CHAPITRE 8
Christie ne se lasse pas d’admirer sa tante Amandine, cette belle femme : moulée dans un short, ses longues jambes posées sur la murette, décontractée, élégante, nonchalante, elle lui rappelle le chat de son arrière grand-mère. D’un gracieux mouvement du buste elle se tourne vers Christie.
- Je boirais bien un thé, pas toi ?
- Si, si.
- Alex ? Peux tu nous faire un thé s’il te plait ? Alex ne fait que quelques apparitions, quelques mots, quelques blagues quelques plaisanteries pour se faire pardonner de ne pas être avec elles. Il apparaît puis disparaît, juste à peine le temps pour Christie de l’admirer.
- Alex ! Viens avec nous.
Professeur de tennis Alex est un très bel homme, d’un pas élastique et souple il passe devant elles. Christie mécontente veut le voir.
- Alex ! Viens t’asseoir.
- Je termine.
Il astique son vélo.
- Tu peux t’arrêter tout de même. Viens t’asseoir.
- Je dois terminer.
- Nous venons admirer, ensuite tu viens.
- Quelle belle bicyclette.
- Elle m’a coûté cher c’est un des derniers modèles.
- Allez... tu fais le thé.
Alex se décide, enfin il arrête La préparation du thé prend toujours un petit moment, Christie en profite pour confier à tante Amandine ce qu’elle n’a jamais dit à personne.
Tante Amandine, j’ai fais un rêve bizarre, il y a longtemps. C’est une hallucination, un rêve tu vois qui me poursuit.
- Non je ne vois pas, qu’est- ce que c’est ma chérie.
- C’est inutile.
- Pourquoi tu m’en parles alors ! Tu as donc des choses à cacher à tante Amandine ?
Amandine aimerait comprendre, elle regarde Christie interrogative : l’arrivée d’Alex met fin à leur conversation. Christie ne s’étonne pas qu’ils soient ensemble depuis cinq ans, il sont vraiment assortis, c’est un recors pour tante Amandine Christie aime voir ce bel homme si différend de Tony.
- Nanette ? Manie installée dans le salon son endroit préféré pour se reposer accroche Nanette au passage, C’est toujours la même chose, toutes les histoires de famille y passent : son mari Alphonse, ses filles Amandine et Nanette, sa petite fille Christine, et Dieu sait quoi encore ! Car Manie est mécontente elle cherche toutes les occasions pour passer sur sa fille sa mauvaise humeur.
Avec un air innocent.
- Qu’y- à- il maman ?
- Viens t’asseoir près de moi.
Nanette sors son tablier s’installe près de sa mère.
- Je pense souvent à ton père ... Alphonse était un bien brave homme, on s’entendait si bien ! Il me manque, tu ne peux pas savoir : jamais une dispute.
Nanette n’en croit pas ses oreilles, elle explose :
- Quoi ! Je pourrais te rappeler toutes les fois où tu as claqué la porte rouge de colère. : Manie reste perplexe devant les remarques de sa fille.
- Il faut que tu te rappelles ces disputes ! Je te ferai remarquer que j’avais raison : ton père le reconnaissait d’ailleurs, puis, préférant changer de conversation : tu as des nouvelles de Christie ?
- Elle a téléphoné jeudi comme d’habitude.
- Il y a quelque chose de changer en elle, tu ne trouves pas ?
- Elle fait sa vie !
- Oui, bien sur, mais je crains le pire.
- Ah ! Mais tu ne vas pas recommencer !
- Je te confesse seulement mes inquiétudes Nanette. Son regard est absent, elle semble être ailleurs, je la saisis mal, je ne la comprends pas, elle ressemblerait à Alphonse, tu ne trouves pas ?
- Eh ! Bien, ce pauvre Alphonse qui n'est plus là prend tout, et pourquoi elle ressemblerait à son grand père plutôt qu’à sa grand-mère ! Et puis c’est ta petite fille, tu ne peux pas t’en passer, c’est tout. Elle ressemble à toi voilà.
(Cela fait longtemps qu’elle s’entend dire qu’elle lui ressemble : elle n’y fait plus attention) Elle écrit : je comprends ! C’est son dada, ce métier est bien difficile, et encore je suis gentille en le nommant métier, car pour moi ce n’est pas un métier. Tu vois j’aurais aimé qu’elle ait une place stable, comme toi ! Comme ta sœur Amandine ! Je suis chagrinée de la savoir seule des heures entières dans son studio. Nous faisons notre possible pour la distraire, elle a l’air bien…de qui tient-elle ce besoin de solitude, ce coté bohème, tu vois ses habits comme ils sont ? Sa coiffure, cette liberté qu’elle affectionne, moi, je pense qu’elle est prisonnière d’une idée.
- Elle fait la vie qui lui convient, toute sa vie sera comme ça Maman.
- Oui. Ton père était un grand sensible, un grand rêveur : il aurait mieux compris Christie.
- Viens Maman nous allons boire le thé.
Dans la cuisine, assises près de la table elles regardent Alex préparer le thé.
Manie habite prés de sa fille où elle passe la plupart de son temps : elle l’aide dans ses travaux ménagers. Nanette sait que chaque fois elle va avoir droit aux jérémiades de sa mère : Que fait Christie…que devient elle, etc.…etc.…
Christie doit se secouer : car c’est un vrai duel entre Christie et sa paresse, (Christie est une paresseuse) elle aimerait attendre tranquillement dans son fauteuil, rêver, ne rien faire est son plus cher désir. Elle échappe à cette léthargie avec des petits gâteaux, des gourmandises. Il y a bien des fumeurs autour d’elle beaucoup qui lui montrent cet exemple auquel elle n’a pas succombé, mais elle a remplacé ce vice par une gourmandise qui hélas est bien réelle. Hélas, trois fois hélas elle est gourmande, très gourmande et il lui faut ces compensations pour trouver le courage de se remuer, elle s’accroche à son travail comme à une bouée de sauvetage, elle fonce.
Quand elle revient de la grande surface elle déballe sa marchandise, tout en grignotant lit ses lettres, met son pyjama, puis écoute son répondeur. Régulièrement son ami Tony l’appelle : il travaille à Londres dans une société d’Import – Export, ses activités l’obligent à vivre à Londres. Dans son dernier message son ami l’assure de son arrivée pour le week-end prochain. Ils se sont connu par hasard près de l’ascenseur : celui ci était en panne, Ils ont engagé la conversation sur les ascenseurs qui ne marchent pas : « ce qui est très gênant lorsqu’on a plusieurs étages à monter avec des sacs » puis ils se sont regardés, se sont jaugés, quelques coups d’œils en coin,
- Nous pourrions faire plus ample connaissance, voulez vous ? Au restaurant par exemple. Christie n’a pas hésité, d’un coup d’œil à peine perceptible elle a vu un jeune homme un peu guindé, un peu dandy, un tantinet coincé
Malicieuse :
- Je suis libre, quand vous voulez.
C’est bon, ne m’en dites pas plus. Puis avec un bon sourire, laissez moi deviner s’il vous plait. Ils se sont donnés rendez-vous dans un restaurant place Saint Michel, ils ont noté le nom du restaurant et se sont quittés sur un large sourire. Puis se fut un nouveau rendez-vous. Depuis ils ne se sont plus quittés et se retrouvent soit à Paris soit à Londres. Ces rendez-vous espacés sont chaque fois des retrouvailles pleines de passion, difficiles aussi car Tony est discret, très british. Devant lui elle bégaie, cherche ses mots Les débuts furent difficiles avec des quiproquos qui les mettaient dans des situations gênantes, comiques, mais qui se terminaient toujours par de grands éclats de rire.
D’une curiosité insatiable, avec de longues enjambées il entraîne Christie qui trottine près de lui avec peine. Chaque fois ils partent ensemble à la découverte de nouveaux quartiers « c’est un régal pour Christie ». Toujours cravaté, élégant, Tony est style dandy, et chaque fois en le voyant elle est attendrie par ses manières, sa tenue vestimentaire. Ils vont tous les deux d’un pas vigoureux par les rues de Paris.
Tony est passionné par l’histoire de Paris, il ne peut pas s’empêcher de raconter les évènements qui ont marqué les monuments. Il veut intéresser Christie qui doit faire d’énormes efforts pour l’écouter car chaque fois lorsqu’elle rentre sa tête est lourde, elle doit évacuer pour retrouver son compagnon. De son coté son ami est fier de Christie si surprenante. Pensif, il s’interroge : comment faire pour mieux la comprendre, elle est si différente des femmes que j’ai connu. . Porté par le bel enthousiasme qui caractérise Christie il oublie les convenances. Satisfait de sa promenade il rentre avec pleins de projets en tête, mais comme toujours Christie a de la peine à le suivre, elle est une énigme pour son ami, aujourd’hui sous son charme il ne pense qu’à l’embrasser, la caresser.
Devant l’enthousiasme juvénile de Christie, ému, il s’interroge découvre de nouvelles facettes de son caractère qu’il était loin de soupçonner, lui, si rigide se laisse aller. De temps en temps il s’amuse à lui dire : tu m’encanailles ! Christie.
Elle lui vole un baiser au coin d’une rue et, devant son regard offusqué le taquine.
- Je t’aime Tony.
Tony dépassé ne comprend rien à cette relation qui lui semble rocambolesque entre Christie et son couple, toutes ces « bizarreries » lui paraissent enfantines alors en souriant il lui dit : mon quotient intellectuel n’est pas assez fort.
Isolée Christie est seule, alors pour se rassurer et essayer de comprendre elle va à la grande surface où les rayons parfaitement alignés, les aliments soignés, bien disposés, bien sélectionnés sont un plaisir des yeux. Elle a choisi un jour calme car elle veut traîner dans le magasin. : c’est son plaisir, trouver l’article rare celui qu’elle ne voulait pas acheter mais qu’elle achète. Nonchalamment, un peu hautaine, séduite par cette orgie d’articles qui l’entourent Christie se laisse aller achète une petite lampe d’ambiance en forme de bougie. Réjouie par son achat, impatiente de l’essayer rapidement elle va vers sa caisse. Dans son appartement après un moment d’hésitation elle s’assoit devant son bureau. Le dos bien calé sur le dossier de sa chaise, débordée par tout le fatras qu’il y a dans sa tête elle se lève va à sa fenêtre : son coin privilégié. Un long soupire, puis elle va allumer son poste, se rassoit se relève, revient à sa fenêtre songeuse. Elle ne peut pas se concentrer. : Ce soir je m’éclaire avec ma lampe d’ambiance. Elle attrape son portable.
- Allo ? Tony ? Pourrais-tu me ramener du thé de Londres s’il te plaît ?
- Crois tu que ce soit raisonnable de me demander d’acheter du thé Christie !
- Et pourquoi pas ! J’ai envie d’une marque, je ne me souviens plus le nom. Tu le choisiras, je suis sure que ce sera le meilleur.
- Du thé !
- Et oui ! Du thé. Qu’est-ce qu’il y a de si drôle à ça ?
- Bon d’accord, je t’achèterai du thé.
- Tu n’oubliera pas ?
- Quelle marque ?
- Je ne sais plus.
- Ah ! Bon.
- Du thé Tony, n’importe….
- Je n’oublierai pas : ma chérie comment vas-tu ? Ce n’est pas son genre de l’appeler, ma chérie, il faut qu’il soit sacrément inquiet.
Sa voix tendre chavire Christie.
- Ca va très bien. Tu me ramènes du thé de Londres, il sera meilleur choisi par toi. .
- S’il te plaît, voyons je ne te comprends pas. Dans ta grande surface tu trouveras ton thé !
- J’ai oublié la marque, le nom ne me revient pas. Il est excellent, je n’arrive pas à retrouver le nom. Oh ! C’est trop bête ! C’est stupide. Tu prends le meilleur, vas chez un spécialiste il te renseignera.
- J’ai quelques jours Christie, je viens, ne m’attends pas à l’aéroport j’aime te retrouver dans ton studio : je t’appelle, surtout ne te fais pas de souci ma belle Christie, à bientôt ma chère : jamais Tony n’avait été aussi expansif.
- Merci Tony, tu n’oublieras pas le thé. Beaucoup de bises de ta Christie.
Elle est inquiète à la pensée qu’ils ne vont pas se comprendre, qu’il y aura entre eux cette histoire de couple. Elle devra trouver les arguments pour l’intéresser, essayer par petites touches de lui faire prendre au sérieux son histoire, alors qu’elle est pleine de bonnes résolutions et après avoir trituré ses méninges elle en conclue : c’est impossible de lui expliquer l’inexplicable ! Il est tellement éloigné de cette histoire, de mon histoire. Je vais le tracasser inutilement, et me tracasser aussi. C’est un cœur généreux, il est attentif à mon travail, à mes sorties, à mes amis : je l’aime. Mais là : c’est l’incompréhension : Il y a en ce moment dans la vie de Christie un moment difficile dont elle n’arrive pas à émerger. Devant cette situation inextricable Christie soupire, elle connaît Tony ! Il va l’écouter plein d’indulgence, faire semblant de comprendre afin de lui plaire mais il sera dépassé! Alors elle lui dira avec philosophie : « Ne te fais pas de souci, ça s’arrangera tout seul. Mon travail n’en souffre pas ! je dois même y mettre un frein. Puis elle ajoutera philosophiquement : cette situation au fond est banale, n’y attachons pas d’importance. » C’est justement la banalité de cette situation qui la laisse pantoise, la banalité des personnages… Pourtant l’attirance est là, et chaque fois elle a le même plaisir, la même sensation. Ils ont envahi sa vie tous les deux au point qu’il n’y a pas un seul instant sans qu’elle en subisse leur magnétisme. Alors, pour s’en libérer sac au dos elle arpente les rues de Paris. Son désir d’aller vers le monde, ses promenades où elle croise toutes sortes de gens, si divers, actifs, nerveux, qui vaquent à leurs occupations, le bruit, les devantures, tout ce mouvement lui fait oublier son problème : le couple de la grande surface. De retour dans son appartement, fatiguée elle se vautre dans son fauteuil, épuisée par sa journée elle voudrait se détendre mais naturellement l’image de son couple resurgit : De tous les moments de ma journée, c’est celui qui me donne le plus de bonheur, de joie .