Au dessous la Seine bordée d’arbres est un lieu de promenade, un enchantement pour les touristes.
Christie musarde sur les quais attentive. Elle contemple ce splendide ruban nonchalant où les bateaux glissent, variés, colorés ; elle observe les péniches silencieuses, mystérieuses, les bateaux-mouches animés par des hauts parleurs, égayés par les touristes : juste un bruit confus : inutile d’essayer de comprendre le guide. En face sur l’autre rive les somptueux monuments dont elle ne se lasse jamais, au dessous la Seine paisible. Ses yeux fouinent, s’attardent sur les berges où des touristes se promènent, des promeneurs solitaires, des amoureux, au loin un orchestre de grosses caisses. Pas un souffle, les peupliers figés bien alignés forment en toile de fond un feston, un tableau…Aucun frémissement dans les arbres. Adossée contre la murette Christie observe les passants, tous en jeans. moulés dans des t-shirts; joyeux, amoureux. Elle s’amuse à chercher leurs origines : des yeux bridés, des yeux bleus, des yeux noirs, cheveux blonds cheveux noirs crépus, joyeux, heureux…Tous ces gens d’horizons lointains, multiples sont un baume pour ses doutes, ses hésitations, ses problèmes, avec regret elle s’éloigne. Tout en méditant elle longe le quai jette un regard vague sur les bouquinistes puis prend la direction du métro, bifurque : conquise par la petite brise du soir elle prolonge sa promenade indifférente au monde au bruit elle flâne dans les rues jette un regard sur les devantures des magasins, les boulangeries… ! les pâtisseries... ! Elle tâte son fond de poche à la recherche de son ticket d’autobus. Une nostalgie en songeant à Johann qu’elle ne reverra que dans un an un regret de ne pouvoir aller le voir. Ses voyages entre Paris et Londres pour rejoindre Tony, les visites à ses parents, son travail lui prennent son temps. Il y a aussi d’autres projets, les vacances avec Tony, d’autres perspectives… :
Ses parents ont en banlieue parisienne une maison avec un petit jardin potager que son père Hector cultive avec amour. Encouragée par Hector qui l’approuve toujours « rien que pour le plaisir de contrarier ses deux femmes sa femme et sa belle mère » elle a fait ce qu’elle aime : écrire et lorsqu’elle va en week-end dans sa famille elle est accueillie, fêtée par les aboiements les caresses réclamées violemment de Ketty, le chat s’étire sur ses pieds. C’est un régal pour elle de faire un tour dans le jardin où son père s’applique à faire pousser ses légumes, et chaque fois elle le félicite sur sa bonne forme, sa ligne de jeune homme se plait elle à lui dire. Aussi cherche t-elle ces moments pour le surprendre entrain d’arracher l’herbe courbé sur ses plates-bandes, le voir se relever avec un sourire de contentement. Respirer la bonne odeur des herbes coupées, écouter les bruits familiers du soir sont un tremplin pour la semaine, un régal. Elle retrouve toutes les senteurs, tous les délices de son enfance, sa chambre d’enfant, d’adolescente, un brin de nostalgie, de connivence avec ses parents, la résurgence de sa jeunesse avec les bons, et les moins bons moments, entourée de Papa, Maman, tante Amandine, Manie..
Tâtant de nouveau sa poche pour s’assurer qu’elle a bien son ticket, portée par l’activité autour d’elle, elle décide de prolonger sa journée. Elle fait demi tour pour prendre son autobus direction jardin du Luxembourg. Dans cette fin de journée du mois de mai une douce brise lui caresse le visage. La perspective d’aller dans le parc lui fait accélérer le pas. Dans ce beau jardin elle longe les allées du parc, décontractée par la visite de son ami Johann elle respire l’air léger, s’arrête pour goûter pleinement le paisible environnement. Autour d’un bassin les enfants jouent à faire naviguer leurs bateaux. Bien que la soirée soit déjà bien entamée les gens encore nombreux flânent ou se dirigent lentement vers la sortie. Elle effleure du regard les longues rangées d’arbres, les massifs de fleurs, les passants. Christie offre son visage à la brise du soir, dégage son front, et dans une bonne respiration en soulevant sa poitrine elle s’affale sur un banc murmure c’est bon la vie. Les yeux fermés elle se laisse aller au gré du vent lorsque soudain elle sent une douleur sur son bras, des petits tressautements durs, des piétinements secs, saccadés, des griffes qui entrent dans les chairs, des pincements douloureux. La douleur lui fait serrer les dents : elle a compris : retenant son souffle elle surprend un petit moineau entrain d’essayer ses ailes sur son bras qu’il triture sans vergogne puis, aussi rapidement qu’il est apparu disparaît en lui pinçant méchamment la peau. Devant cet insolent petit moineau Christie ne peut s’empêcher de gémir. Avec vigueur elle frotte l’endroit douloureux un petit sourire contrit sur les lèvres elle se lève, hésite, jette un regard alentour puis se rassoit. Prestement elle sort son portable de sa poche pour appeler Tony.
- Allo Tony ? :
- Christie ?
- Je suis au Luxembourg.
- Tu dis ?
- Dans le jardin du Luxembourg. J’ai eu la visite de Johann.
- Comment va-t-il ?
Eh ! bien ma fois, je l’ai trouvé en forme, solide,
- Il t’a sorti de tes romans.
- Oui.
- Quel temps fait il à Paris ?
- Super : Christie sait que son ami Tony est heureux, elle reconnaît sa bonne voix aimante.
- Et toi, qu’est-ce que tu fais ?
- Je me balade au bord de la Tamise. Je regrette que tu ne sois pas là, j’aimerais t’avoir près de moi, comme je te connais tu serais emballée et émerveillée. C’est mon lieu de détente, mon nettoyage de cerveau.
- Je dois partir Tony c’est l’heure, je vois le gardien, le jardin va fermer. Je vais prendre le métro pour aller plus vite. Mille bisous Tony. Je t’aime, je m’ennuie sans toi.
- A bientôt Chris
Le métro est une mine d’idées pour Christie : des regards discrets, rapides autour d’elle afin de ne pas déranger. Comprimée, bousculée par la foule nombreuse à cette heure ci : ce contacte de gens agglutinés qui cherchent leur équilibre, se regardent ou ne se regardent pas, qu’importe elle les touche, elle aime leur histoire….
De retour dans son studio elle se met rapidement au travail satisfaite de sa journée. Son roman avance, la visite de son ami Johann lui a donné un regain d’énergie et puis la voix tendre de Tony…Oh ! Cette voix si aimante qu’elle en frissonne encore. Sa plume court sur le papier, son travail avance avec tant de facilité qu’elle ne s’aperçoit pas du temps. La nuit est déjà avancée. Dans le silence de sa pièce elle écrit. Sur son bureau ce soir elle s’éclaire avec sa lampe à pétrole « elle l’installe de temps en temps… » : c’est son secret, une originalité qu’elle se garde bien de dévoiler. Elle s’en sert seulement dans ses jours fastes où son humeur a atteint son plus haut niveau d’optimisme… alors elle s’amuse à retrouver la vie de ses ancêtres. Elle l’aide et stimule son imagination dit-elle. Amusée devant les formes fantasmagoriques, vacillantes sur le mur, sa lumière tremblotante, sa plume gratte le papier nerveusement son encrier a porté de main. Des formes fantomatiques se balancent sur les murs au moindre souffle. C’est l’heure où Christie aime travailler, où, dans ce silence monacal enveloppée d’un châle sur les épaules elle écrit souvent bien au-delà du raisonnable. Pendant un long moment sa main court sur le papier sans raturer. Avec un soupir de satisfaction elle pose sa plume. Renversée sur le dossier de sa chaise elle regarde la vieille lampe de pétrole de son arrière grand-mère. Je suis attachée à cet objet ! Elle l’utilise de temps en temps malgré l’odeur : mais tout de même elle ne s’encombre pas trop de sa lampe préférant l’électricité. Pensive elle retrouve son stylo, tente de travailler, en vain. Elle connaît ces moments où il lui est impossible d’écrire, et là, elle entend chaque fois la chaude voix de sa Manie lui chatouiller les oreilles : Nanette regarde là, sois vigilante, c’est une adorable enfant nous sommes sous son charme, méfie toi elle est futée, effrontée, tu devrais lui apprendre les bons gestes, les bons mots. Tu la veux accrochée à tes basques ? Prends garde, tu as fait une fille, unique. Elle s’ennuie tu devrais la mettre dans une garderie pour qu’elle trouve d’autres enfants de son age, voyons.
Ah !! Que Dieu la protège !
Christie soupire, pensive devant les catastrophes annoncées par sa grand-mère, indécise, hésitante, elle va faire un thé : c’est un moment de détente où elle oublie ses contraintes. Installée dans son fauteuil elle étire ses membres les uns après les autres trouve un réel plaisir dans cet exercice. Dans le silence de la pièce règne une bienfaisante atmosphère, dans une douce léthargie elle divague, s’assoupit. S’ébrouant comme un petit chat, un regard vers la fenêtre, moitié endormie elle se secoue, se lève, attrape son portable. Après quelques pas dans la pièce pour se réveiller elle appelle Tony.
- Allô Tony ? Je t’appelle seulement pour parler un peu... Je me réveille juste, je m’étais assoupie. Tu vas bien ?
- Oui. En ce moment, je travaille sur des statistiques.
- Je pensais aux Harrisson…
- Ils te réclament, sans cesse. Je ne sais plus quoi leur dire…
- Ne t’en fais pas Tony je vais apprendre l’anglais.
- Si ma mémoire est bonne tu me l’as déjà dit plusieurs fois ! Moi, je trouve que tu ne t’en sors déjà pas si mal !
- Non, mais tu veux rire, tu es vraiment gentil Tony ! Tu devrais me donner des leçons.
- D’accord, mais je te ferai remarquer que lorsque je te le propose tu as toujours d’autres choses à faire. Tien au fait ils te rappellent à leurs bons souvenirs, ils aimeraient bien te voir. qu’est ce que je dois dire ?
- Tu ne dis rien. La prochaine fois quand j’aurai amélioré le peu d’anglais que j’ai nous irons les voir. Ils sont toujours aussi hospitaliers ?
- Adorables.
- Mets toi à ma place un peu, je baragouine l’anglais d’une part, et je le comprends très mal aussi.
- O. K. Christie, prochaine leçon samedi.
- Je vais bûcher l’anglais : je doute de mes dons, mais on peut toujours essayer ; la prochaine fois je te promets nous irons les voir.
- Tu as toujours ton histoire Christie ?
- Quelle histoire ? Peut être fais tu allusion au couple de la grande surface.
- Ne fais pas l’innocente.
- Oui, ne sois pas inquiet, je suis bien de t’entendre Tony. Mille bises.