Assise dans sa twingo la dame lit le journal de sa région
La tête entre les barreaux de la clôture
Elle lui montre son attachement.
Dans sa twingo la dame installée devant la maison du vieil homme à la tondeuse affiche une décontraction totale. . .
Appuyée contre le dossier incliné du siège elle médite. L’endroit est calme : peu de voitures, aucun piéton. Elle a une totale liberté d’action sans éveiller la curiosité. Elle voudrait bien faire sortir le vieil homme de sa tanière lui voir franchir sa porte ! Ce benêt de vieil homme derrière sa vitre chaque fois qu’elle vient. Elle aimerait le voir dans son entier.
Elle a acheté à Pessac bourg le journal quotidien de sa région : Sud Ouest. Préoccupée, cherchant comment faire craquer cette situation peu banale, elle n’a pas regardé les belles demeures qui bordent sa route. Installée dans sa voiture portière fermée vitre baissée elle jette des regards vers la fenêtre. Soupçonneuse elle cligne des yeux pour mieux saisir sa pensée mieux trouver la manière de débloquer, d’annihiler les problèmes de ce vieil homme. Elle ne veut pas le voir malheureux ! Seulement lui voir franchir sa porte : il va voir.
La twingo est placée en face de la fenêtre portière ouverte. Elle s’assoit jambes croisées croise, décroise ses jambes, cherche une position un peu moins inconfortable pour lire son journal. Le visage caché, le buste aussi, seules les jambes émergent au dessous du journal. Son cœur tape fort dans sa poitrine, devant elle les mots sont flous les gros titres aussi. Elle s’interroge, panique, se demande si, il ne va pas enfin franchir sa porte.
Derrière les vitres le vieil homme croit avoir une hallucination. Avec des petits pas trépignés il va d’un coté de l’autre de la vitre. Afin de mieux comprendre il se frotte les yeux, prend ses appareils de navigation les uns après les autres, pousse un grognement, se tape deux fois sur la poitrine, envoie ses bras dans tous les sens, se précipite vers la porte dans une enjambée. Habitué à manipuler des cordes les plus grosses, les plus résistantes lorsqu’il était « capitaine aux longs cours » (c’était son titre préféré) la main en suspend dans l’incapacité de prendre la poignée de la porte il cherche avec son autre main regarde autour le danger qui la retiend, une corde ! Il délire complètement
Effondré dans son fauteuil, toute l’histoire de sa vie défile dans ses yeux ! Il était conquérant, il attrapait les filles les plus sexy, les plus habiles, les plus affranchies, les plus rebelles, les plus farouches, les moins farouches, toutes, tombaient dans ses filets en si grand nombre que ses copains pêcheurs de sardines l'enviaient.
Récupérant malgré tout quelques forces il retourne à la fenêtre. Alors, lui, l’homme au mille histoires, le féroce dompteur des éléments les plus inhabituels est paralysé devant la dame de la twingo !
La dame de la twingo son visage entre les barreaux de la clôture lui montre avec son plus beau sourire son attachement sa sympathie.
Le vieil homme entouré de tout son arsenal lorsqu’il était capitaine aux longs cours (titre qu’il garde jalousement) d’un signe de main sur la vitre fait un appel amical. Enfermé dans l’enfer insurmontable de ne pouvoir ouvrir la porte c’est dans un geste désespéré qu’il la quitte.
Effondré dans son fauteuil, il est le plus malheureux des hommes. Il bondit à la fenêtre derrière la vitre. La dame est là, plus belle que jamais.
Liliane Boyrie .