Ils aspirent profondément ce mélange d’odeurs de tabac, de sueur d’hommes, de bière, de cuir, de choucroute, un mélange aigre, âpre leur prend la gorge. Après de multiples contorsions Christie a choisi sa meilleure table. Assis face à face sur des banquettes rembourrées de cuir, émerveillés par le magnifique point de vue sur Paris, encore quelques frissons ils s’installent commodément. Ils hument la bonne odeur, respirent goulûment, jettent un regard autour d’eux, un regard circulaire. Dans cette bonne ambiance, dans ce cadre chaud, accueillant, le patron dans sa belle tenue bavaroise les reçoit comme si il les connaissait depuis toujours ; la salle est grande, bondée, l’ambiance est chaleureuse, le patron jovial vous met tout de suite à l’aise. Les plats fumants odorants leurs chatouillent les papilles
Place du Parvis du Sacré-Cœur appuyés contre la murette les yeux écarquillés ils s’amusent à reconnaître les monuments. Muets, émus, dans un silence impressionnant ils admirent le coucher du soleil sur Paris. Un voile translucide s’étend sur la cité, le crépuscule doucement enveloppe Paris, la brise caresse leurs visages, les sons s’évanouissent dans la nuit. Dans la demi obscurité les gens immobiles, silencieux devant cet enchantement lentement s’éloignent. La nuit arrive ils vont rapidement, préoccupés par leurs estomacs qui réclament ils bifurquent vers les restaurants. La brise est de plus en plus fraîche. Les rues éclairées par les lampadaires, les lumières des devantures égayées par le rire des jeunes filles et des jeunes hommes, par les voix joyeuses et vibrantes des hommes et des femmes
Elle défait son paquet, retire délicatement l’enveloppe, fait glisser légèrement son doigt sur la peinture juste sèche .
Place du Tertre au milieu des peintres Christie cherche un petit tableau. En se faufilant parmi les artistes elle a remarqué deux petits tableaux, cherche des yeux Tony pour lui demander son avis : il la surprend souvent par son analyse concise. Elle lui fait remarquer un petit tableau avec des taches bleues délicates qui pourrait être un bouquet de myosotis
- Regarde, qu’en penses tu ?
- C’est très joli.
- Et celui-là ?
- Bien, il est différent
- Choisis.
- Celui là représente bien la butte, il n’est pas mal. L’analyse de Tony devant un tableau est intellectuelle, sa vision est nette et précise, son analyse est complémentaire riche d’enseignements pour Christie. pour elle c’est plus instinctif, aussi avec attention elle l’écoute. Christie pousse un long soupir devant l’incapacité qu’elle a de choisir, et c’est au bout d’un long moment qu’elle se décide enfin. Elle a choisi le bouquet de myosotis. Bien emballé, bien protégé Christie s’en saisit comme d’un trésor.
Les gens sortent les yeux brillants, des habitués se retrouvent là régulièrement à la taverne de la butte Montmartre. Ils échangent des mots pleins de verve, jouent aux cartes. D’emblée lorsqu’on rentre on fait parti de la grande famille des clients, gâtés, choyés et, dans ce cadre sympathique on a envie de s’installer, d’engager la conversation avec le patron .
Tony face à la glace qu’il effleure à peine ne se lasse pas de regarder Christie. Je suis timide pour te dire ce que je ressens avec toi, les sensations que tu me donnes, j’ai peur de te choquer, tu as tout d’une grande amoureuse Christie, tu m’attires.
- Allons Tony, tu blagues… Je ne sais pas comment je dois prendre ça, comme un compliment où…
- Ne cherchons pas, je t’aime. Je suis jaloux du couple.
Christie fond sous les regards de Tony : comment lui expliquer son tourment avec le couple de la grande surface. Elle lui prend la main, veut lui exprimer son amour. La chaleur bienfaisante, l’atmosphère accueillante, les mets odorants la met en confiance.
- Sois persuadé que je serai ta compagne fidèle. Je ne sais pas où nous allons…Elle frissonne...Ces moments où je suis avec toi Tony sont si rassurants, si bons, nulle part ailleurs je n’aurai cette confiance que tu m’apportes. Christie est troublée elle aimerait avoir l’esprit libre, mais elle est tourmentée. Le patron d’un pas rapide, nerveux, « malgré une stature hors du commun et un beau tour de taille » leur apporte la carte, plein d’attention il leur conseille le plat du jour (la choucroute) Mêlant leurs bras ils lisent, relisent la carte font durer le plaisir, puis un signe au patron qui s’approche,
- Une choucroute.
Après avoir choisi ensemble leurs choucroutes, leurs verres de bière ils n’ont d’yeux que pour eux. Oubliant les trophées accrochés au mur, les portraits d’artistes, les coupes de champions, les instruments de musique bizarres, la barrique : au-dessus un petit bonhomme qui clignote des yeux en leur jetant des coups d’oeils, d’autres petits êtres burlesques amusants et très colorés Tony, les mains de Christie dans les siennes pour les réchauffer (car elle les a toujours froides) n’arrive pas à trouver les mots. Affaiblis par la faim, le regard éteint , chacun s’isole, se protège : émue devant Tony, devant son beau visage elle le couve des yeux, des yeux pleins d’amour. Silencieux, les membres engourdis ils ne réagissent plus. Les plats arrivent rapidement. Le serveur s'applique à les servir. Les assiettes fument, ils hument la bonne odeur, réconfortés. Les coups de fourchettes sont vigoureux. Leurs estomacs calés ils se regardent un moment sans parler, ébahis de leur appétit (Une vision animalière effleure leurs esprits) Ouf ! Tony est tout remué devant le bon appétit de Christie.
- Leur bière est bonne, j’en prendrais bien une autre : d’un signe de main il fait signe : s’il vous plaît !
Si tu savais comme je regrette que nous soyons si éloignés l’un de l’autre. C’est un moment béni Christie lorsque je suis avec toi. : Tony l’aime et c’est sans hésiter que pour la énième fois il lui clame son amour, son infini bonheur d’être avec elle, partout. Lui si pudique montre son désespoir !
- Pourquoi ne viens tu pas plus souvent à Londres.
- Oui bien sûr, mais je te dérangerai. Mon boulot me prend beaucoup de temps. Le temps passe sans que je m’en aperçoive, J’ai de la chance, tu es là Tony. Au fait Madame Bompon m’a mis en contacte avec un journal, je verrai avec eux, je t’en reparlerai.
- Bien, mais sors davantage, vois des amis, ne t’isoles pas !
- Que veux tu ! C’est mon travail, je fais de sorte que tout se passe bien. Elle regarde Tony perplexe : Christie a vu une ombre passer sur le visage de son ami. Tony la regarde longuement, cherche comment faire pour la libérer de cette histoire.
- Christie nous pourrions parler tous les deux, du …du couple : Tony bégaie. C’est curieux mais ça me tracasse, j’y pense que veux tu. Si nous en parlions ensemble. Explique moi de quoi il s’agit. Veux tu que nous en discutions ? Christie la tête appuyée sur sa main, les yeux dans le vague attend la suite : Tony insiste : je ne sais rien de cette histoire, ce que tu me dis seulement : c'est-à-dire, rien. Si seulement tu faisais un effort pour t’expliquer au lieu de soupirer comme tu fais en ce moment ! Bon. Je vois que je parle dans le vide; c’est trop tôt encore, un jour ça va se déclarer, tu verras. Dans ce monologue il préfère changer de conversation.
- Comment vont tes amis ? Christie se déride, balaie d’un coup de couteau la table, attrape le rythme d’un air en frappant des petits coups, puis s’appuie de nouveau sur son dossier dans le mouvement d’un navire en perdition qui tangue dangereusement.
- Je les ai vu il n’y a pas longtemps, ils sont bien, Julie toujours bien ronde, Stéphane toujours sec. Elle regarde Tony avec une fixité étrange, moitié coquine, moitié langoureuse.
- Tu visites des expositions ?
- Je n’ai pas tellement le temps…je suis nonchalante par nature, je dois me secouer tu sais, c’est un vrai problème, je ne rêve que de ne rien faire, un vrai drame pour moi, comme tu vois je travaille, je bouge, je suis là, je t’aime Tony. Elle lui lance des regards langoureux la tête appuyée sur ses mains elle goûte l’instant, le plaisir d’être avec Tony.
- Et les spectacles, tu as une idée ?
- Oui, on ira à Montparnasse, il y a un kiosque où on les a moitié prix nous verrons. Tu sais comme je suis paresseuse lorsqu’il s’agit de distractions. Tu me secoues, c’est bien : au fait tu as pensé aux vacances ?
- Christie, tu n’es pas sérieuse, et tu me rends jaloux.
- Ne sois pas bête : toi, tu vois du monde avec ta profession : mon travail est solitaire. Je veux bien suivre tes conseils et faire des efforts pour me distraire un peu plus. Ce que j’aime avant tout c’est me balader dans les rues de Paris. je m’assois à la terrasse d’un café s'il fait beau, je me délasse, je regarde passer les gens. J’ai besoin de ces marches : je suis si longtemps assise devant mon bureau.
- Je ne te comprends pas lorsque tu me présentes la grande surface comme une distraction.
- Oui, pour moi cet endroit compte beaucoup, j’y puise des forces, j’y trouve des idées, je me détends, je me distrais. J’en sors plus forte. Qu’est-ce que tu en penses ?
- Qu’est-ce que tu veux que j’en pense, tu es si bizarre, Tony appuyé sur ses mains regarde Christie, ne cherche pas à comprendre, tellement absorbé dans la contemplation de Christie.