Le nez collé à la vitre, les yeux
écarquillés
Infirme devant la dame de la twingo
Il regarde désarmé autour sans comprendre
Le vieil homme de la tondeuse à gazon le nez collé à la vitre, les yeux écarquillés devant la dame de la twingo postée en face de sa belle maison est allé plusieurs fois vers sa porte sans parvenir à l’ouvrir ! Lui, le pêcheur du grand nord ! Tapant sur sa poitrine, jurant, tapant plusieurs fois sa poitrine une fois deux fois trois fois de plus en plus fort au point d’en perdre le souffle, suffoquant, vivement il saisit une chaise et s’assoit à califourchon.
Il tente de se ressaisir, de retrouver sa respiration. La tête appuyait sur ses mains il revoit la riche nature, la beauté du monde, la tragédie de ses compagnons, morts ! Il revoit les lieux où les filles se donnaient en spectacle, il respire la brise le balancement lancinant la houle Tous ces moments où le temps vous échappe... Il navigue sur des mers hostiles : la pêche était sa récompense : la récompense de ses laborieux pêcheurs. :
Il pêchait, c’était son métier.
A califourchon sur sa chaise il disparaît dans les profondeurs des océans au milieu des baleines ! Le vieil homme plongeait dans un sommeil réparateur.
Balançant un juron, se levant, lançant des regards fulgurants autour de lui l’homme se réveille enfin. Essayant de retrouver ses esprits, poussant un profond soupir, secouant sa tête pour la rétablir il va vers le miroir, remet sa chemise en place. Ne se sentant pas tout à fait d'équilibre il va boire un verre d’eau, retourne devant son miroir, recule pour se voir dans son entier, marmonne entre ses dents des mots inintelligibles, tape deux fois sur sa poitrine.
L’épreuve est de taille pour cet ancien capitaine des mers lointaines : une dame dans une twingo !
La dame s’arrêtait tous les mercredis devant sa maison ! Il ne cherchait pas à comprendre !
C’était ainsi.
Il était arrivé à trouver normal qu’une dame dans une twingo s’arrêtait devant chez lui tous les mercredis se postant devant sa maison, normal aussi de l’attendre de la guetter ! Casser ce rythme était inadmissible, inimaginable, impensable !
La main en suspend sur la poignée il la retire aussitôt, prend sa longue vue ses lorgnettes, des appareils les plus sophistiqués les plus invraisemblables les plus savants puis revient vers la porte. En vain : la main toujours en suspend. L’homme assis sur la tondeuse à gazon est handicapé devant la dame de la twingo. Il ne peut se passer d’elle ! L’observer à la dérobée lui procure une jouissance de violeur. Cette situation de voyeur, insolite a transformé sa vie. Lui, le fougueux est devenu un guetteur de dames de twingo !
La dame de la twingo ne comprend pas. Elle serait curieuse de le voir dans son entier !
Un petit signe de main, elle rentre dans sa voiture, ferme la portière, sort de nouveau, se poste devant la maison, interrogative ? Le vieil homme la main en suspend sur la poignée de la porte recule. Afin d’être bien vu il aplatit son visage contre la vitre :
Recroquevillé sur sa tondeuse le vieil homme l’avait ému. Elle tente de l’encourager par un signe.
Anxieux, infirme devant la dame de la twingo il regarde désarmé autour sans comprendre… . .
Liliane Boyrie 2009-11-19