Elle saisit son portable, c'est Stéphane et Julie.
Julie travaille dans un cabinet d’architectes, son ami Stéphane est contrôleur aérien ils sont passionnés de spectacles : leur distraction favorite en dehors de leur travail. L’argent ne les freine pas dans leurs sorties car avec le petit journal des spectacles ils trouvent des sorties gratuites. Christie les trouve originaux, fantasques, d’un esprit curieux ils sont toujours partis en vadrouille, visitent des musées vont à des conférences où alors font des ballades dans Paris, se retrouvent entre amis. Ils se relâchent et cherchent par tous les moyens à ce distraire. Christie les trouve un peu agités : elle, la pensive, la méditative, la rêveuse, ne peut pas suivre leur rythme : c’est toutefois de bons amis.
Christie quant à elle est envahie par ses romans et ses interrogations au point qu’elle en oublie parfois l’heure des repas : c’est pourquoi, ses amis cherchent à la libérer de temps en temps de toutes ses contraintes et de ses fantasmes qui sont d’après eux néfastes pour sa santé aussi bien morale que physique.
Ce sont de très bons amis bien qu’ils ne se connaissent que depuis peu.
Côte à côte dans une exposition de peinture ils ont échangé des idées, des pensées. Ils ont fait connaissance et ont sympathisé et depuis ils se voient régulièrement. Christie aime bien leur fantaisie, leur enthousiasme : c’est chaque fois lorsqu’elle les voit un régal car ils sont si dynamiques qu’elle est entraînée malgré elle. Enfermée dans son studio pendant des heures avec ses romans, la solitaire, la pensive, le souci de sa Manie, le chagrin de ses parents est heureuse de retrouver ses amis. La journée sera sans contraintes, se fichant du qu’en dira- t-on, ce sera un relâchement qui lui sera très bénéfique. Son portable dans la main elle est toute réjouie de les retrouver.
- Stéphane ? Ah !!
- Oui !! ça va toi ?
- Bien, bien merci. j’ai eu Julie au répondeur
- Je crois qu’elle veut te voir . Justement nous en parlions il y a quelques jours. Tu es libre ?
- Ben, non, ce week-end là je suis à Londres. Ce sera pour la semaine prochaine si vous pouvez, moi je serai libre.
- O K, je note : la semaine prochaine.
Nous nous faisons un sang d'encre. Tu continues... ? Enfin… Si tu veux on peut faire un pique nique à Vincennes ? Il y a aussi les spectacles… Parles en à Julie.
- Tu l’appelles.
- Oui.
Christie d’une apparence fragile attire la compassion de ses amis. Stéphane aime bien Christie : souvent il lui rappelle qu’il aimerait la peindre « c’est son hobby, la peinture » il la sermonne devant son refus persistant, lui rappelle qu’elle a tort, lui rabâche sans cesse : tu devrais accepter de te laisser peindre, tu as un je ne sais quoi d’inexplicable que je voudrais saisir avec mes couleurs, mon pinceau. Pourquoi refuses tu toujours ? Ce charme, ce regard, cette façon de te mouvoir, j’aimerais les fixer pour toujours. Tu es si secrète, si pudique. Je suis désolé devant mon impuissance à te faire changer d’avis. Et devant ces reproches Christie reste pensive : si il y avait une part de vérité dans ses remontrances. Secrète... pudique... peut être… mais alors… !
- Christie ! Quel plaisir de t’entendre enfin. On pourrait se remuer, non ! Ca va ?
- Mais ça va, cassée en deux devant ma table, j’écris, rien d’original comme tu vois.
- Quand veux tu qu’on sorte ? Que penserais tu d’un pique nique au bois de Vincennes samedi prochain.
- Non, non, l’autre samedi. Ce samedi je suis à Londres : je vois Tony
Ils habitent sous les toits où ils ont arrangé leur appartement avec goût et originalité. Lorsqu’on entre pour la première fois on croit rêver : des tentures sont accrochées au mur, des rideaux qu’on coulisse remplacent les murs. On se croirait sur une scène de théâtre. Des tableaux un peu partout, par terre, accrochés ou sur un chevalet. Une grande glace renvoie ce décor fait apparaître la pièce immense. Un escalier mène à une mezzanine d’où pend une très belle peinture sur tapisserie. On s’attend à voir surgir des petits personnages ludiques. Contre le mur sombre de la pièce une superbe armoire, au centre une belle table acajou orne l’ensemble. C’est atypique, sympathique, vaste. Les yeux agrandis, immobiles, surpris, l’espace d’un instant nous entrons dans un autre monde. Christie pose le téléphone indécise, va s’asseoir : elle revoit Julie et Stéphane, deux jeunes gens très sympathiques, ouverts à tout, curieux de tout. Ils sont de bonne compagnie. : Julie est un peu rondouillette, de taille moyenne, un teint clair, des cheveux coupés à la garçonne encadrent un visage tout rond ; Stéphane grand, sec, le visage taillé à coup de hache est son opposé : tous les deux sont amusants, originaux.
Christie très gourmande passe dans sa tête tous les restaurants dans l’environnement de la place Saint Michel. Après une longue, très longue recherche, et après avoir parcouru plusieurs fois le petit journal, elle se fixe rue Saint André des Arts, cette rue pleine d’animation, de tentations, de pâtissiers entre autres, hélas ! Pour Christie, où l'on est presque sûr en y passant de se laisser tenter par une crêpe, des chocolats, des pâtisseries, des babioles... Il faut résister pour ne pas s’asseoir prendre un pot. : Je verrai avec eux. Toute réjouie à l’idée de revoir ses amis Christie s’abandonne les yeux fermés. Une bonne torpeur la prend : cet instant elle aimerait le garder, mais quelque chose la tourmente, lui serre la gorge, l’inquiète : c’est la chaude voix de Manie sermonnant sa fille Tu la gâtes trop : pour la contrarier Nanette protége sa petite Christie dans ses bras. La voix de Manie résonne dans sa tête Tu la gâtes trop ! Tu la gâtes trop ! Mon Dieu ! Que va-t-elle devenir ! Ah ! Manie ! Manie ! Devant la faiblesse de sa fille et d’Hector son mari, envers leur bébé chéri, Manie était révoltée à la pensée que la joie de sa vie : sa chère, son adorable, son amour son unique petite fille aurait un jour de gros problèmes avec cette éducation là. Elle essayait comme elle pouvait de leur faire comprendre que Christie méritait des fessées, qu’il fallait la sermonner.
- Qu’est-ce qu’elle fait encore ! Christie…! Christie…! Pauvre Manie, elle n’arrête pas de se torturer de se faire du souci, de s’imaginer des scénarios catastrophes .. ! Elle assiste impuissante à une future catastrophe qui se prépare, tout ça, à cause d’une éducation libertine que lui donne sa fille.
- 0ù est elle passée la friponne ! Manie s’effondre sur le divan n’en pouvant plus. C’est un jeu de cache - cache auquel Christie s’adonne par coquetterie, par malice : la petite diabolique sait que sa Mamie grogne après elle.
- Manie… ! Manie… ! La pièce raisonne de son rire perlé. Christie toute rouge se précipite sur les genoux de Manie, lui donne de gros bisous en l’entourant de ses petits bras.
- Tu n’es pas mignonne avec ta grand-mère, mais sous les bisous de sa petite chérie.. elle fond. Manie n’a plus le courage de la sermonner.
La réalité qu’entrevoyait Manie en ce moment semble se confirmer : anéantie devant cette évidence elle se lève péniblement, fait quelques pas la gorge nouée. Appuyée contre le mur elle essaie par des respirations profondes d’enlever l’angoisse qui la submerge. Voulant se dégager de cette sensation pénible, la main sur son front, pliée en deux elle court dans la salle de bain, se passe un gant mouillé sur la figure, va d’un point à l’autre de la pièce envahie par des pensées extrêmes. Devant la fenêtre le regard absent elle regarde sans voir. La pluie estompe les formes, en face les lumières vacillantes donnent un aspect sinistre aux choses, le rideau de pluie, son bruit obsédant, continu, le manque de perspective, Christie apathique n’a pas le courage de travailler. Elle revient à son bureau, jette un regard désespéré sur ses feuilles, en quelques enjambées fait de nouveau le tour de son studio plusieurs fois, tourne en rond, jette des coups d’oeils furtifs par ci par là, revient à sa fenêtre subjuguée par les trombes d’eau qui frappent la fenêtre. Au bout d’un moment, machinalement elle va à son frigo qu’elle caresse de la main sans l’ouvrir, « son moral est donc au plus bas ! » Enfin de nouveau à son bureau elle hésite, cherche son portable, le portable dans sa main, prise d’une angoisse profonde elle s’enferme sur elle-même. Elle va devoir affronter ses doutes, ses angoisses, ce couple toujours présent. : Christie en a conscience. Assise à son bureau, la tête appuyée dans ses mains elle est bien seule en ce moment. La pluie envahit la tête de Christie. Manie ne vient pas à son secours ! Tony non plus ! Ni son père ! Ni sa mère ! Ni tante Amandine ! Ne peuvent l’aider : que va-t-elle devenir ! Christie se trémousse comme si quelque chose la secouait puis la fouettait, l’obligeait à se lever, elle fait quelques pas dans la pièce, un long soupir, un soulagement, Christie retrouve son entrain. Appuyée contre la fenêtre, les yeux mi clos elle cherche à voir ce couple qu’elle a vu dans la grande surface. : je dois comprendre absolument : je suis ensorcelée, je suis totalement envahie, dépendante de ce couple . Mon Dieu ! Qu’est-ce qui m’arrive ! Je suis partie vers des sommets inaccessibles ! Que penserait Manie si elle savait ! Je dois tout faire pour comprendre : ils m’épuisent et me subjuguent tous les deux. Cette communion avec ce couple elle ne la comprend pas, cette image qui lui revient sans cesse, le désir d’aller dans la grande surface pour le voir, devant cette évidence ses épaules se tassent. Elle voie les balcons fleuris ; un rayon de soleil perce à travers la vitre. Retrouvant son allant, gonflant sa poitrine elle va s’asseoir dans son fauteuil, se glisse à l’intérieur dans l’espoir d’être plus captive. Elle les voit nets, précis, Diaboliques. Envahie par ce sortilège elle se vautre encore plus à l’intérieur, soumise. Enfin secouant violemment la tête reprenant ses esprits ne tenant pas en place elle s’habille en toute hâte court à sa voiture : je dois retourner à la grande surface pour comprendre. Aujourd’hui sans son chariot les mains libres elle va pouvoir tourner autour des rayons comme elle veut, respirer l’ambiance sans rien acheter. Dans ses mains son portable la rassure elle peut communiquer comme elle veut avec Tony : souvent, presque sans réfléchir, elle tape. :
Un besoin irraisonné lui fait appeler Tony
- Allô Tony ? Ne t’inquiète pas surtout. Ca va Christie ? Rien de spécial. Je t’appelle de la grande surface pour te dire bonjour. J’aime entendre ta voix, si tu savais comme elle est bonne comme elle est tendre, rassurante. Je te dérange ? : Tu es en plein boulot. Excuse moi de te déranger mille baisers Tony.
Avec sa silhouette longiligne, son pantalon, un tee- shirt, son petit foulard autour du cou, son sac en bandoulière, ses souliers de marche elle est mademoiselle tout le monde. rien ne la distingue des autres. Elle se fond dans la foule et peut observer à loisir autour d’elle sans se faire remarquer. Aujourd’hui, dégagée de tout souci d’achats elle s’intéresse, regarde les prix des marchandises, fait une pose devant le rayon des habits, explore les appareils ménagers, les téléviseurs, toutes les nouveautés. Malheureusement tous ces rayons ne lui apportent pas la réponse à son problème, le couple de la grande surface, qui la hante, la poursuit partout, l’envahit , l’emprisonne, la torture, ce couple maudit.