Elle doit remettre son trajet en tête, car dans cette spirale qui l’amène à sa caisse 17 elle doit éviter les endroits encombrés. En bon stratège elle calcule afin de se trouver à dix huit heures à sa caisse où elle doit être impérativement . Elle est inquiète, angoissée, la peur aux trousses elle préfère traîner près de sa caisse, attendre en se cachant dans une file d’attente. Son portable. sonne
- Allo ! Tony ?
- Où es-tu Christie ?.
- J’achète mes provisions pour la semaine.
- Dans la grande surface.
- Pourquoi cette question ? Mais oui. : Sa voix tendre lui serre l’estomac
- J’avais tellement envie de te parler, t’entendre. : Tout va comme tu veux ?
- Je me démène avec mon caddie, aujourd’hui c’est un encombrement impossible : imagine ces caddies, en ce moment je suis coincée, je dois couper Tony, excuse moi, je te rappelle. Je t’aime.
Elle regarde sa montre prend l’allée la moins encombrée : il faut qu’elle se rapproche des caisses, elle devra éviter les fausses manœuvres, trouver le chemin le plus court, ne pas couper les files devant les caisses : il lui est arrivée de se trouver caisse vingt et un ! Afin d’éviter les encombrements elle s’approche de sa caisse par l’allée en face de la caisse 17 Enfin elle trouve les manœuvres sans trop déranger, s’excuse
Ça bouge de tous les côtés, à droite, à gauche, derrière, devant : des jeans : des mini jupes : des robes fleuries ; les messieurs en shorts, chemises ouvertes ; tout ce monde pressé, occupé, préoccupé, bouge en un mouvement ininterrompu semblable à une vague déferlante. A coté le couple ; abandonnant son caddie elle tente de se cacher en se glissant derrière un groupe de personnes, vainement. Le plus discrètement possible elle se tourne, décontenancée. Aujourd’hui elle veut les voir sans être vue pour mieux comprendre mais après quelques grimaces de déconvenue elle leur tourne carrément le dos. Tente une nouvelle tentative : perdue d’avance . Elle se rend compte qu’il lui est impossible de les voir sans être vue ; reprenant son caddie, d’un air détaché elle tourne carrément le dos aux caisses, disparaît dans la grande surface.
Son dernier roman la tracasse, malgré de gros efforts elle tâtonne avec des difficultés à se concentrer, mécontente elle est nerveuse, agressive, . Je dois absolument faire aboutir cette histoire, il y va de mon travail : de mon mental. Prise de panique devant ce problème, désespérée elle aimerait avoir sa Manie, elle ne l’entend pas ! Elle doit se dépêtrer toute seule. Qu’elle malédiction pèse sur moi ! Qui pourrait m’aider ! La gorge serrée par l’angoisse, l’estomac noué elle se faufile comme elle peut, plonge son nez dans son caddie vide. Ses pensées sont distraites par la difficulté d’avancer, mais de nouveau elle pense au couple : il pourrait lui servir de modèle pour son prochain roman mais elle n’arrive pas à imaginer un roman avec eux « Il y a autre chose que je ne comprends pas. Ce couple m’attire. Elle a souvent pensé les séparer, en vain. Têtue, obstinée, aidée par cette insouciance qui la caractérise elle garde confiance : c’est pourtant un sujet qui s’offre ! Elle rechigne de s’en servir…! En soupirant Christie chasse ces pensées désagréables, retrouve son entrain et son allant que lui apporte la grande surface.
Les rayons regorgent de nourriture, tout l’attire. Le nez piqué dans le rayon des pâtisseries avec effort elle s’éloigne puis revient, le spectacle la ravit. Toutes ces pâtisseries alléchantes l’attirent follement par leurs formes, leurs couleurs. Elle va du rayon boulangerie au rayon pâtisseries, fascinée, dans un soupir déchirant s’en éloigne : c’est une histoire, chaque fois dans ses sorties Christie pique du nez devant toutes les boulangeries, les pâtisseries, n’hésite pas à traverser la rue pour aller voir la vitrine d’un boulanger. Tony suit docilement entraîné par elle. Aujourd’hui devant ces rayons tentateurs qu’elle renifle, savoure : va t- elle acheter ? Va- t- elle se laisser aller ? Une petite tarte aux pommes pourquoi pas… un baba au rhum ? Une tarte Tatin ? Elle salive. Prise de remords, fautive devant sa gourmandise elle se sermonne, penaude elle entend la voix de sa chère Manie : Fais attention Nanette surveille là, elle est déjà bien rondelette…rondelette… Ces mots raisonnent dans sa tête en ce moment ! : Christie est terriblement tourmentée, tentée comme le diable elle va franchir le mur de la tentation devant une tarte Tatin ! Après un moment d’hésitation et dans un effort de volonté suprême et un soupir déchirant elle prend l’ultime décision de s’en aller… mais la tentation est trop forte, elle revient : fatalement le rayon la nargue de nouveau. Décidemment elle va prendre un petit gâteau, une tarte Tatin qu’elle met avec précaution dans son caddie vide. Le caddie plein du petit gâteau, fière de sa décision elle s’engage dans les méandres de la grande surface où l’abondance des marchandises l’étonne chaque fois. Elle va… s’excuse.
Les vendredis succèdent aux vendredis : semblables.
Et tous les vendredis pour de petits achats elle va dans la grande surface près de chez elle.
Il s’irradie de Christie un air avenant qui lui donne de bonnes relations avec les autres, l’ambiance de la grande surface lui sied.
Des regards, des sourires aussi, des frôlements, un contact bref rarement agressif. Les mêmes situations les mêmes encombrements de caddies chaque fois… après trois ou quatre pas rapides elle trouve enfin le rayon qu’elle cherche. Devant la variété des produits, des marques multiples elle prend son temps lit la composition de l’article. Quelques plats cuisinés, des fruits, des gourmandises…. des bouteilles d’eau. Dans un mouvement de colère devant son impuissance à ne pouvoir se libérer de ce couple elle prend rapidement les allées terrorisée à l’idée de le manquer !! Une fois son trajet repéré après un volte-face pour prendre la bonne direction elle regarde sa montre deux fois puis se dirige vers sa caisse 17 : un sourire par ci, par là pour se faire pardonner de déranger, encore quelques caisses à passer, les gens s’exécutent bon gré, mal gré. Avec beaucoup de patience et d’adresse, le bon vouloir de tout le monde elle est enfin à sa caisse 16 elle va attendre, la file est longue : un regard sur sa montre pour se rassurer
Il est dix huit heures.
Reprenant sa respiration elle se recroqueville en espérant passer inaperçu. N’osant pas regarder n’y tenant plus elle s’enhardie se tourne doucement mais incapable de voir sans tourner la tête ennuyée devant cette nouvelle difficulté elle fait semblant de regarder autour, rusant en se tournant un peu plus, s’excusant. Les gens patiemment attendent. La panique la gagne: de nouveau elle tourne la tête d’un côté de l’autre, l’étire un peu plus enfin elle prend la décision de la tourner en faisant semblant de chercher quelque chose. Soulagée, le couple est là à la caisse 16 à dix huit heures précise. Ils se regardent, de brefs coups d’œil pour s’évaluer donnent à Christie l’envie d’être invisible mais malgré tous ses efforts leurs regards se croisent. La prochaine fois elle essaiera de le voir sans être vue : pour cela il faudra trouver une autre tactique un autre stratagème. Sceptique devant la suite des événements Christie hausse les épaules : c’est inutile après tout… Quelle bêtise me suis-je mis en tête :
Un accord tacite s’est créé pour se retrouver tous les vendredis à dix huit heures à leur caisse respective, 16 et 17 ! Ce serait si simple de se parler, de se rencontrer dans d’autres lieux, s’inviter ! Mais Christie n’est pas prête : son émotion doit rester intacte, elle doit la préserver, c’est son apanage, et elle s’y plait tellement ! :
Elle va continuer ce jeu qui la tourmente et l’attire follement. Cette histoire peu banale la fascine : ces rencontres incertaines, la curiosité, la crainte d’un échec ! Continuer , le désir est fou !
Christie se trouve dans une situation inextricable. Cette affamée de sensations, cette passionnée va continuer de chercher à voir ce couple dans la grande surface.
Accoudée sur son bureau, tassée, la tête dans les mains, songeuse, soucieuse elle se lève pour aller vers sa fenêtre en soupirant puis reprend son travail. Elle relit le conte pour enfant qu’elle a écrit, fait quelques corrections…. le cœur n’y est pas.
A droite de la fenêtre une table d’angle sur laquelle trône une belle photo de Tony, des photos de famille : son papa, sa maman, sa grand-mère, sa tante Amandine, quelques photos prises dans des voyages. A gauche de la fenêtre une élégante lampe perchée sur deux hautes colonnes. Sur le mur de gauche une belle tapisserie de la dame à la licorne, au dessous un divan lit, en face son bureau, quelques étagères avec des livres, des revues, des romans policiers (son passe temps favori). des babioles. Contre le mur face à la fenêtre un placard blanc, à droite un fauteuil. Sur le sol un très beau tapis persan offert par toute la famille donne un aspect cossu à la pièce : c’est dans ce cadre que Christie passe les trois quarts de son temps. La rigueur de l’ordre n’enlève pas l’impression chaude, accueillante que l’on ressent en entrant. Une grande fenêtre éclaire agréablement la pièce.
Dans la maison accueillante on entend régulièrement : chérie ? Lorsque la tante Amandine est là, c’est chérie par ci, chérie par là.
- Que fais-tu ? Viens près de moi ma chérie. C’est toujours chérie avec tante Amandine lorsqu’elle parle à Christie, l’appelle, car tante Amandine dans son immense élan d’amour pour sa petite nièce claironne avec une facilité déconcertante ces petites chéries, ou mon amour de chérie pour ce petit bébé merveilleux ci bien qu’elle a baptisé Christie tout naturellement Chérie : Les années ont passé… c’est rester dans ses habitudes : souvent nous avons droit à une anecdote qu’elle adore raconter : un jour téléphonant à Christie : Allo Chérie ? Elle est tombée sur un monsieur fort agréablement étonné et surpris, s’excusant et regrettant de ne pas être cet heureux élu : vous avez une voix chantante madame. Amandine confuse par sa bavure bégayant des excuses raccrocha. Toute la famille connaît l’histoire par cœur ! (Ce monsieur, n’a jamais appelé) Elle pouponnait sa chérie, l’amenait dans le parc pour la promener dans son landau afin de soulager sa sœur, puis ce fut les promenades avec son petit vélo. Christie lançait de joyeux cris à la vue d’Amandine, battait des mains, trépignait d’impatience. Depuis toujours Christie a entendu au bout du fil : chérie ? Mais, depuis sa mésaventure tante Amandine fait très attention et de sa voix chantante et chaude au timbre gaie, elle dit : Christie chérie ?
- Chérie, pourquoi tu n’as pas un ordinateur, avec Internet nous pourrions communiquer. Christie téléphone souvent à sa tante
- Quelquefois j’y pense, peut être, qu’un jour…