Santé.
11/04/12
C’est avec une émotion contenue que monsieur le comte de Tourne présente à Délice l’appartement où elle pourra se retirer et recevoir en toute quiétude en toute intimité son ami monsieur Eloi de Risquetou. A peine entré on est dans un autre monde, les odeurs malgré les soins donnés pour le garder vivant, les meubles ajoutent, l’ancienneté donne à celui qui entre l’envie de respirer à plein poumon, partir avec ceux qui l’ont habité.
Dans un silence religieux, émus, respectueux ils vont dans les pièces : le salon finement décoré, la chambre avec un lit à baldaquin. Délice baisse la tête se détourne le comte prend son bras donne un petit coup de canne puis un autre et un autre, l’amène à la salle de bain si peu actuel, la salle de bain d’une époque lointaine ! Le comte presse un peu plus fort le bras de Délice il cache son émotion dans un très léger coup de canne toussote pour réveiller en douceur Délice qui semble décontenancée.
- Délice ma très chère nous allons voir ce que nous pouvons faire. Que voulez-vous garder ? Je reconnais qu’il est nécessaire de revoir tout ça. Ici vous êtes dans l’appartement où ma grand tante Ida a terminé sa vie, elle était si belle que je la vois à travers vous, en ce moment je suis particulièrement ému, pardonnez-moi cet instant de faiblesse. Voulez-vous aller près de la fenêtre s’il vous plait ? Là, oui. Ah ! Quel tableau pour un peintre ! Approchez, asseyez-vous ; comment trouvez-vous cet endroit ?
- Très éprouvant par sa tristesse, il donne envie de mourir, de partir de ce monde, s’enfermer, oublier.
- C’est extraordinaire. Avez-vous une idée ? Il tape de joyeux coups de canne qui amusent Délice et qui chaque fois l’étonne. Nous allons envisager de transformer cet endroit. Et dans un énergique coup de canne, envoyer toute cette histoire chez un brocanteur.
- Fraise et moi avons regardé un catalogue d’ameublement, j’ai vu de belles salles à manger, de belles chambres et de belles salles de bain.
- Eh ! Bien portez-moi le catalogue, non, plutôt nous le regarderons avec Fraise : c’est une personne de bon goût, prenez conseil.
Soit, toutefois, ma grande amie asseyez-vous devant le secrétaire, Délice l’effleure des doigts, glissez vos doigts, prenez la plume : Délice cherche, vous l’avez devant vous, c’est une plume d’oie mais oui ma petite Délice vous la tenez d’une manière si gracieuse, ça vous étonne ! Vous êtes devant un meuble Louis XV comment le trouvez-vous ?
- Il est bien joli monsieur, je mettrai mon ordinateur dessus.
- Mais oui Délice nous allons marier l’ancien avec le moderne, admirez la petite table en acajou ! Ce vase ! Ce fauteuil ! Oh ! Délice vous êtes la réincarnation de ma grand- tante Ida au point que le présent et le passé se confondent. Vous avez réveillé mes émotions, j’étais insensible aux évènements les plus tragiques, vous m’avez humanisé, je remercie tous les jours Notre Seigneur Jésus Christ de m’avoir fait retrouver le goût de la vie ; Tante Ida savait émerveiller avec les histoires qu’elle inventait le bambin qu’elle choyait en peu trop peut-être. Je la revois avant son départ pour un long voyage, malgré un âge avancé elle était belle, j’étais béat d’admiration pour ma tante Ida ;
Délice est émue par ce vieil homme, elle regarde la canne qui reste muette cligne des yeux vers le comte puis vers la canne et ceci plusieurs fois.
- Venez ma Délice la canne tape joyeusement sur le sol ; Vous allez me dire comment rajeunir toutes ces pièces où l’âme des aïeux envahissent l’espace, s’emploient à nous tourmenter.
- Eloi, Eloi ! Attends.
Céleste fait des signes vers Eloi avec de grands gestes désordonnés auxquels Eloi tente de répondre, c’est la sortie du travail, le trottoir est noir de monde, Eloi en sens inverse se fraye un passage avec peine.
- Salue, comment vas-tu ?
- Ca va et toi ?
J’ai un travail stressant qui m’épuise si tu veux nous pourrions aller prendre un pot ?
Eloi regarde sa montre.
- Je veux bien.
Un silence, une marche hygiénique, les cerveaux se vident.
- Là, c’est pas mal : ils entrent dans un café, lumières tamisées.
Céleste fait signe vers les tables vides, Eloi regarde alentour, s’assoit, chacun est dans ses pensées. Céleste prend la parole.
- Tout va bien Eloi tu parais soucieux, ta santé est bonne ?
- C’est une idée que tu te fais, j’ai comme toi un coup de fatigue : trop d’exigences dans le travail, un rythme infernal, éprouvant.
- Les exigences sont partout la dépression guette, Eloi fais gaffe : entre nous « je crois que je t’en ai parlé » j’ai une petite amie, ça distrait ; ne sois pas si rigide sur la morale, tu es victime de ton éducation, tu es un bel homme, jeune encore, pourquoi ce regard lointain, méfie- toi de la routine elle casse un homme elle pourrit la vie, elle te ronge, la routine tue, casse là : j’ai l’impression plus que jamais et là fais-moi confiance que quelque chose te tourmente, évacue Eloi.
- Non tu vois je mène une existence comme tout à chacun, le boulot, la famille, tu me conseilles quelques distractions ultra conjugales ?
- Moi aussi je commençais à moisir, il n’y a pas de coupables dans ma famille ! Non c’est la société, la société fait de nous ce que nous sommes, des déracinés.
- Déracinés ?
- Oui, nous poussons avec difficulté. Allez n’oublie pas notre fêtes la célébration de nos dix années de mariage. Ah ! Quel jour celui-là ! La vie nous détruit Eloi, fait face, accroche-toi.
- Je vais bien Céleste rien ne me perturbe : seulement de petits problèmes pas graves.
- Bien, tu me rassures : il regarde sa montre, c’est l’heure de rentrer, je vais avertir Clémentine : il sort son portable.
Eloi pense à Délice, il la veut près de lui, la toucher, la caresser, lui murmurer des mots doux, des mots d’amour, une envie d’aller dans la maison de passe de madame Irène.
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