CHAPITRE 10 Un espace avec des panneaux d’affichages, des escaliers, des escalators, des entrées des sorties, plus loin des espaces réservés aux voyageurs, des guichets, une immense ferraille bien organisé, c’est la gare : lieu impersonnel où Thomas est projeté seul. Il suit les indications avec application, hésite puis s’engage vers l’escalator qui le projette une fois de plus sur une plate forme où il va franchir l’espace qui le mène sur le quai
Thomas planté devant le panneau d’affichage attend, jette un regard sur sa montre se félicite d’être en avance. Dans le hall (c’est si nouveau pour lui) curieux, avec cran il s’adapte à sa nouvelle situation. Des kiosques à journaux, des marchands de sandwichs, de boissons. Thomas respire un bon coup, car contrairement à son apparence il est angoissé par ce mouvement inhabituel. Plusieurs fois il lit le panneau d’affichage et encore le panneau d’affichage pour être bien sur de ne pas se tromper. Quelques pas vers une devanture, puis vers une autre, Il cherche dans le kiosque à journaux, feuillette un livre, regarde les plans de Paris, tout compte fait en achète un. Depuis toujours il a appris à être économe, comprenant le travail, la peine qu’ont eu ses parents à gagner leur vie. Thomas n’est pas attiré par tout ce qui s’offre à lui, il regarde, tourne dans cet espace remuant et bruyant se faufile au milieu de gens encombrés de leur bagages,et découvre avec curiosité toute la panoplie d’une gare. Encore un regard sur le panneau d’affichage, Il a encore un bon quart d’heure devant lui. Avec son sac d'où pendent ses chaussures, d'une allure décontracté, des regards curieux, Thomas prend de l’importance. Protégé jusque là par ses parents il n’avait pas réalisé qu’il avait une propre existence. Il jette des regards autour de lui, des regards sérieux. Des jeunes assis par terre sur leurs sacs, des groupes, des familles avec leurs enfants, des hommes et des femmes seuls. Il regarde les filles : des regards entendus Thomas devant cette audace sent le rouge lui monter aux joues. Il scotche son regard sur elles, encore plus troublé il se tourne. Entouré de toute cette agitation il cherche un coin pour se réfugier, finalement il s’appuie contre la balustrade de l’escalier qui mène au métro. Le regard dans le vague il se revoit petit garçon entouré de ses parents, il pense à ses calanques… Il doit faire un effort pour sortir de cette torpeur qui l’envahit, le projette dans son enfance, protégé par sa mère son père. Il regarde autour vaguement, retrouve les moments où il avait sa main dans celle de sa sœur, pousse un profond soupir : il cherche à s’échapper de cet endroit sévère, froid. Paris l’effraie, il pense au copain en vacance chez sa grand-mère qu’il retrouvera : une aventure où il faudra se prendre en charge. Quelques pas vers un groupe de jeunes, intimidé il fait une volte face regarde le panneau d’affichage une nouvelle fois ! Un bruit de voix incompréhensibles : c’est l’annonce de son train.. Avec un soupir de soulagement il se dirige quai quatre, jette un dernier coup d’œil sur ces jeunes freluquets aux regards insolents qui n’arrêtent pas de le reluquer. Il a bien oblitéré son billet, retrouvé son numéro de wagon, le numéro de sa place. Rétréci il va dans cette masse de ferraille. Il précipite son allure, tâte ses poches. La bousculade dans le couloir, les mains tendues vers les portes bagages, le frôlement des gens qui passent, Thomas n’est pas habitué. Il est grave, attentif, poli, prêt à rendre service. Embarrassé il descend sur le quai, regarde les voyageurs nerveux accompagnés de parents ou d’amis. Afin de se donner une bonne contenance ses mains dans les poches il fait quelques pas le long du quai.
C’est son première voyage, seul. Il regarde les allées et venues des voyageurs, tout ce monde soucieux de prendre son train : les mains poussent les valises les soulèvent, avec peine les hissent à l’intérieur du train. Le contrôleur observe, renseigne, vient en aide aux voyageurs étourdis. Thomas retourne à sa place, aide à placer la valise d’une dame. il s’assoit grave : il a pris conscience de l’existence des autres.
Le train avale les kilomètres. La tête appuyée contre l’appui tête il regarde le paysage, curieux. Il voudrait lutter contre une léthargie qui l’envahit. Bercé par le bruit lancinant, le léger mouvement du train, il tombe dans une apathie, une somnolence qui l’amènent dans des rêves où son père sa mère, sa sœur l’entourent. Il meurt doucement.
Ces parents se sont privés afin de payer les études à leurs enfants, une vie sans problèmes... Marie studieuse réussissait, lui rêvait. Depuis toujours la mer l’attire et aux fils des années en côtoyant les hommes de la mer il s’est pris de passion pour ce métier : qu’importe tous les désagréments. Son grand tourment pour le moment est de l’annoncer à ses parents. Il entend son ami Paul : eh bien ! Tu leur diras tout de go : je serai pêcheur : c’est mon futur métier, et tu insisteras.
Ce besoin inextricable de vouloir aller sur un bateau vers les mers lointaines pêcher de gros poissons est une vocation. Se réveillant de sa torpeur il voit le paysage défiler. Les mains posées sur son livre il se rendort, et dans son rêve il est un petit enfant entouré de son père, de sa mère, de sa sœur : une sensation de bien être infini , une mort douce vers un sommeil profond.
- Théo, pourrais tu me dire l’heure s’il te plait ?
- 16 heures
- Merci
- Pourquoi tu t’énerves ? Théo regarde Marie qui n’arrête pas de bouger dans tous les sens, elle est sous pression, enfin elle s’arrête.
- Tu ne trouves pas sa lettre bizarre. Théo son journal dans les mains n’aime pas être dérangé quand il lit.
- Quelle lettre ?
- De mon frère.
- Non ?
Marie hausse les épaules puis retourne à ses occupations.
- Tu veux que je te la relise.
- Non !! Tu l’as lue déjà plusieurs fois, je la connais par cœur. Je ne te comprends pas, qu’est-ce qu’il y a de curieux ? Ton frère vient, un point c’est tout.
- Je ne m’inquiète pas, au fond...
Tout est prêt pour l’arrivée de Thomas. Marie a choisi sa plus belle robe puis un petit collier assorti pour compléter. Perturbée. Elle veut être belle pour accueillir son frère. Après s’être regardée dans tous les sens, plusieurs fois en se tournant se retournant, de dos, de face, jamais contente elle arrange ses cheveux puis va chercher l’agrément de Théo.
Les quais sont encombrés : des bagages partout jonchent le sol. Le panneau d’affichage indique qu’il y a un quart d’heure de retard ce qui lui permet d’aller s’asseoir sur une banquette où elle a pisté une place. Marie jette un regard autour d’elle des pensées décousues elle se demande ce qu’elle va dire à son frère : un frère souvent absent quand elle va chez les parents. La dernière fois, il l’avait impressionnée par sa grande taille, son visage d’archange. Elle fait ses calculs : ce n’est pas si loin... Le temps lui parait interminable. Marie d’habitude si paisible s’énerve.
- Au moins si Théo était là...
Elle tend l’oreille, écoute l’annonce du train. Emue. La foule est dense, elle s'installe pour être vue.
Au loin un grand jeune homme apparaît.
- Thomas ! Le contact est gauche, timide, discret. Marie est étonnée d’avoir un frère si beau. Il a fallu si peu de temps pour faire de lui un homme, un superbe jeune homme, avec de beaux traits d’homme où la nature a réussi un chef d’œuvre de délicatesse. Marie reste ébahie, muette devant son frère. Toute troublée elle n’ose pas le regarder. Elle baisse les yeux devant ce beau jeune homme qu’elle reconnaît à peine. Thomas est peu démonstratif, devant sa grande sœur son visage parle, un gentil regard, un sourire l’illumine. Il attrape Marie par le bras : c’est sa façon de lui montrer son affection.
- Tu as fait un bon voyage, c’était pas trop long ?
- Non. .
- C’est bon que tu sois là.
- Tu vois ce guide : il lui montre le guide de Paris ; je me suis documenté, j'ai une petite idée des monuments que j’aimerai voir, nous verrons ensembles, tu m’indiqueras.
- Nous avons le temps : Marie attrape son frère, l’entraîne.
Ils sont semblables tous les deux, beaux, beaux comme des anges. Devant son frère Marie est transformée, embellie, le saisissant par le bras elle l’entraîne fière d’avoir son grand frère sous son aile protectrice. La foule est dense, les gens traînent leurs valises, d’autres attendent droits comme des piquets, leurs parents, leurs amis. Ils doivent se faufiler : Thomas est étourdi par le monde. La fourmilière humaine sur le parvis s’éparpille dans tous les sens, pressée. C’est une débauche de monde qui marche vers sa destination. Discrètement il regarde Marie.
Oh ! Marie, comme tu ressembles à Maman !