de face, jamais contente elle
arrange ses cheveux puis va chercher l’agrément de Théo.
Les quais
sont encombrés : des bagages partout jonchent le sol. Le panneau
d’affichage indique qu’il y a un quart
d’heure de retard ce qui lui permet d’aller s’asseoir sur une banquette où elle a pisté une place. Un
regard autour d’elle Marie a des pensées
décousues elle se demande ce qu’elle va dire à son frère : un frère
souvent absent quant elle va chez les parents. La dernière fois, il l’avait
impressionnée par sa grande taille, son visage d’archange. Elle fait ses
calculs : ce n’est pas si loin... Le temps lui parait interminable. Marie
d’habitude si paisible s’énerve.
- Au moins
si Théo était là... Elle tend l’oreille, écoute l’annonce du train. Cherche un
endroit pour être vue.
Au loin un
grand jeune homme apparaît.
- Thomas ! Le contact est gauche,
timide, discret. Marie est étonnée
d’avoir un frère si beau. Il a fallu si peu de temps pour faire de lui un
homme, un superbe jeune homme, avec de beaux traits d’homme où la nature a
réussi un chef d’œuvre de
délicatesse. Marie reste ébahie, muette devant son frère. Toute troublée elle
n’ose pas le regarder. Elle baisse les yeux devant ce beau jeune homme qu’elle
reconnaît à peine. Thomas est peu démonstratif devant sa grande sœur son
visage parle, un gentil regard, un sourire l’illumine. Il attrape Marie par le bras : c’est sa façon de
lui montrer son affection.
- Tu as fait un bon voyage, c’était pas trop
long ?
- Non. .
- C’est bon que tu sois là.
- Tu vois ce
guide : il lui montre le guide de Paris ; je me suis documenté,
je me suis fait une petite idée des monuments que j’aimerai voir, nous verrons
ensembles, tu m’indiqueras.
- Nous avons le temps Marie attrape son frère,
l’entraîne.
Ils sont
semblables tous les deux, beaux, beaux comme des anges. Devant son frère
Marie est transformée, embellie, le saisissant par le bras elle l’entraîne
fière d’avoir son grand frère sous son aile protectrice. La foule est dense,
les gens traînent leurs valises, d’autres attendent droits
comme des piquets, leurs parents, leurs amis. Ils doivent se faufiler :
Thomas est étourdi par le monde. La
fourmilière humaine sur le parvis s’éparpille dans tous les sens,
pressée. C’est une débauche de monde qui marche vers sa destination.
Discrètement il regarde Marie.
Oh ! Marie, comme tu ressembles à Maman !
Catapulté
sur le trottoir de Paris, avec de longues enjambés il entraîne sa sœur Marie.
- Thomas tu pourrais ralentir un peu s’il te
plait ! Elle le saisit par le bras l’oblige à ralentir : Thomas est absent il pense à
son histoire : expliquer qu’il veut être pêcheur. Il est soucieux Enfin il aperçoit sa sœur.
- Marie, tu as de beaux cheveux.
- Tu les trouves beaux ! Ils n’ont pas
changé ! Intimidé, ne sachant pas quoi dire il renouvelle ses compliments sur ses cheveux. Tu as de très
beaux cheveux Marie, leur couleur est ravissante. Thomas confus rougit de nouveau, détourne la tête.
-
Marie… Il entend son père ( tu m’as fais de beaux enfants Manou,
ils sont beaux comme des anges ) machinalement il glisse ses doigts sur son
front, sur les délicates pommettes, les glissent sur les narines puis la bouche
ourlée, superbe, les joues légèrement creuses, le menton accusé. Le mouvement
bruyant de la rue, les autobus bondés qui passent, s’arrêtent , il est mal à l’aise
Dégingandé à l’arrêt de l’autobus, dans un soupir qui en dit long sur son
problème, il regarde autour.
Ils sont
étrangers, le frère et la sœur doivent faire connaissance.
-
Les parents ?
- Maman s’ennuie de toi : le père absent... : son métier de routier
Dans le métro après un coude à coude pour se
frayer un passage Thomas s’enhardit et regarde les jeunes filles souvent très
jeunes, seules ou bien accompagnées d’amoureux, de copains, de copines,
certaines lui jettent des coups d’œils hardis, furtifs, le frôlent, d’autres
avec audace lui caressent la main, les yeux se troublent…
- Pardon
: Thomas rougit, il est nigaud. Confus
il tourne la tête d’un quart de tour.
Les corps se touchent, il fait chaud, mal à l’aise il fixe Marie.
- Encore trois stations, et nous y sommes. Ils
sont si beaux le frère et la sœur si ressemblants qu’ils attirent l’attention.
Sans trace d’orgueil, nulle trace ostentatoire, une tenue discrète, timide. Ils
sont si merveilleusement beaux qu’on les croirait venus d’un autre monde..
En quelques pas Thomas a parcouru la pièce. .
- Tiens, voilà où tu vas dormir, c’est bon tu
verras : Tu as de la place dans l’armoire, regarde, tu t’arranges. Moi, je
descends faire des achats en bas, j’en ai pour peu de temps. Ah!
J’oubliais : voilà la clef de l’appartement, fais y attention, et aussi mon numéro de portable.
Tu m’appelles si tu as un problème. Prends une douche Thomas : c’est bon ?
-
Oui.
Planté
dans la pièce Thomas ne sait quoi faire de son corps, le cœur gros, une
impression d’emprisonnement, un sentiment d’abandon une inquiétude d’être seul,
là, dans ce une pièce. Devant lui, des blocs, et encore des blocs… quelques pas
dans la pièce Thomas se sent étriqué, il étouffe, retourne à la fenêtre,
cherche, se penche encore et encore, des blocs et encore des blocs, devant lui
ce décor inhabituel. Avec mélancolie Thomas pense à ses mouettes, à la mer,
les horizons lointains... En face des
pigeons virevoltent, il les suit du
regard : peut être faudrait il penser à vider son sac, il est sans énergie, et maintenant il faut expliquer à
Marie qu’il veut être pécheur. C’est si impensable pour eux ! Il ne
faiblira pas, tant être pécheur est sa substance même. Quoiqu’on puisse lui
dire ou penser aucun argument ne saura le détourner de sa voie, c’est inscrit depuis toujours dans sa
vie. Thomas réalise soudain qu’il va falloir s’expliquer. Agacé, énervé il
range ses affaires. Il à de la peine à respirer, étranger aux subtiles
attentions de sa sœur il respire
profondément le petit courant d’air. Il regarde les photos posées sur une
étagère tout surpris. Cela lui semble bizarre, il saisit une photo qu’il
approche de ses yeux pour mieux la voir,
ému devant le beau petit garçon devant sa sœur, son père sa mère, attendri il
ne voit pas le temps passer, des souvenirs devant ces personnes qu’il reconnaît
à peine, incrédule il découvre ses parents, sa sœur et un petit bambin, lui.
Attendri, la photo dans la main, c’est si loin ! Il a de la peine à se reconnaître, à
reconnaître sa sœur, ses parents ! Emu, il s’assoit la photo dans sa main,
fatigué, perdu dans ses pensées il n’entend pas Théo entrer.
- Alors Thomas ! Une vive accolade, quelques tapes
amicales, comment ça va vieux.;
C’est un choc, il
est vrai que quelques mois ont transformé Thomas ! Le
changement est bouleversant. Thomas dépasse Théo maintenant. Théo réprime
une gêne devant ce beau jeune homme. Ils
se saluent à nouveaux avec une accolade amicale et virile, recommence un,
comment ça va ? Puis c’est le silence, maladroits ils ne savent pas
comment enchaîner.
- Toutes mes félicitations Thomas, tu as réussi
ton bac avec mention, c’est bien. Thomas retrouve Théo comme il l’a
toujours connu pas très causant, mais avec plus de sérieux, moins de
spontanéité, une retenue dans les gestes, les mots. Ils ne savent pas comment
faire, ils sont gauches. C’est une
épreuve pour Théo : les retrouvailles ne sont pas faciles : il
aimerait bien que Marie soit là.
- Tu t’es inscrit dans une école ?
- Non, mais je sais ce que je veux faire ;
je ne veux pas m’inscrire dans une école. Je veux être pêcheur sans passer par
une école. J’arrête les études. Le brave Théo est abasourdi, mais ne le fait
pas paraître : ça colle si peu avec le personnage !
- Tu connais le travail ?
C’est vrai, c’est une belle aventure.
J’ai lu des livres sur la vie des pêcheurs. Leur vie est difficile mais
passionnante. Tu ne crains pas la dureté du travail ?
- Non, tout le monde m’en parle, mon ami Paul
me rabâche les mêmes choses. Maintenant les bateaux ne sont plus les
mêmes !
- Marie est au courant ?
- Non.
- Tes parents ?
- Non plus ;
Je crains de les blesser, ils sont de la dernière mode tu sais, pour eux être
pécheur c’est aller à une mort certaine. Tu comprends bien, la vie d’un pêcheur
est différente de ce qu’elle était ! Théo le brave à de la difficulté
devant le beau jeune homme qu’est Thomas à l’imaginer pêcheur. Avec l’aide de
Marie il sera convaincant mais pour le moment il reste prudent. Il lui aurait
dit astronaute qu’il n’aurait pas été beaucoup plus surpris. Il aime trop
Thomas pour le contrarier, et puis sa nature est si peu contrariante, après
tout pêcheur… ! C’est le vent, la tempête, les grosses vagues, les
embruns, un horizon lointain où on voit à perte de vue, où le ciel rejoint la mer, où les couchers de soleil ne sont
jamais pareils, où les bateaux se balancent sur les vagues... Les
relations sont solides entre les hommes, solidaires, toujours prêts à secourir
l’autre, enfin une harmonie entre la
nature et l’homme, puis en fin de journée la pêche que les hommes hissent sur
le bateau de leurs bras robustes, puissants. La journée rude a oxygéné les
poumons, endolori les corps, une bonne fatigue, saine ; C’est ça être
pécheur pour Théo, aussi ne veut il
surtout pas contrarier son ami.
-
C’est ton choix, je le respecte.
-
Ecoute, il y a des petits ports près de Marseille, je m’y aventure pour
voir les bateaux, et là je vois des
pêcheurs qui m’ont adopté, leurs histoires me passionnent m’envoient là où je
veux aller. Je ne suis pas fait pour les études. Mon père ne sera pas d’accord
, mais moi c’est mon job tu
comprends ! Il y a partout du
danger où tu es ! Même chez toi ! Ma mère n’a pas à se faire de soucis,
les bateaux sont différents maintenant ! Tu me comprends Théo.
- Ne te
fais pas de soucis, nous en parlerons avec Marie.
- J’ai
un ami à Paris, très bien, en vacances chez ses grands-parents.
-
Regarde j’ai compulsé ce guide dans le train, il m’a beaucoup appris sur Paris, ce qui
m’ennuie c’est que je n’arrive pas à mettre le plan dans ma tête, tu vois
les sites historiques sont indiqués là,
regarde, j’ai étudié dans le train, j’en connais pas mal.
Ils ont
retrouvé la bonne camaraderie de leur enfance.
- Je trouve Marie de plus en plus
belle, tu es un chanceux Théo. Théo baisse la tête, silencieux.
Il lève un regard inquiet, soupire,
se lève., ému, il préfère changer de conversation. Thomas attend une
réponse de Théo mais elle ne vient toujours pas, il s’est engagé dans une voie
délicate, inquiet, maladroit il ne sait
pas comment se rattraper
- Comment tu trouves ici ?
- Bien, ça me
paraît bien pour Paris.
- Tu veux prendre
quelque chose Thomas ? Excuse moi, je suis un hôte déplorable. Tu me troubles, tu étais pour moi
un petit garçon, et en quelques mois tu t’es transformé. Thomas sourit.
- Non merci. Il l’interroge sur son travail, le
félicite sur sa bonne forme.
Á bout
d’argumentations Théo et Thomas sont silencieux.
- Marie ne doit pas
tarder à arriver. Je suis.. comment t’expliquer…je ne trouve pas les mots
tellement c’est étrange. Marie et toi vous vous ressemblez.... j’en suis
stupéfait, c’est ahurissant !
-
C’est un honneur pour moi, elle est si belle.
Marie
son cabas près d’elle assise sur un banc fouille à l’intérieur de son sac pour
regarder si elle a bien son porte monnaie, si elle n’a rien oublié. Son regard
glisse sur les quelques passants, étonnement elle n’est pas pressée de rentrer.
Il va falloir faire face devant ce grand
frère qui l’intimide. Aujourd’hui le dos courbé par le souci d’être parfaite elle se creuse la cervelle pour
savoir ce qu’elle va faire de son frère. Je laisserai Théo s’en charger, il a
quelques jours de congés. Marie hausse les épaules, hésitante :
bizarrement elle est mécontente d’elle. Assombrie par des pensées qu’elle
comprend trop bien elle murmure, il va tout chambarder ; Depuis
toujours elle vit dans un univers feutré, les jours se sont écoulés sans qu’il
y ait eu de gros soucis, Théo toujours là pour arranger, aplanir les problèmes.
L’arrivée de son frère la perturbe, elle frissonne. Théo et Marie s’isolent
chacun dans leurs pensées dans leurs questions, fidèle au rendez-vous caisse 16
de la grande surface pour voir la jeune femme qui les espionne tous les deux,
c’est ce qu’elle vit depuis plusieurs semaines. Prisonnière de cette personne
au regard étrange qui lui vole son âme elle tressaille. Elle a de la difficulté
à faire l’effort nécessaire pour partir.
Etrangement depuis l’arrivée de son frère elle est projetée dans la
grande surface où cette personne la tourmente et c’est ici sur ce banc, égarée
dans ses pensées qu’elle le réalise. Effondrée par le poids de cette
constatation elle sombre doucement
: Marie
curieuse de la tournure que va prendre cette histoire ne fait rien pour
éloigner Théo de la jeune femme, au contraire. Les fois où inquiète devant le
visage préoccupé de Théo n’ont pas réussi à lui enlever l’envie de la
revoir : elle tressaille : un jeune chien tout joyeux lui caresse la
jambe. Ils n’ont pas envie de voir aboutir cette histoire l’un comme
l’autre : cette étrange rencontre les fascine : cette incertitude,
cette victoire chaque fois de se revoir à leur caisse respective la 16 et 17
tous les vendredis, ce rendez-vous étrange, cette pensée unique à trois Théo
Marie Christie d’être à leur caisse la 16 et la 17. font partis d’un jeu qui ne
sera pas sans conséquences En ce moment
à la pensée de revoir la jeune femme de la grande surface elle est paralysée,
son émotion est si forte qu’elle s’entend
murmurer, Théo je t’aime. Sa pudeur excessive entraîne son
ami dans un isolement qui maintenant
fait parti de leur vie courante. .Elle ferme les yeux pour mieux comprendre,
mieux goûter son émotion lentement,
doucement, seule assise sur ce banc. Tout ce bouscule dans sa tête, leur départ
précipité pour la grande surface, la jeune femme, les retrouvailles, l’émotion
contenue, profonde, Marie continue ce jeu innocent « croit-elle » où
elle s’enfonce irrémédiablement. L’arrivée de son frère lui fait découvrir l’immensité
de sa détresse, ce dénouement qu’elle soupçonne, elle y va impuissante. Avec un
soupir plein de désarroi elle se lève enfin, arrange ses cheveux, glisse sa
main sur son front sur ses yeux Marie se lève, puis se rassoit la main sur son
cabas, indécise. Marie ne comprend rien à ce manque d’enthousiasme devant l’arrivée de son frère. Marie la pudique, pudique jusqu’au bout des
ongles a peur d’être ridicule. Leur vie se déroulait.
C’était
ainsi
Aujourd’hui
douloureusement elle comprend que son attirance est beaucoup trop profonde,
qu’il y a chez cette personne autre chose, ce regard qui la perce, cet intérêt
inquiétant ! Elle frissonne, jamais jusque là elle n’avait connu des instants
où le mystère la transporte dans un monde qu’elle ne connaissait pas, qu’elle découvre
et lui donne un bonheur qu’elle n’a
jamais connu, jouissant de cette funeste émotion Marie se lève enfin pousse un
profond soupir.
La main
sur la poignée, un instant d’hésitation,
une joie, une peur la gorge serrée elle entre.
Théo et
Thomas sont dans une conversation édifiante
semble t-il car il ne la remarque pas. Marie sur la pointe des pieds s’approche d’eux pour
les surprendre. Elle retrouve son
énergie et sa joie de vivre.
: Installés devant la table ils paraissent bien innocents ces trois joyeux
compères, en apparence du moins, car ils font leurs petites affaires en
sourdine, tous, sans ce soucier le moins du monde de l’autre. Mais
dans ce groupe l’amitié règne. Devant ces jeunes gens si beaux que votre gorge
se contracte, une oreille étrangère serait charmée par leur babil, ils ont tant
à raconter ! Marie les mains jointes, les coudes sur la table, écoute,
observe, donne rarement son avis.
- Demain, Thomas nous allons à la grande
surface. Veux tu venir avec nous ?
- Je ne sais pas, je dois voir mon copain, il
est à Paris, et doit m’appeler, soyez sans crainte il est bien.
- Je pense que tu n’es pas là pour aller dans
une grande surface, tu téléphones à ton copain comment il s’appelle ?
- Derrick
- Bon tu as rangé tes habits, tu devrais peut être appeler ton ami.
- Derrick ?
Bonjour. Je suis chez ma sœur comme tu
veux, c’est bon. Tu me prends… puisque tu insistes je te donne l’adresse… O K à
demain.
Il passe me chercher demain. C’est un copain de
lycée, il est chez sa grand-mère. : Marie s’est mis dans la tête d’aller
avec son frère dans la grande surface.
Assis autour de la table silencieux. Marie
avance sa petite main pour prendre la main de Théo, ce silence impressionne
Thomas : doit-il parler à Marie.. devant ce silence il fonce.
-
Marie, j’ai besoin de te dire quelque chose qui me tourmente et que je
n’ai pas encore osé dire à nos parents, j’ai besoin de t’en parler, avec les
parents il y aura des disputes. Je veux que tu me dises ce que tu en penses. Je
veux être un pêcheur du grand large. Marie son regard dans le vague l’entend à
peine tellement sa surprise est grande.
- Marie ! Tu m’entends ? Elle
regarde ce magnifique jeune homme, les mots s’étranglent dans sa gorge, elle
reste à le regarder. Toussotant afin de
s’éclaircir la voix tendrement tente de lui donner son opinion sans le froisser.
(Il est tellement différent des hommes des bastingues… !)
-
Thomas tu as bien réfléchi ? C’est toute ta vie que tu
engages ! Marie regarde de nouveau avec insistance son frère :
des souvenirs mêlés de nostalgie : des regrets d’avoir été éloignés trop
longtemps l’un de l’autre, retenant un soupir elle tente d’expliquer à Thomas
son point de vue : un raclement de gorge pour s’éclaircir la voix elle
s’approche de lui. .
- Thomas mon chéri, tu sais combien nous
t’aimons tous, et combien nous n’avons aucune envie de te contrarier, (Marie
s’empêtre dans les mots) tu as bien pris conscience de ton engagement ! C’est
si grave et si peu en harmonie avec ton physique, moi, vois tu je te verrai
faire du cinéma ou du théâtre. Montre moi ton
profil…tourne la tête de trois quart… de face… (Thomas bonne pâte obéit)
un mètre quatre vingt cinq, mince. Tu as tout d’un jeune premier. je te verrais
faire du cinéma, du théâtre, puis sans raison elle part d’un fou rire si
contagieux que Thomas et Théo pouffent aussi, une cascade de rire s’enchaînent
ils ne peuvent plus s’arrêter, enfin les rires s’égrènent à bout de souffle ils
se regardent vidés. Les yeux brillants Marie regarde Thomas. C’est ainsi que Thomas a eu l’approbation de Théo
et de Marie. Pourtant Marie insiste la
conscience troublée.
- Tu
n’as pas le physique, mais tu as la force morale, la volonté, la foi, c’est le
principal. C’est ce que tu veux ? Alors c’est ta voie. Je suis fière de
toi Thomas. L’émotion le fait
rougir : l’approbation de sa grande sœur lui redonne du souffle.
-
Merci Marie.
- Les
parents sont au courant ?
- Non.
Elle
se lève pour prendre sa veste dans la penderie, leur conseille de prendre
un vêtement chaud. Réfléchissant devant
sa garde robe en fronçant le front elle constate la pauvreté de ses habits.
Avec un long soupir elle se rabat sur ses godasses, conseille à son frère d’en
faire autant. Enfin ils sont prêts pour
leur promenade dans Paris, ils ont choisi les
quais de la Seine. De retour, épuisés, affalés sur le divan, ils n’ont
qu’un mot : c’est beau Paris.
- Tu
aimes le thé Thomas ?
- Oui.
- Est-ce que père et mère sont au
courant de ton désir d’être pêcheur ?
- Pas
encore.
- Quand penses- tu leur dire ?
- Oh ! Rapidement.
- Tu as un capitaine ?
- J’en ai un.
- Tu lui en as parlé ?
- Non. Je le ferrai à mon retour.
-
Il est bien, tu es sur de lui ?
- Ne
te fais pas de soucis, il veillera sur moi comme sur son fils, m’apprendra le
métier, je suis tranquille. La tasse au creux de leurs mains chacun savoure son thé : Théo
lit le journal du soir Marie rêve en regardant son frère, Thomas écoute son
baladeur, un son léger gracieux sonne les heures, les demi- heures avec la
régularité d’un métronome.
Près de
la fenêtre grande ouverte Thomas regarde les vis-à-vis, jette un coup d’œil au
ciel chargé de nuages pas un souffle
d’air, la moindre goutte d’eau, un temps pesant, lourd qui vous assomme
n’arrive pas à craquer. Soudain une légère brise vient lui caresser le visage,
un bruit cristallin sur le bord de la fenêtre, l’air est plus léger, Thomas
gonfle sa poitrine, ouvre ses mains pour sentir
les gouttes d’eau, se penche pour mieux voir autour, décontenancé
devant tous ces vis-à-vis il retourne s’asseoir. .
Marie
regarde son frère. Elle voit son beau profil, admire le dessin délicat du
front, la découpe parfaite du nez, la délicate bouche ourlée, le menton
volontaire, la chevelure souple auburn foncé (plus foncée que la sienne) .
Méditative devant ce frère qui pourrait avoir un avenir brillant, surtout dans l’art, elle hoche la tête pleine de
compassion et de tendresse.
-
Laisse moi t’aider : il lui prend les assiettes des mains.
-
C’est inutile Thomas.
- Tu vois Marie je comprends ton
étonnement ! Je comprends les regards surpris lorsque je parle autour de moi
de ce métier avec ferveur. C’est une pensée que j’ai depuis tout petit. Tu te
souviens du petit port entouré de calanques ? Nous y allions avec les
parents, je continue d’y aller régulièrement. C’est là où j’ai rencontré
Mathieu. Nous parlons, il me raconte, avec lui, j’ai l’impression d’être un
adulte, c’est un ami. .
- Le métier sera encore plus beau avec toi
Thomas.
- Merci Marie, merci mille fois. Marie le
regarde. Thomas les yeux perdus dans le vague au bout d’un moment
enchaîne, c ’est un homme fier, j’ai confiance en lui. Je comprends Marie ton
tourment. Je vais avoir des disputes avec Père. Il a des ambitions pour
moi! Maman sera de mon coté. Je ne crains pas la tâche. Marie rêveuse contemple
son frère, soupire.
- Tu as faim ?
Elle le regarde : la lumière vacillante du crépuscule glisse sur son visage. Il est si beau, il parait si
fragile... ! Ton ami Derrick nous
laissera bien quelques heures pour que nous puissions sortir ensemble ? Tu
sais Paris est une grande métropole faite de petits villages avec leur mairie,
leur église, on y fait des kilomètres,
c’est épuisant. Tiens, tout près d’ici il y a un marchand ambulant qui vend des
pizzas : on les a à la commande, elle sont très bonnes. Ça te plairait ?
- Oui. Tu connais tes voisins ?
- Non; je ne les ai jamais vus. Il y a un nom
sur la porte sans ça je douterai qu’il y ait quelqu’un ; jamais un
bruit de télé, jamais rien,
seulement quelques bruits légers de voix, et encore !
- Que fait Théo sur son ordinateur ?
- Je ne sais pas,
tu lui demandes. Il resterait des heures devant si je ne le sortais pas.
- Je m’en
suis payé un.
- Alors ?
- Eh bien, Papa s’y est mis aussi,
il m’a étonné par sa facilité d’apprendre. Papa est souvent parti, quant
à maman elle va s’y mettre. Nous en
avons au lycée, les bateaux doivent en être équipés aussi je suppose. Thomas
s’approche doucement de Théo, l’observe un moment. Théo se tourne vers Thomas
- Tu
veux t’en servir ?
- Non, non, merci, ils se lancent dans des conversations
bien compliquées pour Marie, installée
au bout de la table elle les regarde. Les jus de fruit sur la table, les
petits gâteaux, les petites serviettes aux
couleurs vives dans les assiettes, la pizza toute chaude dans sa
boite : Marie n’est pas pressée, le carillon envoie de temps en temps sa
musique, elle est transportée quelques années en arrière avec son frère
dans ces moments insouciants où ils se
chamaillaient pour un rien.
Elle a
su manœuvrer pour arriver à ses fins. Sa
décision, ce désir qui la prend d’amener son frère avec elle vendredi dans la
grande surface Marie habilement est arrivée à ce qu’elle voulait., elle est
arrivé avec de bons arguments au grand
étonnement de Théo, pourtant !
Soulagée de ce souci qui lui pesait depuis un moment elle savoure sa
pizza avec délice. Ils n’ont de cesse de raconter les tours pendables qu’ils
faisaient, émus de retrouver leurs souvenirs. La perspective est étriquée, à eux trois ils emplissent la pièce, leurs
voix raisonnent, les rires aussi. Après un moment de silence ils s’interrogent
du regard.
- Où allons nous ? :
- A Saint Germain
des Près ? Rue Saint André des Arts ? Ça va Thomas ?
-
C’est comme vous vous voulez.
Ils sont à l’étroit dans l’appartement Marie, Théo, et
Thomas se dépêchent pour aller faire une ballade dans Paris. Pleins d’énergie
ils sont prêts en un clin d’œil. Thomas a de la difficulté à respirer, il se
trouve étriqué dans ses vêtements, et dans l’appartement il ne sait pas quoi
faire alors il traîne son grand corps
derrière sa sœur derrière Théo, quelques pas pour se rafraîchir à la
fenêtre. Dans ses calanques il
farfouille à la recherche de crustacés pour la bouillabaisse de sa mère :
des poissons de roches, des moules, des crabes, des rascasses, et d’autres
encore ! il a l’espace, le grand air, il connaît d’avance la mine réjouie
de sa mère le félicitant et le grondant en même temps « car il oublie ses
devoirs… ! » Rien ne le
distrairait de ses longues promenades solitaires où il va gratouiller par-ci
par-là à la recherche de petits poissons. Les cavités n’ont plus de secrets
pour lui , il respire la bonne odeur de la lavande, il connaît la
végétation: le romarin, les oliviers et bien d’autres choses encore…Thomas se
ressaisit, frissonne.
-
Tu dois penser à ton avenir Thomas. .
- J’ai de bonnes notes maman, tu as vu mon
carnet !
Marie
avec un petit sourire l’observe.
- Ça fait combien d’années que tu n’es pas venu
à Paris Thomas ?
- Je ne sais pas. Tu devrais demander à
Maman, j’étais petit.
- Tu vas trouver de la différence venant de la
maison ; allez on y va. Théo jette
regard sur les pieds de Marie et de Thomas, les prend par le bras, et d’un pas
martial les entraîne vers le métro : direction Saint Germain des Près .
Aller dans une grande surface n’était pas
l’idée qu’il se faisait de Paris mais pour faire plaisir à sa sœur Thomas s’est
contenté de hocher la tête en signe d’approbation. Avec un sourire
contrit , étonné par l’empressement de Marie pour l’amener dans une grande
surface il s’est laissé faire. Empêtré par son corps il va s’asseoir devant
l’ordinateur, tapote sur le clavier puis se lève pour aller à la fenêtre, se
gratte la tête pensif devant tous ces blocs, se tourne face à Marie et Théo.
Appuyé contre le chambranle de la fenêtre il
laisse errer son regard, entend la chaleureuse voix de son père : Tu
m’as fait de beaux enfants Manou, on dirait des anges… » Thomas depuis ce moment interroge son miroir,
de profil, de face, de trois quart, inquiet par cette remarque, traumatisé à
l’idée de ressembler à un ange il a tout essayer pour changer ses traits trop
réguliers, il a fait des grimaces dans tous les sens, s’est giflé, s’est pincé,
s’est trituré le visage. Mais devant l’inutilité de ces efforts insensés il a
renoncé et là, pensif, ému il
regarde sa sœur : ce sont les mêmes traits, la belle chevelure
rousse c’est la même, le nez parfait aux délicates narines le même, les yeux
légèrement enfoncés légèrement étirés, l’arcade sourcilière a la même courbe
parfaite, la bouche délicatement ourlée : Ah ! Le front… ! Le
front d’un penseur… Inconsciemment Thomas touche son menton, ses pommettes, le
creux de ses joues. Thomas passe sa main
sur le modelé de son visage, soupire, attristé. Marie nerveuse le sermonne.
-
Allons qu’est-ce que tu fais !
Assis dans un coin de la pièce, immobile, Théo regarde.
Etranger à ces deux êtres il écoute le papotage du frère et de la sœur, envoûté
par eux, trop beaux. Il se passe la main sur le front, le regard grave tente de
se joindre à eux, péniblement. Il réussit à sortir quelques mots maladroits,
puis avec un soupir il retourne à son ordinateur.
-
Théo ? Ca va ?
- Parfaitement.
- Pourrais-tu aller chez le teinturier. Tiens voilà le papier, c’est le bon. Les rires de
Marie et de son frère brûlent son être, la tête enfouie dans ses mains il veut
enlever cette émotion, cette jalousie qui l’accable.
Ils se
retrouvent le frère et la sœur : pleins d’histoires communes, de rappel de
souvenirs qui renaissent, d’un court passé coloré de richesses d’enfance, d’adolescence
si proches !
Théo se
lève péniblement, dans un effort il tente de se joindre à eux, aucun endroit
pour aller s’isoler.
- Théo
viens t’asseoir tu parais mécontent !
- Je
vais faire un tour en bas , ça passe pas la pizza je l’ai sur l’estomac.
- Bon tu
marches un peu ça passera.
Marie
sérieuse les mains sur le volant jette des regards furtifs sur son frère :
lorsqu’elle conduit sa voiture, attentive elle ne parle pas. La voiture garée
elle prend son frère par le bras.
- Je
dois te parler absolument . Ce que je vais te dire va te paraître étrange, mais
écoute moi bien. Théo impressionné par Marie, curieux, ne désire qu’en
savoir davantage, il se penche pour
mieux l’entendre.
-
Bon.
- Tu ne le croiras pas Thomas, Théo et moi
sommes comme qui dirait « envoûtés » il y a un phénomène qui se
passe dans notre vie , ici, où nous sommes, dans la grande surface, ç’est
incompréhensible. Figure toi tous les vendredis nous rencontrons régulièrement
une jeune fille à peu près de nos ages.
Nous nous regardons puis, rien, Il n’y a rien Thomas, tu t’imaginais
quoi… ? Il n’y a rien, nous nous regardons, c’est tout, retiens bien il
n’y a rien, rien, et voilà plusieurs semaines que c’est ainsi, tous les
vendredis à la même heure caisse 16 et caisse 17, tu as bien compris ?
- A tes caisses il y a une fille que tu vois.
- Voilà. C’est pas à mes caisses, à la caisse
16 tu as compris. Et moi je suis caisse
17. C’est comme si il y avait un accord
entre nous de se retrouver à heure fixe, à la même caisse, le même jour.
- Et
alors…
Thomas
commence à s’intéresser .
- Comment t’expliquer, c’est si étrange, si
inconcevable. Si je t’amène c’est pour faire un teste, imagine un rendez-vous
qui serait programmé comme ça et elle claque des doigts, pim
pam c’est le jour on y va. Est-ce que tu me comprends ?
- Continue.
Le
pauvre Thomas comprend à moitié.
Nous
vivons un tourment Théo et moi tu ne peux pas savoir, tu sais comme je suis
sensible, Eh ! Bien maintenant j’ai peur, je crains que nous soyons
entrain de nous suicider volontairement. Thomas est abasourdi et inquiet devant le visage grave de sa sœur qu’il prend
très au sérieux. .
- Qu’est-ce que je peux faire pour toi
Marie.
- Viens, on va dans la galerie marchande, il
y a des cafés nous pourrons parler.
Ah ! J’aimerais tant que tu comprennes. Allez dépêche toi j’ai des courses
à faire. La douce et fragile Marie attrape son frère par le bras l’entraîne à toute allure. Thomas inquiet et
perturbé ne comprend rien. il est plein de bonne volonté pour aider sa sœur à
sortir de ce drame
Attablés
dans une brasserie de la grande surface ces deux silhouettes parmi les autres
en bordure de l’allée marchande.
La
tranquille Marie emportée par un flot de paroles accompagnées de gestes
théâtraux subjugue Thomas qui l’écoute sans broncher impatient de la suite
étonné de découvrir une sœur qu’il ne connaît pas.
- Tu
vas me rendre un service. Après lui avoir expliqué qu’à la caisse 16 il y a une jeune femme aux au regard perçant,
aux cheveux noirs : Marie partie dans des détails et dans des descriptions
très compliqués attire l’attention de son frère qui l’écoute bouche bé. Je
n’arrive pas à comprendre, on le sentiment que ses yeux ne te voient pas
portant tu les sent te pénétrer, elle est ailleurs, elle voit autre chose, je
suis très impressionnée, paniquée ; j’aimerai tant la connaître lui
parler.
- Tu
lui souris, puis ça se fera tout seul.
- Je ne peux pas c’est impossible. Ce que je
cherche c’est comment elle va réagir en nous voyant peut être alors je comprendrai ! Viens,
maintenant nous faisons les courses.
Dans
les allées aux multiples rayons elle entraîne Thomas qui voudrait regarder les
téléviseurs, les appareils de photos
numériques, les écrans d’ordinateurs, les imprimantes etc.… toutes les
dernières nouveautés, il voudrait tout voir, mais Marie impatiente le bouscule,
lui rappelle qu’il faut se dépêcher, avec une inquiétude grandissante il suit
sa sœur docilement, pris d’une anxiété
que sa sœur lui communique il essaie de comprendre. Bon, je vais l’écouter et faire ce qu’elle
me dit, mon rôle après tout est très simple, être là, regarder cette personne,
puis lui donner mon impression.
-
C’est phénoménal, je suis sidéré
par tous ces articles, mes yeux n’arrivent pas à tout voir, Marie acquiesce,
puis elle jette sur sa montre un coup d’œil
un autre dans son caddie rassurée elle entraîne Thomas vers les caisses.
Thomas avec peine traîne derrière Marie qu’il suit docilement comme on suivrait
un guide avec son oriflamme au bout d’un bâton, elle se tourne vers son frère
Thomas : (n’a-t-elle pas fait une gaffe de l’amener ? Sa belle
assurance fond à vu d’œil ) Installés dans leur file Marie cherche la jeune
femme. Après s’être tournée dans tous les sens elle la trouve appuyée contre un
rayon les yeux fixés sur eux.
Christie
a un choc, médusée ses yeux vont de l’un à l’autre et encore de l’un à l’autre,
elle doit maîtriser ses émotions, sidérée, la
gorge serrée elle les regarde de nouveau. Il y a une telle ressemblance
entre ce jeune homme et cette jeune fille qu’elle a compris de suite, quelle
déception, tant de vendredis, tant de semaines, d’attentes impatientes,
d’émotions, de joies qui fondent en quelques secondes. Elle ne peut cacher sa
déception. Malgré ses lugubres
sensations elle se remet à espérer, se tourne carrément vers eux : ils
sont si beaux si jeunes…Elle a compris en cet instant de façon absolu que c’est
le couple qui l’intéresse qui la trouble. Il manque quelque chose à ce
tableau. Christie est dans une situation inédite, elle doit se rendre à l’évidence :
c’est le couple qui l’émeut, maintenant elle en a la certitude. Thomas regarde
autour de lui, ses yeux s’arrêtent un instant sur Marie qui lui fait signe, avec audace il plonge ses yeux dans
les yeux de la jeune femme. Christie gênée baisse les yeux. Autour l’immense espace coloré. Thomas est pris
d’une grande tristesse, il pense à ses calanques, à sa mère, à Mathieu le
pêcheur, à son ami Paul, son ami Derrick, puis retrouve sa bonne humeur à la
pensée de revoir son ami Derrick .
Les
articles dans le caddie, à grands pas
ils vont vers la sortie.
- Alors
comment tu la trouves ?
-
Pendant un long moment Thomas réfléchit ne voulant pas faire de bêtises.
Marie s’énerve, une lueur d’impatience dans les yeux.
- Je
ne sais pas.
- Mais
enfin tu as bien une idée tout de même : une lueur d’énervement dans les
yeux de Marie « ce qui est inhabituel chez elle
-
Eh bien ! je la trouve bien.
-
C’est tout ?
Thomas
la regarde à nouveau mais inexpert il gigote : Marie le pousse du coude,
allons ne fais pas l’idiot.
- Tu
veux que je te dise elle est très belle voilà mon opinion. Marie hausse
les épaules, que veux-tu que je te dise, elle est belle. .
Dans
soupir il chasse toutes ses pensées moroses pense à son ami Derrick : Maris veut lui faire ingurgiter des choses
auxquelles il ne comprend rien. Marie obsédée par son problème lui répète inlassablement
-
Comment tu la trouves ; Thomas doit mettre un moment pour réfléchir
car il a déjà oublié. Avec effort il
remet ses idées en place. Comment expliquer à sa sœur, que c’est une personne
pas mal, et qu’il n’en a rien à faire.
- Je
ne sais pas. Elle est très belle, elle a de beaux cheveux .
-
C’est tout ?
- Et toi, comment tu la trouves ? Marie ne s’attendait pas à cette question,
ennuyée elle balbutie quelques mots inaudibles. Thomas n’insiste pas.
-
Ton ami vient ce soir ? A quelle heure ?
- Huit
heures.
-
C’est bon.
- Il doit
m’amener dans un restaurant près du boulevard Saint Michel …
- Bien.
Dans
la pièce assis autour de la table, Théo, Marie et Thomas sont silencieux,
chacun a son histoire. Thomas s’empare de son baladeur, Théo lit son journal du
soir. Marie tourne les pages de son catalogue, puis se lève, ce silence lui est
pesant : quelques bruits isolés, une toux sèche, un craquement, un bruit de respiration, bruit
de page qu’on tourne. Thomas étouffe il se lève va à la fenêtre rêve à ses calanques jette regard en
soupirant sur les étoiles
CHAPITRE 11
-
Christie ?
- Je
suis là Manie . Christie cherche Manie, enfin la trouve. Manie assise sur le
divan regarde un journal de mode
-
Manie ?
- qu’y
a-t-il ma petite fille ?
- Rien.
- tu me
parais préoccupée : elle pose son journal près d’elle.
- Je
pense à ce que tu pressentais, tu as des dons de voyance Manie : Manie
n’ose plus bouger ni respirer.
Pourquoi
je voudrais faire souffrir Manie, Maman, Papa, tante Amandine, pourrais tu
m’expliquer : je vous aime trop, il me serait trop douloureux de vous
affoler, non Manie mes actes doivent être pris comme un chant d’amour même
s’ils ne correspondent pas à vos envies d’avoir une petite fille, une fille,
une nièce comme vous l’espériez.
- Si tu
as trouvé la voie qui te plait fonce Christie ne t’occupe pas de nous ;
- Merci
Manie mais tu vois je suis à la croisée des chemins, tu comprends je me trouve
nulle part ! Tu comprends ?
- Alors
ma petite chérie un jour ton chemin s’ouvrira et là, crois moi ce sera
merveilleux. Je pressens en toi quelque chose qui te transportera, tu as du
charisme Christie, les inquiétudes que j’ai sont réelles. Je prie Dieu tous les jours ma chérie.
- Manie
je me souviens tu aurais voulu que je sois institutrice, c’est ce que tu aurais
aimé toi ?
- Oui
c’est ça puis changeant de conversation Tony que dit-il ?
-
Tony ne veut pas me contrarier : il
m’aime.
- Mais
ma petite chérie pourquoi tu te tourmentes tu es la plus chanceuse des femmes
non ? Christie soupire tristement.
-
Manie, je crains de ne pas être à la hauteur des êtres qui m’aiment et qui
m’entourent ! Imagine un peu le mal que j’aurais si je vous décevais.
-
Oh ! Viens près de moi : tu n’es plus une enfant, tu es adulte, bien
adulte : pourquoi ces tracasseries, tu verras chérie des choses
merveilleuses t’attendent, laisse toi aller le Bon Dieu t’aidera, il est là en
toi sois certaine qu’il ne t’abandonnera pas, c’est ta Manie qui te le dit, je
prie, je prie pour toi.
-
Manie, tu es vraiment croyante .
- Mais oui Christie naturellement .
- Tu es
chanceuse.
- Tu as
un chemin à suivre, tu verras petit à petit il s’ouvrira, c’est une histoire
bien compliquée la vie. Un jour ce manifestera ce qui est enfoui en toi fais
confiance petite amie.
- Oui
Manie.
Dans la
belle salle de séjour garnie de plantes vertes, une table de jardin autour
trois chaises, contre le mur du fond un divan, à coté une chaise. Christie
saisit un arrosoir.
-
Attends, tu ne dois pas arroser celle là, ni celle là, celle là non plus ;
Manie soigne ses plantes avec amour.
-
Comment tu les trouves ?
-
Magnifiques. C’est un régal de les voir pousser : tu les soignes bien.
- T’en
veux une ?
- Ben
ma fois oui.
- Je te
conseille celle là : elle lui montre une plante au nom bizarre avec une
fleur en forme de feuille rouge : prends là.
- Manie
j’aime bien entendre le petit gémissement de la plante lorsqu’elle aspire
l’eau : tu entends Manie elle me parle.
Dans sa
pièce elle tourne en rond. Christie est en attente d’un événement qui doit
craquer. Elle s’énerve, va de la fenêtre à son bureau plusieurs fois, s’énerve
facilement, presse sa tête dans ses mains, le roman qu’elle écrit ; le
chant mélancolique n’aboutit pas, elle
se frappe la tête, soupire, attrape son portable ;
-
Tony ?
- Oui
Christie.
-
Tony !
- Qu’y
a-t-il Christie ?
- Tout
va très bien Tony, tout va bien, je t’appelle pour te dire que je t’aime.
- A
bientôt ma chérie.
Christie
n’arrive pas à se concentrer, elle est aux aguets du moindre bruit, sa vie est
un enfer, elle attend avec impatience le bruit des clefs à coté, elle colle son
oreille contre la cloison, cherche à voir par le trou de la serrure.
Lorsqu’elle est dans la grande surface caisse 17 sa vision du couple caisse 16 est
plus aigue, plus soutenue, interrogative. Elle doit les connaître ailleurs que dans la grande
surface.
Dans
une agitation croissante elle va de son bureau à sa fenêtre de sa fenêtre à son
bureau et de son bureau à sa fenêtre plusieurs fois réfléchissant. Sa
sensibilité est exacerbée, elle sait d’instinct que le moment fatal va arriver,
l’instant tragique, le dénouement de son histoire. Elle doit agir vite, elle
connaît l’heure de la clef dans la serrure : elle s’est préparée depuis un
moment. Son oreille contre la porte brusquement elle l’ouvre, tétanisée elle se
plaque contre la porte, devant elle le couple de la grande surface. Paralysés
ils s’observent un moment, pas un mot, un silence : Christie s’avance
mécaniquement les attrape par le bras : dans la pièce trois
silhouettes immobiles, muettes en
attente de l’irrémédiable. Christie sent une émotion lui ébranler le corps, le couple n’ose pas bouger apeuré devant l’étrange pâleur de Christie : un
silence impressionnant, palpable. Christie s’approche de la jeune fille.
-
Comment tu t’appelles ?
-
Marie.
- Tu as
un bien joli nom. Elle la regarde longuement . Tu es si belle Marie puis lui
prenant la main qu’elle presse longuement dans les siennes, les yeux fermés la prend dans ses
bras, la presse contre elle, palpe d’un doigt ses beaux traits : je
t’aime, je t’aime infiniment : Marie frémit elle tente de l’embrasser,
Christie la repousse avec douceur.
Théo
est paralysé, Christie livide le regarde il lui fait signe Théo l’enlace
regarde Marie. Marie a compris, elle sort.
Ils se
regardent se touchent, goûtent dans une pensée unique l’amour qui les unit,
font durer l’instant où le monde chancelle où les chairs se fondent ensembles.
-
Comment tu t’appelles ?
- Théo
et toi ?
-
Christie. Peux tu me donner du papier et un crayon s’il te plait ?
-
Tiens.
-
Regarde bien Théo, ensemble nous allons travailler Christie debout contre la
table dessine avec quelques traits le couple de la grande surface : elle
tend la feuille à Théo
- Voilà
c’est vous deux .
-
Oh ! Très bien.
-
Maintenant je sais que ma décision est absolue irrévocable, je pars Théo. Ce
soir je ne suis plus là. Nous avons fait une folie qui devait arriver mais qui
doit s’arrêter absolument. Ecoute moi bien, tu m’entends rien, rien ne doit
changer dans ta vie ; quelque chose s’est déclanchée en moi que je suis
seule à comprendre.
Je serai peintre avec vous.
Liliane Boyrie
2010-04-22
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