: Comme c’est surprenant de me rappeler ce couple! Cela fait si longtemps…
Elle se souvient d’avoir été interrogée sur la beauté si parfaite qu’on ne la remarque pas, et lorsqu’elle vit ce couple son regard avait glissé sur lui puis été revenu plusieurs fois et cela voilà longtemps… bien longtemps… Elle se souvient très bien de cette pensée fugitive : on en ferait un roman de ces deux là …mais c’était floue… et maintenant grâce au hasard extraordinaire de la vie elle le retrouve, quelle coïncidence ! Elle a chercher à le revoir, entraînée par une curiosité qu’elle n’a pas su maîtriser et dont elle n’a pas eu conscience elle s’est attachée à ce couple qu’elle retrouve le vendredi à dix huit heures dans la grande surface caisse 16 comme à un rendez-vous d’amour. Et lorsqu’elle se prépare pour aller à la grande surface elle est submergée de bonheur. Cette joie elle doit la comprendre absolument. Elle s’interroge en permanence sur ce couple timide, effacé, superbement beau. Elle peut le retrouver comme elle veut virtuellement net, précis. Son image est si émouvante qu’elle en est bouleversée. Effondrée elle se rend compte qu’il est le tourment de sa vie. Ensorcelée elle doit se secouer afin de chasser ce « démoniaque couple » qui la fascine.
Cheveux ébouriffés, regard brillant, un panier au creux du bras, Hector entre.
- Hector…Hector…Hector ! Crie Christie en faisant des voltes faces pour l’empêcher d’avancer, l’attrapant par la jambe puis jetant un coup d’œil dans le panier elle saisit une carotte, la brandit sous les nez autour d’elle : de Manie, de Nanette, de tante Amandine, de son père Hector. Trottinant elle va de l’un à l’autre la carotte au bout des doigts.
- C’est irrespectueux d’appeler ton Papa Hector lui rappelle Manie, n’est ce pas Nanette ? Laquelle hausse les épaules s’en fiche éperdument.
- Moi, je n’y vois pas d’inconvénient.
- Jamais ton père n’aurait accepté ça.
Hector s’en fiche comme d’une guigne ne pense qu’à sa récolte qu’il brandit fièrement. Ces carottes sont bien petites mais au moins elles seront tendres. Nanette pas compliquée pour deux sous jette un regard sur la salade.
- Ce soir au menue carottes et salade, devant le regard de déconvenue de tout le monde elle ajoute : qu’est ce qui ne va pas ? Un silence, seul un petit roucoulement de Christie. Christie a tendrement enlacé le cou de sa grand-mère qu’elle caresse de bisous, sa petite tête sur ses épaules elle attrape son doigt qu’elle suce goulûment. Effondrée par tant de bonheur Manie prie pour sa petite fille.
Des yeux clairs, vifs, un visage doux un sourire séduisant Christie est un ensemble de grâce, d’audace, de timidité. Sans complexes elle va... Des habits originaux quelquefois extravagants une démarche assurée elle va tête haute comme elle l’entend. (Au grand émoi de sa grand-mère) Tenace, obstinée, lorsqu’elle a une idée en tête elle est installée définitivement. Guidée par son instinct stimulée par la difficulté elle s’accroche. Ses jugements hâtifs sont corrigés en général avec bon sens. Eh bien là elle n’arrive pas à raisonner sainement . « Quelle terrible histoire je me suis mis en tête mon bon sens cette fois ne me guide pas. Je dois laisser faire le temps : au moment opportun j’agirai. Malgré les difficultés elle met son orgueil à vivre de son travail. Bien que son travail ne soit pas très lucratif il lui permet cependant d’être indépendante. Elle a bien accepté un moment l’aide de ses parents : déstabilisée pour gagner sa vie elle travaille beaucoup de longues heures enfermée dans sa pièce.
Avec Tony son ami, ses parents, ses amis, ses romans, Christie serait parfaitement heureuse si elle n’était pas habitée par des rêves insensés.
Elle va se voir devant son miroir, après un moment de réflexion, d’hésitation elle défait ses cheveux glisse ses mains dans la masse soyeuse cherche diverses coiffures trouve un réel plaisir à transformer son visage De nouveau devant son bureau elle hésite, va se faire un thé. Elle a cherché une réponse à son problème avec son ami Tony en espérant être aidée mais elle y a renoncé par peur d’être incomprise. Affalée sur son bureau la tête dans les mains elle est de nouveau envahie par des sombres pensées et doit faire des efforts pour chasser le stress qui commence à la prendre. Préoccupée mordillant nerveusement son stylo elle corrige, rature, relit plusieurs fois sa page mécontente. Il lui faut beaucoup de concentration pour écrire c’est quasiment impossible en ce moment , énervée elle va chercher refuge devant sa fenêtre. Pensive, mélancolique devant le spectacle désolant de la pluie qui clapote sur les linteaux de la fenêtre, des gouttelettes qui glissent doucement dans les sillons, attentive, curieuse de ces arabesques que le vent et la pluie tracent dans un mouvement continue le long de la vitre elle s’amuse à suivre du doigt, cherche des figures, des courbes. Le crépuscule estompe les formes gagne la pièce : Paris apparaît entre les étroites fentes des blocs où brillent une myriade de petites lumières c’est le spectacle qu’elle aime voir le soir lorsque les lampadaires s’allument. Son regard glisse le long des tours une dernière fois avant de rejoindre son bureau. Elle relit son travail de la veille, les mots viennent enfin elle peut travailler aucun bruit ne la distrait à peine si elle entend son portable, d’un geste vif elle l'attrape.
- Allô ! C’est la voix de son ami Johann de passage à Paris.
- Christie, bonjour mon amie. Comment vas-tu ?
- Ca va bien
- Je peux passer te voir sans te déranger ?
- Vous savez bien que oui votre amitié m’est si précieuse. A quelle heure voulez vous venir ? En fin d’après midi ? Bien.
De retour à son travail heureuse à la pensée de voir son ami d’entendre sa bonne voix amicale à l’accent guttural : « devant la difficulté de la langue allemande elle a renoncé à l’apprendre » : De passage à Paris il passe voir Christie : ses grands parents l’ont connu sur une plage, ils se sont salués puis quelques mots se sont échangés pour que se forge une amitié durable. Il n’oublie jamais de souhaiter les fêtes de passer voir les parents de Christie de prendre des nouvelles de la famille. Son travail l’amène à voyager en France et chaque fois il passe voir Christie : tous les ans c’est un rendez-vous avec Christie dans un restaurant de Paris. Il passe ses vacances sur les plages d’Aquitaine. C’est un ami fidèle tout prêt à l’aider si elle a des problèmes. Sans enfants, un mariage, défait, refait ; ils se sont retrouvés, sa femme et un frère célibataire : la famille recueille les chats abandonnés ! Il a aussi deux chiens, des oiseaux. Passionné par notre culture il connaît beaucoup d’écrivains français, la musique aussi... Malgré ses soixante-dix il est plein d’énergie, de larges épaules, massif,. Il ne manquerait pas ce rendez-vous avec Christie.
Très sensible à son amitié c’est avec enthousiasme qu’elle répond.
- Johann vous tombez bien j’étais envahie par mon travail vous venez quand vous voulez je vous attends. Retrouvant son énergie stimulée par la pensée de revoir son ami Christie allègrement se remet au travail. Attentive aux bruits elle s’agite sur ses feuilles : rien ne va elle griffonne, rature, s’énerve. Elle connaît son ami et sait qu’elle va devoir entendre ses remontrances « Johann ne comprend pas sa vie » Christie trouve déplacé de sa part de se mêler de sa vie alors que lui n’offre pas un modèle parfait. Elle médite sur lui. : la guerre…la France fut pour lui une bouffée d’oxygène d’où sa fidélité pour « notre beau pays. » Christie les yeux entrouverts cherche à le cerner : de rares cheveux, des petits yeux enfoncés gris, de taille moyenne : un mètre soixante dix environ, massif, de larges d’épaules. Elle tressaille à chaque bruit renversée dans son fauteuil elle attend en essayant de se détendre, Les sens exacerbés elle sursaute devant elle virtuellement elle voit avec précision le couple de la grande surface. D’un mouvement sec elle se lève effrayée se plaque contre le mur pour se libérer mais éblouie par sa vision elle n’entend pas la sonnette.
La sonnette lui arrache le tympan d’un bond elle ouvre la porte. .
- Ah! Christie! Il la prend par la main l’entraîne vers le fauteuil la regarde avec attendrissement puis jette un regard désapprobateur sur son bureau s’arrête près du bureau une lueur d’inquiétude de reproche dans les yeux.
- Ma petite Christie comment vas-tu ?
- Comme vous voyez : bien.
- Je suis si heureux de te voir : que deviens-tu ?
- Je bosse : elle lui montre le bureau.
- Johann ne répond pas, la questionne la regarde attentivement essaie de lire en elle lui prend les mains la fait asseoir sur le fauteuil.
Ils se regardent un moment sans parler goûtant ce moment si rare plein d’émotion et de mélancolie. Spontanément ils se prennent les mains la gorge serrée. Les mots sont maladroits ; la distance les a éloignés ! Un an déjà ! Il faut retrouver les mots qui les ont quitté pendant cette longue absence.
- C’est un grand plaisir pour moi aussi vous savez : Christie est toute émue ( Johann est en ce moment sa bouée de sauvetage !) Un coup d’œil rapide montre à Christie qu’il a pris du poids : elle le félicite sur sa bonne mine mais le sermonne aussi sur son embonpoint, multiplie les explications avec de longues phrases pour lui expliquer le danger qu’il encourt s’il grossit. Il est simple, fidèle, tendre, intelligent; pourquoi le nier? Elle est un peu amoureuse de Hans.
- Vous me sortez de ma rêverie cher ami. C’est mon point faible vous savez bien. Il la regarde avec reproche désapprouve sa façon de vivre puis n’y allant pas quatre chemins :
- J’aimerais aller à ta noce Christie mes jours sont comptés maintenant fais moi cette :faveur.
- Mais vous en avez pour trente ans mon ami ne parlez pas de ça ! Elle frissonne à l’idée de le perdre. Vous me désolez, pour l’instant c’est vous Johann mon amoureux : ils partent d’un grand éclat de rire sans savoir lequel est le plus jeune des deux.
- Une tasse de thé nous fera du bien en voulez vous ? Elle installe sur la table, la théière, les tasses, le sucre et les petits gâteaux : ce régal en bonne compagnie a une allure de fête. : Il n’y a pas d’égal dans leurs rapports entre ce vieil homme et cette jeune femme malgré leur différence d’âge. Cette amitié un peu équivoque faite d’une admiration réciproque de la recherche d’une compréhension de l’autre où l’un et l’autre essaieront de saisir l’insaisissable la partie secrète qu’il y a dans chacun de nous. Fins certes ils le sont : leurs rapports sont chaleureux, malicieux c’est à qui sera le plus malin, le vieil homme riche de son expérience ou la jeune femme riche de sa jeunesse. Pour elle l’histoire ne peut pas s’écrire d’avance.
Johann l’amène chaque fois au même restaurant où il a ses habitudes...
- Voulez vous que nous changions pour une fois ? Nous irions rue Saint- André des Arts, au quartier latin par exemple, ou à Saint Michel ? Chez les Grecs ? Ca fourmille de restaurants.
- Ma petite amie, avec toi je suis bien partout.
- D’accord, on va rue de la Huchette. Johann est incapable de lui dire non : il dit toujours : avec toi je suis bien. Après avoir montré à son ami le trajet sur une carte accrochée au mur dans un coin de la pièce ils partent joyeusement prendre le métro direction place Saint Michel. Ils ont choisi d’aller manger dans un restaurant rue de la Huchette : Les restaurants abondent, cette rue est grouillante de monde, portés par le mouvement continu de la foule ils suivent, s’arrêtent pour lire les menus.
Johann choisit une taverne
- ça va ? Tellement heureux : aucun qualificatif ne peut dire ce qu’il est en ce moment.
- Oui Christie.
Il parait si satisfait de son choix qu’elle ne peut le contrarier. Sans hésiter ils entrent, une bonne odeur les accueille. Johann jette un regard inquiet sur son amie car il la connaît ! Comme d’habitude la table où le patron les a installé n’est pas du goût de Christie la carte dans les mains elle jette un coup d’œil circulaire.
- Nous serions mieux là-bas ! Entraînant son ami.
- Oh ! Christie! : Les années se suivent et se ressemblent étonnamment ! Son ami n’est pas content mais il suit docilement, interrogatif, hésitant à s’asseoir, timidement lui demande :
- ça va Christie ?
Dans un soupir et un sourire de satisfaction Christie approuve en regardant son ami.
- Tu es belle Christie : d’une année sur l’autre tu es de plus en plus belle.
- Toujours aussi galant avec les femmes Johann !
- Comment pourrais je ne pas aimer être avec toi ma petite amie, il gratifie Christie d’un brave sourire.
Les plats arrivent, odorants : elle a choisi un magret de canard son ami une choucroute. Avec application ils mangent en savourant leur plat. Très peu de mots s’échangent car quand Johann mange il ne parle pas.
- Alors, mon amie ?
Comme vous voulez, un profond soupir pour aider la digestion soulève la poitrine de Johann un regard circulaire de contentement un coup d’œil sur Christie pour chercher son approbation : discrètement il appelle le serveur. Ils s’interrogent du regard puis se lèvent se quittent sur le trottoir. Encore quelques recommandations ! Christie rassure son ami : ne vous inquiétez pas un jour je me marierai : c’est une certitude.
- Hé ! bien mon amie, à la prochaine. Il est heureux.
En le suivant du regard Christie est angoissée. Chaque fois lorsqu’elle quitte son ami elle sait ce qu’il va dire ce qu’il va faire : c’est toujours la même chose ; il va dire des paroles rassurantes, encourageantes ! Puis ce sera porte toi bien ! Puis, un bref salut, à la prochaine! Elle est inquiète : une année c’est long ! Et lorsqu’il dit Mon amie, je suis si heureux de te connaître ça la bouleverse mais lorsqu’il lance son vigoureux et énergique porte toi bien Christie lui envoie un regard de reconnaissance. : Merci cher ami, merci de votre amitié.