Le crépuscule obscurcit doucement la grande salle, le comte assis devant une chandelle en forme de bougie la main appuyée sur sa canne, les cheveux ébouriffés, en face Délice (sa princesse se plait-il à dire) La nuit atteint Délice l’efface doucement , il lui demande de bien vouloir s’approcher de la lumière - je dois vous deviner chère Délice. Dans la grande salle la nuit a enseveli l’espace, deux silhouettes dans un tout petit coin attentives l’une à l’autre, des éclats de rire, de joyeux propos, des histoires pour amuser Délice raisonnent dans la nuit.
- Vous étiez auréolée ma chère, la lumière transformait votre visage lui donnait un aspect hors du temps, presque troublant, les contours s’effaçaient, seules les couleurs modelaient vos beaux traits donnaient cette histoire troublante qu’est la vôtre. Avez-vous remarqué la lumière ? Ses changements sur nous, sur notre humeur, elle caresse partout où elle est, une sensibilité que nous percevons dans notre totalité « c’est ce que vous dites si joliment ! » Devant le regard curieux de Délice il prend son visage pour exemple, votre visage ma chère n’arrête pas de changer c’est la magie de la lumière, elle peint infiniment mieux que les meilleurs peintres de notre planète et devant l’intérêt croissant de Délice pour bien se faire comprendre il frappe doucement le sol avec sa canne papillote des myriades de fois avec ses yeux. Notre lumière artificielle vous fait revenir vers moi. Il y a quelques instants vous avez failli m’échapper Délice.
Dans quel état d’esprit est ma Délice ce soir ? Moi je vois quelque chose d’inhabituelle, une histoire nouvelle Délice ? Nous n’avons pas de secrets entre nous n’est-ce pas ! Il y a un quelque chose que je ne connais pas ! Soyez sans crainte avec moi qu’est-ce que c’est ? Vous restez silencieuse, qu’avez-vous ma chère ?
- J’ai un trouble monsieur.
- Comment ça un trouble !
- Oui monsieur j’ai eu un trouble.
- Nous avons tous des troubles Délice !
- C’est un trouble monsieur : un vrai.
- Un vrai !
- Oui, un vrai.
- Pouvez-vous me donner la raison de ce trouble ?
- Non monsieur, c’est un secret. Je sais qu’il m’a donné le vrai sens de la vie. Je souhaiterais en avoir d’autres, Hélas ! Ils seront très rare, j’aurais aimé partir dans lui, c’est un instant infiniment beau où l’être se fond avec l’évènement, il vient sans qu’on le cherche.
- L’événement Délice !
- Bien sûr, moi, j’ai difficilement un contact avec les événements, quelque chose m’a fait connaître ce trouble, c’est merveilleux, seul un artiste peut le donner monsieur.
- Alors c’est un artiste Délice ?
- C’est mon histoire, c’est mon secret.
- C’est ça ma peine, ma très grande peine, mon immense chagrin, moi qui vous aime tant Délice !
-
C’est un trouble monsieur que l’on a qu’une fois dans sa vie,
imaginez ! Comment pourrais-je le dévoiler ! Vous vous trompez monsieur, un trouble de l’esprit.
- De l’esprit ! Un trouble !
- Eh ! bien voilà monsieur, oui de l’esprit.
- A votre âge Délice !
- Ce fut ce trouble- là ! Oui, de l’esprit.
- Ah ! Bon en voilà une histoire.
Le comte Urbain de Tourne de la Tournière tambourine le sol avec ses jambes envoie des salves de clignements d’yeux.
Délice est médusé
- Monsieur, monsieur, qu’avez-vous ?
- Un trouble, un trouble ma petite amie.
Délice part d’un éclat de rire qui traverse les murs jusqu’à Rose la cuisinière, jusqu’au maître d’hôtel qui en restent tétanisés.
- C’est bon de vous avoir, vous avez le don de me faire rire.
- C’est ma meilleure garantie Délice.
Là- bas ! Dans un petit coin tranquille de la grande salle de réception le comte assis sur sa chaise en face Délice papotent doucement, quelques timbres effleurent les murs, des mots paisibles, quelques signes, quelques gestes.
- Demain soir nous sommes invités avec nos enfants par la belle jeune femme… Délice je crois… chez le comte de Tourne. Eloi, tu m’écoutes ! On dirait que je parle aux murs ! Tu pourrais répondre, non ! Bon, je disais que demain nous allons manger chez le comte.
La soirée était animée par Candide et David, tous admiraient les bambins, Délice se prêtait gentiment à leurs jeux, elle devait se concentrer pour les comprendre car les mots sortaient plus vite qu’il fallait, le comte, Eloi, Marguerite interrompaient leur conversation tellement ils faisaient de bruit, un chambardement qu’Eloi devait contrôler. Eloi et le comte assis sur le sofa détendus s’interrogeaient sur leurs connaissances communes. Marguerite s’était jointe aux jeux de cache-cache, des va et vient furtifs dans la pièce donnaient l’impression d’être envahi par des petits lutins malins. Sur le départ, Délice ravie leur fit promettre de revenir souvent, les enfants accrochés à ses basques ne voulaient plus la quitter, ils se quittèrent avec la ferme intention de se revoir.
Sergey petit fils du prince Sirkitch l’invité du comte de Tourne salua Délice en bredouillant quelques mots maladroits tant il était ému devant Délice, l’émotion le paralysait, le comte évita de justesse de lancer sa canne il la fit taper deux petits coups juste pour s’installer parmi eux tant il les voyait partis ! Il les prit par le bras les fit s’asseoir. Sergey était un homme racé, élégant, bien élevé, discret ce qui mit à l’aise Délice, enfin ils trouvèrent les mots, c’est avec l’espoir de se revoir très bientôt qu’ils se quittèrent.
Honorable comte Tourne veuillez recevoir mes salutations les plus distinguées : Wladimir salut en se pliant se dépliant et ainsi de suite plusieurs fois ; Je suis profondément ému d’être en si belle compagnie dans une si belle demeure, grâce à la divine Délice, grâce à ma Fraise adorée. Recevez tous, mes chers amis ma considération, mon admiration et tout ce qui s’ensuit, ses mains jointes, ses yeux au ciel, un signe de croix ; Le comte plein de respect pour Wladimir lance savamment sa canne la fait voltiger Wladimir est émerveillé.
- Vous êtes un as comte : je n’ai pas souvenir dans ma famille de …
Fraise vient l’aider.
- Jonglerie Wladimir
L’originalité de Wladimir a un effet heureux, c’est dans la joyeuse compagnie de Wladimir et Fraise que le comte et Délice partagèrent leur repas du soir.
Ils se quittèrent en s’embrassant de nombreuses fois, des tapes pleines d’amitiés obligèrent le comte à s’accrocher à sa canne.
De la saveur, de l’amitié partagée.