. Elle a de la difficulté à faire l’effort nécessaire pour partir. Etrangement depuis l’arrivée de son frère elle est projetée dans la grande surface où cette personne la tourmente et c’est ici sur ce banc, égarée dans ses pensées qu’elle le réalise. Effondrée par le poids de cette constatation elle sombre doucement
: Marie curieuse de la tournure que va prendre cette histoire ne fait rien pour éloigner Théo de la jeune femme, au contraire. Les fois où inquiète devant le visage préoccupé de Théo n’ont pas réussi à lui enlever l’envie de la revoir : elle tressaille : un jeune chien tout joyeux lui caresse la jambe. Ils n’ont pas envie de voir aboutir cette histoire l’un comme l’autre : cette étrange rencontre les fascine : cette incertitude, cette victoire chaque fois de se revoir à leur caisse respective la 16 et 17 tous les vendredis, ce rendez-vous étrange, cette pensée unique à trois Théo Marie Christie d’être à leur caisse la 16 et la 17. font partis d’un jeu qui ne sera pas sans conséquences En ce moment à la pensée de revoir la jeune femme de la grande surface elle est paralysée, son émotion est si forte qu’elle s’entend murmurer, Théo je t’aime. Sa pudeur excessive entraîne son ami dans un isolement qui maintenant fait parti de leur vie courante. Elle ferme les yeux pour mieux comprendre, mieux goûter son émotion lentement, doucement, seule assise sur ce banc. Tout ce bouscule dans sa tête, leur départ précipité pour la grande surface, la jeune femme, les retrouvailles, l’émotion contenue, profonde, Marie continue ce jeu innocent « croit-elle » où elle s’enfonce irrémédiablement. L’arrivée de son frère lui fait découvrir l’immensité de sa détresse, ce dénouement qu’elle soupçonne, elle y va impuissante. Avec un soupir, pleine de désarroi elle se lève enfin, arrange ses cheveux, glisse sa main sur son front sur ses yeux. Marie se lève puis se rassoit la main sur son cabas, indécise. Marie ne comprend rien à ce manque d’enthousiasme devant l’arrivée de son frère. Marie la pudique, pudique jusqu’au bout des ongles a peur d’être ridicule. Leur vie se déroulait...
C’était ainsi
Aujourd’hui douloureusement elle comprend que son attirance est beaucoup trop profonde, qu’il y a chez cette personne autre chose, ce regard qui la perce, cet intérêt inquiétant ! Elle frissonne, jamais jusque là elle n’avait connu des instants où le mystère la transporte dans un monde qu’elle ne connaissait pas, qu’elle découvre et lui donne un bonheur qu’elle n’a jamais connu, jouissant de cette funeste émotion Marie se lève enfin pousse un profond soupir.
La main sur la poignée, un instant d’hésitation, une joie, une peur la gorge serrée elle entre.
Théo et Thomas sont dans une conversation édifiante semble t-il car il ne la remarque pas. Marie sur la pointe des pieds s’approche d’eux pour les surprendre. Elle retrouve son énergie et sa joie de vivre.
: Installés devant la table ils paraissent bien innocents ces trois joyeux compères, en apparence du moins, car ils font leurs petites affaires en sourdine, tous, sans ce soucier le moins du monde de l’autre. Mais dans ce groupe l’amitié règne. Devant ces jeunes gens si beaux que votre gorge se contracte, une oreille étrangère serait charmée par leur babil, ils ont tant à raconter ! Marie les mains jointes, les coudes sur la table, écoute, observe, donne rarement son avis.
- Demain, Thomas nous allons à la grande surface. Veux tu venir avec nous ?
- Je ne sais pas, je dois voir mon copain, il est à Paris, et doit m’appeler, soyez sans crainte il est bien.
- Je pense que tu n’es pas là pour aller dans une grande surface, tu téléphones à ton copain comment il s’appelle ?
- Derrick
- Bon tu as rangé tes habits, tu devrais peut être appeler ton ami. Thomas saisit son portable.
- Derrick ? Bonjour. Je suis chez ma sœur, c'est comme tu veux, c’est bon. Tu me prends… puisque tu insistes je te donne l’adresse… O K à demain.
Il passe me chercher demain. C’est un copain de lycée, il est chez sa grand-mère. : Marie s’est mis dans la tête d’aller avec son frère dans la grande surface.
Assis autour de la table silencieux. Marie avance sa petite main pour prendre la main de Théo, ce silence impressionne Thomas : doit-il parler à Marie.. devant ce silence il fonce.
- Marie, j’ai besoin de te dire quelque chose qui me tourmente et que je n’ai pas encore osé dire à nos parents, j’ai besoin de t’en parler, avec les parents il y aura des disputes. Je veux que tu me dises ce que tu en penses. Je veux être un pêcheur du grand large. Marie son regard dans le vague l’entend à peine tellement sa surprise est grande.
- Marie ! Tu m’entends ? Elle regarde ce magnifique jeune homme, les mots s’étranglent dans sa gorge, elle reste à le regarder. Toussotant afin de s’éclaircir la voix tendrement tente de lui donner son opinion sans le froisser. (Il est tellement différent des hommes des bastingues… !)
- Thomas tu as bien réfléchi ? C’est toute ta vie que tu engages ! Marie regarde de nouveau avec insistance son frère : des souvenirs mêlés de nostalgie : des regrets d’avoir été éloignés trop longtemps l’un de l’autre, retenant un soupir elle tente d’expliquer à Thomas son point de vue : un raclement de gorge pour s’éclaircir la voix elle s’approche de lui. .
- Thomas mon chéri, tu sais combien nous t’aimons tous, et combien nous n’avons aucune envie de te contrarier, (Marie s’empêtre dans les mots) tu as bien pris conscience de ton engagement ! C’est si grave et si peu en harmonie avec ton physique, moi, vois tu je te verrai faire du cinéma ou du théâtre. Montre moi ton profil…tourne la tête de trois quart… de face… (Thomas bonne pâte obéit) un mètre quatre vingt cinq, mince. Tu as tout d’un jeune premier. je te verrais faire du cinéma, du théâtre, puis sans raison elle part d’un fou rire si contagieux que Thomas et Théo pouffent aussi, une cascade de rire s’enchaînent ils ne peuvent plus s’arrêter, enfin les rires s’égrènent à bout de souffle ils se regardent vidés. Les yeux brillants Marie regarde Thomas. C’est ainsi que Thomas a eu l’approbation de Théo et de Marie. Pourtant Marie insiste la conscience troublée.
- Tu n’as pas le physique, mais tu as la force morale, la volonté, la foi, c’est le principal. C’est ce que tu veux ? Alors c’est ta voix. Je suis fière de toi Thomas. L’émotion le fait rougir : l’approbation de sa grande sœur lui redonne du souffle.
- Merci Marie.
- Les parents sont au courant ?
- Non.
Elle se lève pour prendre sa veste dans la penderie, leur conseille de prendre un vêtement chaud. Réfléchissant devant sa garde robe en fronçant le front elle constate la pauvreté de ses habits. Avec un long soupir elle se rabat sur ses godasses, conseille à son frère d’en faire autant. Enfin ils sont prêts pour leur promenade dans Paris, ils ont choisi les quais de la Seine. De retour, épuisés, affalés sur le divan, ils n’ont qu’un mot : c’est beau Paris.
- Tu aimes le thé Thomas ?
- Oui.
- Est-ce que père et mère sont au courant de ton désir d’être pêcheur ?
- Pas encore.
- Quand penses tu leur dire ?
- Oh ! Rapidement.
- Tu as un capitaine ?
- J’en ai un.
- Tu lui en as parlé ?
- Non. Je le ferrai à mon retour.
- Il est bien, tu es sur de lui ?
- Ne te fais pas de soucis, il veillera sur moi comme sur son fils, m’apprendra le métier, je suis tranquille. La tasse au creux de leurs mains chacun savoure son thé : Théo lit le journal du soir Marie rêve en regardant son frère, Thomas écoute son baladeur, un son léger gracieux sonne les heures, les demi- heures avec la régularité d’un métronome.
Près de la fenêtre grande ouverte Thomas regarde les vis-à-vis, jette un coup d’œil au ciel chargé de nuages pas un souffle d’air, la moindre goutte d’eau, un temps pesant, lourd qui vous assomme n’arrive pas à craquer. Soudain une légère brise vient lui caresser le visage, un bruit cristallin sur le bord de la fenêtre, l’air est plus léger, Thomas gonfle sa poitrine, ouvre ses mains pour sentir les gouttes d’eau, se penche pour mieux voir autour, décontenancé devant tous ces vis-à-vis il retourne s’asseoir. .
Marie regarde son frère. Elle voit son beau profil, admire le dessin délicat du front, la découpe parfaite du nez, la délicate bouche ourlée, le menton volontaire, la chevelure souple auburn foncé (plus foncée que la sienne) méditative devant ce frère qui pourrait avoir un avenir brillant, surtout dans l’art elle hoche la tête pleine de compassion et de tendresse.
- Laisse moi t’aider : il lui prend les assiettes des mains.
- C’est inutile Thomas.
- Tu vois Marie je comprends ton étonnement ! Je comprends les regards surpris lorsque je parle autour de moi de ce métier avec ferveur. C’est une pensée que j’ai depuis tout petit. Tu te souviens du petit port entouré de calanques ? Nous y allions avec les parents, je continue d’y aller régulièrement. C’est là où j’ai rencontré Mathieu. Nous parlons, il me raconte, avec lui j’ai l’impression d’être un adulte, c’est un ami. .
- Le métier sera encore plus beau avec toi Thomas.
- Merci Marie, merci mille fois. Marie le regarde. Thomas les yeux perdus dans le vague au bout d’un moment enchaîne : c’est un homme fier, j’ai confiance en lui. Je comprends Marie ton tourment. Je vais avoir des disputes avec Père il a des ambitions pour moi ! Maman sera de mon coté : je ne crains pas la tâche. Marie rêveuse contemple son frère, soupire.
- Tu as faim ? Elle le regarde : la lumière vacillante du crépuscule glisse sur son visage : il est si beau, il parait si fragile... ! Ton ami Derrick nous laissera bien quelques heures pour que nous puissions sortir ensemble ? Tu sais Paris est une grande métropole faite de petits villages avec leur mairie, leur église, on y fait des kilomètres, c’est épuisant. Tiens, tout près d’ici il y a un marchand ambulant qui vend des pizzas : on les a à la commande, elle sont très bonnes. Ça te plairait ?
- Oui. Tu connais tes voisins ?
- Non; je ne les ai jamais vus. Il y a un nom sur la porte sans ça je douterais qu’il y ait quelqu’un ; jamais un bruit de télé, jamais rien, seulement quelques bruits légers de voix, et encore !
- Que fait Théo sur son ordinateur ?
- Je ne sais pas, tu lui demandes. Il resterait des heures devant si je ne le sortais pas.
- Je m’en suis payé un.
- Alors ?
- Eh bien, Papa s’y est mis aussi, il m’a étonné par sa facilité d’apprendre, quant à maman elle va s’y mettre, papa est souvent parti. Nous en avons au lycée, les bateaux doivent en être équipés aussi je suppose. Thomas s’approche doucement de Théo, l’observe un moment. Théo se tourne vers Thomas
- Tu veux t’en servir ?
- Non, non, merci, ils se lancent dans des conversations bien compliquées pour Marie, installée au bout de la table elle les regarde. Les jus de fruit, les petits gâteaux, les petites serviettes aux couleurs vives dans les assiettes, la pizza toute chaude dans sa boite : Marie n’est pas pressée, le carillon envoie de temps en temps sa musique, elle est transportée quelques années en arrière avec son frère dans ces moments insouciants où ils se chamaillaient pour un rien.
Elle a su manœuvrer pour arriver à ses fins. Sa décision, ce désir qui la prend d’amener son frère avec elle vendredi dans la grande surface Marie habilement est arrivée à ce qu’elle voulait., elle est arrivée avec de bons arguments au grand étonnement de Théo. Soulagée de ce souci qui lui pesait depuis un moment elle savoure sa pizza avec délice. Ils n’ont de cesse de raconter les tours pendables qu’ils faisaient, émus de retrouver leurs souvenirs. La perspective est étriquée, à eux trois ils emplissent la pièce, leurs voix raisonnent, les rires aussi. Après un moment de silence ils s’interrogent du regard.
- Où allons nous ? :
- A Saint Germain des Près ? Rue Saint André des Arts ? Ça va Thomas ?
- C’est comme vous vous voulez.
Ils sont à l’étroit dans l’appartement : Marie, Théo, et Thomas se dépêchent pour aller faire une ballade dans Paris. Pleins d’énergie ils sont prêts en un clin d’œil. Thomas a de la difficulté à respirer, il se trouve étriqué dans ses vêtements, et dans l’appartement il ne sait pas quoi faire alors il traîne son grand corps derrière sa sœur derrière Théo, quelques pas pour se rafraîchir à la fenêtre.
Dans ses calanques il farfouille à la recherche de crustacés pour la bouillabaisse de sa mère : des poissons de roches, des moules, des crabes, des rascasses, et d’autres encore ! il a l’espace, le grand air, il connaît d’avance la mine réjouie de sa mère le félicitant et le grondant en même temps « car il oublie ses devoirs… ! » rien ne le distrairait de ses longues promenades solitaires où il va gratouiller par-ci par-là à la recherche de petits poissons. Les cavités n’ont plus de secrets pour lui , il respire la bonne odeur de la lavande, il connaît la végétation: le romarin, les oliviers et bien d’autres choses encore…Thomas se ressaisit, frissonne.
- Tu dois penser à ton avenir Thomas. .
- J’ai de bonnes notes maman, tu as vu mon carnet !
Marie avec un petit sourire l’observe.
- Ça fait combien d’années que tu n’es pas venu à Paris Thomas ?
- Je ne sais pas. Tu devrais demander à Maman, j’étais petit.
- Tu vas trouver de la différence venant de la maison ; allez on y va. Théo jette regard sur les pieds de Marie et de Thomas, les prend par le bras, et d’un pas martial les entraîne vers le métro : direction Saint Germain des Près .
Aller dans une grande surface n’était pas l’idée qu’il se faisait de Paris mais pour faire plaisir à sa sœur Thomas s’est contenté de hocher la tête en signe d’approbation. Avec un sourire contrit , étonné par l’empressement de Marie pour l’amener dans une grande surface il s’est laissé faire. Empêtré par son corps il va s’asseoir devant l’ordinateur, tapote sur le clavier puis se lève pour aller à la fenêtre, se gratte la tête pensif devant tous ces blocs, se tourne face à Marie et Théo. Appuyé contre le chambranle de la fenêtre il laisse errer son regard, entend la chaleureuse voix de son père : Tu m’as fait de beaux enfants Manou, on dirait des anges… » Thomas depuis ce moment interroge son miroir, de profil, de face, de trois quart, inquiet par cette remarque, traumatisé à l’idée de ressembler à un ange il a tout essayer pour changer ses traits trop réguliers, il a fait des grimaces dans tous les sens, s’est giflé, s’est pincé, s’est trituré le visage. Mais devant l’inutilité de ses efforts insensés il a renoncé et là, pensif, ému il regarde sa sœur : ce sont les mêmes traits, la belle chevelure rousse c’est la même, le nez parfait aux délicates narines le même, les yeux légèrement enfoncés légèrement étirés, l’arcade sourcilière a la même courbe parfaite, la bouche délicatement ourlée : Ah ! Le front… ! Le front d’un penseur… Inconsciemment Thomas touche son menton, ses pommettes, le creux de ses joues. Thomas passe sa main sur le modelé de son visage, soupire, attristé. Marie nerveuse le sermonne.
- Allons qu’est-ce que tu fais !
Assis dans un coin de la pièce, immobile, Théo regarde. Etranger à ces deux êtres il écoute le papotage du frère et de la sœur, envoûté par eux, trop beaux. Il se passe la main sur le front, le regard grave tente de se joindre à eux, péniblement. Il réussit à sortir quelques mots maladroits, puis avec un soupir il retourne à son ordinateur.
- Théo ? Ca va ?
- Parfaitement.
- Pourrais-tu aller chez le teinturier. Tiens voilà le papier, c’est le bon. Les rires de Marie et de son frère brûlent son être, la tête enfouie dans ses mains il veut enlever cette émotion, cette jalousie qui l’accable.